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La communauté contre l’Association

Publié le 18 septembre 2021

On a beau être un athée convaincu, un critique de toutes les religions et se moquer de tous leurs prosélytes, on se doit de reconnaître qu’on trouve parfois dans leurs vieux mythes fondateurs des métaphores, très éclairantes malgré le temps écoulé, sur la période actuelle.

Ainsi par exemple un texte de la Genèse, inspiré de mythologies païennes nous raconte l’histoire d’un projet de construction qui a mal tourné, celui de la tour de Babel. À cette époque nous dit la genèse (9,11), les hommes vivaient ensemble, apparemment en bonne entente, ils parlaient tous la même langue. Un beau jour, ils décidèrent de construite une grande tour qui monterait jusqu’au ciel et ils entreprirent sa construction. Dieu les vit et en prit ombrage. « Allons, dit-il, descendons et brouillons leur langue, qu’ils ne s’entendent plus les uns avec les autres ». Dès lors incapables de travailler ensemble, les hommes furent contraints d’abandonner leur chantier et nous dit la Bible devenus étrangers les uns aux autres, ils se dispersèrent sur toute la Terre.

La légende biblique nous explique donc que la divinité jalouse, véritablement ennemie des hommes, pour limiter leur puissance a entrepris de sire échouer k projet imaginé et mis en œuvre par un collectif d’individus associés, en divisant et fragmentant leur association en une multitude de communautés linguistiques, toutes différentes, incapables de s’entendre, à terme ennemi.

Le texte biblique écrit il y a plus de 30 siècles explique ainsi la réalité géopolitique du monde de cette époque, divisé en une multitude de communautés parlant des langues différentes, opposées les unes aux autres, dispersées sur toute la terre, confrontant leur puissance par la guerre ou en temps de paix par d’autres moyens. On ne peut que constater que depuis, rien n’a changé : c’est à croire que tous les pouvoirs humains se sont inspirés de cette légende et l’ont mis à profit pour conforter leur domination. Diviser pour mieux régner, créer des fractions rivales, des communautés opposées dans les populations dominées et dresser ces groupes les uns contre les autres est un des principes fondamentaux de l’art de gouverner.

Au cours des siècles, on a vu ainsi les sociétés humaines se diviser pour des considérations ou des motifs aussi multiples que variés. Que ces raisons (déraisonnables) soient religieuses, ethniques, raciales, historiques, culturelles ou autres, elles sont considérées par les membres de chaque communauté comme des valeurs essentielles, constitutives de leur identité et ce sont elles qui assurent l’homogénéité et la résilience de ces communautés. Ce sont elles qui font de chacune de ces sociétés un ensemble cohérent, différent et séparé de tous les autres, et parce que ces communautés tiennent plus que tout à cultiver leurs valeurs et à préserver leurs différences, elles sont en permanence confrontées au reste de l’humanité et n’ont d’autres solutions pour durer que d’accroître leur puissance.

Dans le courant du vingtième siècle des penseurs se sont attachés à montrer que les sociétés humaines discriminaient au nom des valeurs qui leur sont propres, qui font leur identité les individus qui par leurs croyances, leurs caractères physiques, leur genre, leur sexualité, etc. se distinguaient des autres, étaient particuliers, ne correspondaient pas à la norme imposée par la religion, la tradition, la coutume, les institutions.

Dans la foulée de ces travaux, ces personnes pour défendre leurs droits, pour faire entendre leurs voix ont choisi de se regrouper et de se revendiquer comme membre d’une communauté particulière. En peu de temps une multitude de communautés se sont déclarées dans l’espace public : handicapés, homosexuels, LGBT, hétérosexuels, femmes, etc. chacune avec ses revendications propres, chacune s’exprimant plus fort que les autres, chacune dans les faits en lutte avec toutes les autres, car les revendications de ces communautés loin opposées.

Tant et si bien qu’on pourrait avoir l’impression que la société des humains est aujourd’hui constituée d’une multitude de communautés ayant chacune ses préoccupations propres, chacune uniquement occupée à faire triompher ses revendications dans le champ public avec au-dessus de toutes ces communautés, l’état qui règne en maître et joue de ces oppositions. Communautés nationales, communautés religieuses, communautés raciales ou ethniques, communautés de genre, communautés sexuelles et autres chacun de ces groupements humains pour exister mythifie ses valeurs, cherche à faire valoir ses singularités. Mais si ses valeurs sont les signes qui unissent les membres de chaque communauté, elles sont aussi celles qui les distinguent, voire les opposent au reste des humains et ils en viennent logiquement à considérer ces valeurs comme supérieures, transcendantes et à penser leur communauté éternelle.

À force de ne plus considérer que les caractères de leur communauté pour caractériser leur identité, ils finissent par oublier qu’ils sont d’abord des humains. Toute communauté pose donc comme fondement de son existence une véritable inversion des valeurs : pour reprendre la métaphore biblique, un constructeur de la tour ne voyait travaillant avec lui que des êtres humains ; après la dispersion, il va distinguer les individus selon qu’ils appartiennent ou pas à sa communauté. Le souci communautaire est devenu son premier réflexe et sa principale préoccupation et tous ceux qui ne sont pas membres de sa communauté sont vus comme des étrangers et ont de ce fait droit à un traitement particulier, défini par la coutume.

On peut donc dire que la constitution de communautés uniquement réservées à certaines catégories de personnes et centrées sur leurs problématiques n’aboutit pour finir, qu’à engendrer la guerre de tous contre tous et à la perpétuation indéfinie des inégalités et des injustices avec au-dessus de la mêlée, l’état semblable au dieu de la Genèse qui veille à ce que, fondamentalement rien ne change. Depuis des siècles, les guerres entre communautés nationales, entre
de se rejoindre sont souvent antagonistes, communautés religieuses, entre communautés ethniques, raciales, culturelles … ne cessent d’empoisonner l’histoire de l’humanité et au motif de défendre leur communauté, les populations sont
amenées à s’entre détruire et à commettre des crimes effroyables.

Mythifiées, sacralisées, par des dirigeants habiles pour leur plus grand profit, ces valeurs transcendantales deviennent les idoles devant lesquelles les populations aliénées et fanatisées abdiquent leur esprit critique et sacrifient leur liberté. La communauté impose à chaque individu ses valeurs et ses oukases, refuser d’y obéir, c’est se condamner à l’exclusion de la communauté. C’est le cœur joyeux et en chantant que les populations soumises partent au combat pour défendre les valeurs et l’honneur de leur communauté ; face à eux, des membres d’une communauté ennemie, d’autres êtres humains, leurs frères et sœurs, exploités comme eux,
dominés comme eux. Dans ces moments, la passion guerrière, la haine de la communauté adverse est si forte qu’elle emporte tout, toute communication devient impossible ; tous les liens qui existaient se dissolvent, toutes les associations établies dans un but précis entre membres de communautés différentes s’effondrent. Et c’est bien cette situation que nous décrit la Genèse, la
volonté divine (salopard de dieu) de diviser les hommes en leur donnant des langues diverses, fait échouer leur projet et par là même dissout leur association.

L’association est tuée par la communauté, la communauté est donc l’ennemie de
l’association. C’est qu’en effet les valeurs de l’association sont totalement antagonistes avec celles de la communauté. La seconde impose à chacun de ses membres ses valeurs, elle les aliène, elle les soumet au nom de sa transcendance, l’association au contraire est un projet d’êtres humains qui élaborent et décident ensemble, qui choisissent de vivre et construire ensemble. Rien de transcendant dans sa nature ou dans les buts poursuivis, et elle ne prétend pas à l’éternité.

Ainsi l’Association Internationale des Travailleurs réunit tous ceux qui pensent que la liberté et l’égalité sont les valeurs essentielles et en conséquence veulent abolir l’exploitation de l’homme par l’homme et donc tous les systèmes qui perpétuent l’oppression et la domination. La construction d’une société réellement démocratique et égalitaire est l’objectif ultime que se fixent les personnes qui
librement, d’un commun accord associent leurs efforts dans l’A.I.T. ; rien de transcendant dans cet objectif, uniquement la volonté de rendre ce monde plus humain, plus juste, moins violent et si parce que le monde réel est divisé de fait en une multitude de communautés nationales parlant des langues différentes, ils sont
obligés de se regrouper en sections locales, ils cherchent à dépasser les contraintes linguistiques imposées par l’histoire en favorisant l’usage de la langue internationale espéranto.

Contrairement à ce que l’on entend parfois, le docteur Zamenhof, inventeur de l’espéranto n’a jamais prétendu remplacer les langues, dialectes ou patois existants par centaines sur la planète, mais plutôt de mettre à la disposition des populations une langue facile à apprendre, simple d’utilisation permettant à tous de se comprendre et de formuler des concepts même très complexes. Pour les membres
des associations espérantistes, nulle volonté donc d’imposer leur langue, mais simplement le désir mettre à la disposition des personnes parlant des langues différentes un outil pour leur permettre de communiquer sans intermédiaire. Et de la même manière que les espérantistes ne cherchent pas à abolir la diversité des
langues existantes, mais simplement à permettre aux personnes de communiquer entre elles par- dessus les barrières linguistiques, les militants de l’AIT ne cherchent pas à diminuer l’extraordinaire diversité qui caractérise l’humanité.

a génétique nous le dit, chaque être humain est en soi une race à lui seul tant il se distingue de tous les autres ( les jumeaux homozygotes constituent une exception puisqu’ils sont génétiquement rigoureusement identiques ), et de même chaque être humain possède sa manière propre d’appréhender le réel, chaque être humain se distingue de tous les autres dans sa façon d’appréhender les autres, la nature, la culture, chaque être humain possède sa propre histoire etc.

Les militants anarchosyndicalistes cherchent donc, fort de ces évidences, à détruire les frontières totalement artificielles que des millénaires de propagande religieuse ou étatique, jusqu’aux thèses actuelles du Post-modernisme, ont instauré entre les individus en divisant l’humanité en communautés centrées sur quelques points spéciaux, répandant l’idée qu’il existerait entre elles des différences essentielles et irréductibles.

Ce n’est que par l’association des individus libres et émancipés que nous pourrons construire un monde libéré, constitué d’individus qui quelles que soient leurs origines, leurs cultures, leurs langues, leurs handicaps seront regardés comme leurs
égaux par tous.

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