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Réforme ou Révolution ?

Publié le 24 avril 2023

Il y a bien longtemps qu’un projet du gouvernement n’avait suscité de pareilles mobilisations. Trois, quatre millions de manifestants. C’est énorme. Les Français sont très en colère. Plus de quatre-vingt pour cent des travailleurs sont d’après les instituts de sondage officiels opposés à la réforme de leurs retraites. Quatre-vingt pour cent, ça signifie qu’au bas mot, quarante à cinquante millions de personnes, sont absolument opposées au report de l’âge de départ à 64 ans. Mais alors, où sont-elles ? Pourquoi ne se joignent elles pas aux manifestations ? Pourquoi ne font-elles pas entendre clairement leur opposition ? Pourquoi acceptent elles, (car se taire, c’est accepter) sans mot dire ce qu’elles considèrent comme injuste ? Pourquoi se résignent-elles ?

Ce sont des questions de ce genre que, déjà au seizième siècle, le jeune Étienne de la Boétie se posait. Comment se fait-il, disait-il, que le peuple qui produit les richesses et détient la puissance accepte d’être gouverné et martyrisé par des tyrans ? Pour y répondre, il a inventé le concept de « la servitude volontaire ». L’immense majorité des individus accepte sa condition de personne dominée et cette acceptation est de leur fait.

Une précision s’impose : elle est volontaire certes, mais surtout la conséquence de l’endoctrinement, du conditionnement, de l’abrutissement que les personnes subissent. Dès notre plus tendre enfance, on nous apprend à obéir aux injonctions des Autorités, à ne jamais les contester.

Au dix-huitième siècle, les « philosophes des Lumières », Voltaire, Diderot, Rousseau, etc. ont dénoncé les responsables de ce conditionnement : l’État, les religions, les traditions. Ils ont expliqué qu’il fallait les combattre et que seul l’usage de la Raison permettrait d’en venir à bout. Une éducation rationnelle, c’est selon eux ce qu’il faut au peuple pour dissiper les ténèbres de l’obscurantisme et le libérer des chaînes de l’esclavage.

Au dix-neuvième siècle, des penseurs comme Proudhon, Marx, Bakounine et bien d’autres, accompagnant les réflexions du mouvement ouvrier naissant, ont décortiqué le fonctionnement du système capitaliste, montré la division de la société en classes sociales antagonistes, le caractère fondamentalement injuste et criminel de ce système et expliqué que seule une action collective des exploités pourrait en venir à bout. Dès le milieu du siècle, les travailleurs ont commencé à s’organiser et ces efforts se sont traduits par la création par des travailleurs de nationalités diverses de la Première internationale avec comme mot d’ordre unanimement accepté : « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Ce mot d’ordre résume parfaitement le programme de la Première internationale : S’émanciper, c’est bien sûr détruire le système économique et social existant, abolir la division de la société en classes sociales antagonistes et l’exploitation de l’homme par l’homme ; mais c’est aussi s’éduquer, se cultiver, développer un esprit rationnel parmi les travailleurs, les rendre conscients. Les initiateurs de l’Internationale pensaient qu’une révolution sociale, l’abolition de l’État et de l’exploitation capitaliste imposaient que la grande masse des travailleurs soient éclairés, lucides et s’engagent en conséquence.

Peu de temps après la création de la Première internationale, Marx développa l’idée, absolument inverse, que la transformation de la société passerait non par la destruction de l’État, mais par sa conquête, ce qui nécessitait la prise des institutions étatiques par une avant-garde, un parti politique, et ce, par n’importe quel moyen (élections, mouvement social, révolution). Une fois cet objectif réalisé, l’État mis au service des intérêts des travailleurs a alors la charge de préparer la société au passage dans une étape ultérieure au communisme. Cette étape intermédiaire a été nommée dictature du prolétariat. Cette méthode ne demande plus que ce soit la masse des travailleurs qui soit éclairée et lucide, mais juste une petite fraction, l’avant-garde, à qui est délégué l’œuvre révolutionnaire. On passe donc de « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » à « construire le pouvoir populaire, incarné par le Parti ». Dans l’esprit des salariés, la solution proposée par Marx est apparue infiniment plus simple, plus rapide que celle nécessitant l’éducation de la masse des travailleurs ; et du coup la quasi-totalité du mouvement ouvrier mondial s’est attelé à la construction du Parti de la classe ouvrière et depuis plus de 150 ans, partout dans le monde des partis censés incarner les espérances des exploités cherchent à conquérir le pouvoir étatique pour l’exercer à leur profit. Nombre de ces partis sont parvenus au pouvoir, soit à la suite de révolutions, soit par la voie électorale, mais toujours ces expériences se sont terminées par des échecs retentissants, parfois même par des catastrophes. À chaque fois, ce sont les populations, en particulier les travailleurs et les exploités qui en ont payé les pots cassés.

En 2023 en France, Macron – ancien ministre d’un gouvernement socialiste, élu en 2022 avec le soutien des syndicats - revient sans vergogne sur toutes les avancées sociales. Nombre de ceux qui, à juste titre, dénoncent son mépris aujourd’hui chantaient ses mérites, il n’y pas très longtemps.

Ce qui est terrible, c’est que l’histoire se répète : ce que nous vivons, nous l’avons précédemment vécu déjà de nombreuses fois. Les choses sont pourtant claires, aussi longtemps que les populations choisiront d’abandonner à un ou à quelques individus le pouvoir, sans contrôle de décider de ce qui est bon pour elles, il en sera ainsi. Macron est un traître bien sûr, mais le système de la démocratie représentative qui lui a permis d’arriver au pouvoir, qui a fait que tout un peuple lui ait abandonné en confiance la maîtrise de son destin, ce système représentatif est bien plus infâme encore.

Au vu de tous les périls qui nous menacent, il est urgent d’en finir avec ce système et de le remplacer par une véritable démocratie, la démocratie directe. Mais pour cela, il faut préalablement qu’une proportion importante de la population soit consciente, pense qu’une révolution sociale, soit souhaitable, qu’elle est possible et donc s’engage pour la préparer. Ce formidable travail de conscientisation, c’est la finalité de l’anarchosyndicalisme.