Rien que la vérité des faits
Publié le 21 juillet 2024
![](local/adapt-img/700/10x/local/cache-gd2/2c/a31ec4081139e343d5a2a791b3dc2d.jpg?1732528134)
Cela fait maintenant une bonne vingtaine d’année que la CNT-AIT, nous dénonçons l’instrumentalisation politique qui est faite de la mémoire de l’exil antifranquiste en France, et notamment de sa participation à la
lutte contre l’occupation nazie.
Les exilés espagnols, après avoir été superbement ignoré dès l’après-guerre – l’heure était alors à l’Unité Nationale derrière De Gaulle et/ou les Communistes, et il fallait donner corps au mythe de la France Résistante – sont soudain devenus « tendance » au début des années 2000. Les partis politiques français – toutes tendances confondues – se sont alors souvenus de leur existence. Car entre temps ils avaient eu des enfants, qui dans certaines régions (Sud-Ouest / Occitanie, Paris, …) représentent un pourcentage de l’électorat qui peut faire la différence à une époque où les élections se gagnent ou se perdre à un ou deux pourcents de différence…
Aussi, on assiste régulièrement à une succession de commémoration dans lesquelles on flatte la fibre identitaire espagnole des descendants d’exilés, mais sans rien dire réellement de ce qui motivait l’engagement
politique de leurs aïeux, quand ce n’est pas en le dénaturant complètement. Notamment les dizaines de milliers de réfugiés anarchistes qui s’étaient battus pour la Révolution et l’abolition de l’Etat, se
voient désormais au fil des commémoration érigés en défenseurs de la République française, quand ce n’est pas carrément en précurseurs du Pacte de réconciliation nationale (Pacte de la Montcloa), pacte d’oubli
et de compromis conclu entre les élites qui a permis le maintien de la Monarchie espagnole après la mort de Franco ! Il faut dire aussi que les politiciens ont eu le bon goût d’attendre que les acteurs directs de
l’exil espagnols soient tous décédés, cela leur évita d’avoir à entendre leurs protestations contre ces manœuvres.
Toutefois, toutes et tous les descendants d’exilés ne sont pas dupes des magouilles politicardes. Ainsi, le CTDEE (Centre Toulousain de Documentation sur L’Exil Espagnol) vient d’adresser une réponse à
l’AAGEF-FFI (Amicale des anciens guérilléros espagnols en France – FFI), suite à leur invitation, à participer en compagnie de l’Etat, de ses forces armées et de police, et de deux partis politiques (Parti
Communiste et la France Insoumise), à une cérémonie militaire bénéficiant du label officiel « Mission libération de l’Etat », le 1er juin 2024.
Le CDTEE – qui a été invité fort tardivement, 5 jours seulement avant l’évènement – décline l’invitation au motif qu’il ne rentre pas dans ses activités de participer à des cérémonies militaires, mais aussi que
l’AAGEF participer du révisionnisme ambiant républicain, visant à faire croire que l’ensemble des exilés antifranquistes étaient unanimes et que tous ceux qui ont pris une part active à la résistance contre le
nazisme se groupaient derrière le Parti Communiste et ses Guérilleros …
Nous relayons ici cette lettre ouverte du CDTEE, car nous en partageons les analyses et les conclusions.
Fernand PELLOUTIER, l’anarchiste pionnier du syndicalisme révolutionnaire français disait « on ne s’assied pas aux tables que l’on souhaite renverser ». De la même façon, on ne saurait défiler avec les
institutions (Etat, police, armée) dont la responsabilité dans le martyr des exilés espagnols en France dès 1939 est écrasante.
Des compagnes et compagnons de la CNT-AIT
CENTRE TOULOUSAIN DE DOCUMENTATION SUR L’EXIL ESPAGNOL
12, rue des cheminots 31500 Toulouse
09 61 42 74 48/05 62 18 57 80/09 82 57 24 75 Courriel : exilespagnol.tlse@gmail.com
A AAGEF-FFI
6 rue du Lieutenant-Colonel Pelissier
31000 Toulouse
Toulouse le 28 mai 2024
Mesdames, Messieurs,
Suite à votre courrier du 25 mai 2024 nous invitant, tardivement, à participer à une journée commémorative, le 1er juin, en HONNEUR AUX GUÉRILLEROS ESPAGNOLS, LIBÉRATEURS DE FOIX, nous nous voyons dans l’obligation morale de vous préciser que nous n’y participerons pas et ce pour plusieurs raisons, que nous allons expliciter ci-dessous :
1 – S’il n’est pas dans notre vocation première de participer à des manifestations de type politico-militaro-mémorielles, nous n’en oublions pas pour autant les combats qu’ont menés les réfugiés espagnols contre le nazisme, pour certains dès 1939, de manière autonome ou dans les rangs de la Résistance française et anglaise et selon toutes sortes d’autres modalités. Pour notre part, nous privilégions plutôt leur apport à la vie citoyenne et sociale des lieux où ils ont travaillé, étudié pour certains, avec leur souci permanent et têtu de lutter contre le franquisme, tout en valorisant leur culture populaire et celle de leur pays d’origine. Nous n’en voulons pour preuve, parmi d’autres activités, que la parution semestrielle – depuis maintenant 10 ans – de nos Cahiers du CTDEE et la commémoration, tous les ans, le 19 juillet, de la réponse populaire au soulèvement des factieux du 18 juillet 1936. Dans un autre ordre d’idées, ajoutons aussi la Journée du livre de l’exil espagnol qui tous les deux ans regroupe des auteurs s’intéressant de manière large à l’Espagne et à ses exilés ; cette année la journée aura lieu le 23 novembre.
2 – Votre sempiternelle mise en exergue exclusive des Guérilleros met clairement en évidence la prétention, déjà à l’œuvre en 1944, d’enrôler la totalité des résistants espagnols dans cette structure alors qu’un grand nombre d’entre eux étaient disséminés dans des groupements français ou multinationaux (par exemple 50 Espagnols au Plateau des Glières ou parmi 26 nationalités dans la Division Leclerc). Les Guérilleros étaient « le bras armé » de la UNE (Unión Nacional Española) contrôlée par le PCE (Partido comunista de España) et le PSU de C (Partit socialista unificat de Catalunya), deux organisations à cette l’époque de la sphère soviétique, et donc fatalement staliniennes.
3 – La malencontreuse plaque à la gloire de Guérilleros – En hommage aux Guérilleros Espagnol - FFI et autres combattants de la liberté morts pour la France – posée subrepticement sur une place publique de Cahors en 2011, en même temps qu’une plaque bien venue et consensuelle – PLACE DES RÉPUBLICAINS ESPAGNOLS –, a donné lieu à une vive polémique et suscité une pétition à la demande d’une association historique et mémorielle (Recherche et documentation d’Histoire contemporaine) qui demandait qu’une formulation moins partisane – En hommage aux Espagnols morts pour la liberté –, soit adoptée. Le CTDEE a signé cette pétition ainsi que nombre d’autres associations mémorielles. Trois cents personnes, la grande majorité réfugiés/es ou descendants/es de la 2e ou 3e génération, parfois même anciens résistants, des personnalités scientifiques aussi notables que Geneviève Dreyfus-Armand ou Pierre Laborie se sont également engagées. Elles n’ont reçu, de votre part, qu’injures et opprobre. Remarquons aussi que des personnalités représentatives de l’exil espagnol à Toulouse n’ont pas hésité une seconde : par exemple José Martínez Cobo (PSOE-UGT), Floréal Samitier (CNT), le peintre et sculpteur Joan Jordà, Antonio Nacenta et Francisco Larrea (membres du groupe de passeurs de Francisco Ponzán Vidal), les universitaires Vida MansóZabraniecki, Tomás Gómez, Mario Borillo, qui a commencé son parcours d’exil en 1940 à Castelnau-Durban (voir point 4), etc.
À cette occasion on a pu observer quelques rebondissements significatifs :
◦ la MJC (Maison des jeunes et de la culture) de Cahors a demandé que son nom soit retiré de la 2e plaque.
◦ Rodolfo LLopis-Boyé, fils de Rodolfo LLopis-Ferrándiz (ancien Ministre de la République Espagnole, ancien Président du Conseil de la République en exil et ancien Secrétaire Général du PSOE en exil, pendant 34 ans) a déclaré : « Croyez que je suis à vos côtés dans votre démarche de rétablir la vérité historique concernant les Guérilleros. Je pense en ce sens rester fidèle à la mémoire de mon père. Je reconnais avoir été piégé à Cahors… »
-Les historiens, hispanistes et universitaires, membres de L’association Présence de Manuel Azaña de Montauban, en février 2012, ont soutenu avec indignation l’historienne reconnue, Geneviève Dreyfus-Armand, victime de propos mensongers, diffamatoires et surtout anonymes écrits dans le bulletin n° 124 de l’Amicale des Anciens Guérilleros en France FFI. Le regretté Pierre Laborie, historien et directeur d’études à l’EHESS, concluait : « …La mort de la République espagnole a été le triomphe indigne de l’injustice dans l’histoire. La fidélité à cette longue blessure et au sacrifice de nombreux républicains espagnols dans la Résistance en France impose des exigences éthiques à ceux qui s’en prévalent. Il y aurait une nouvelle trahison à abandonner cette noble cause au risque d’imposture que font courir certaines reconstructions opportunes de la mémoire. “Il n’y a pas de repos dans la vérité“ écrivait Albert Camus (Combat, 29 mars 1945) qui, à propos de l’Espagne et de la Résistance avait quelques titres à faire valoir ».
◦ Quant aux échanges qu’a eus Ángel Carballeira (membre de notre association) avec Lionel Jospin, alors à la tête de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, ils n’ont pu que le conforter dans sa démarche.
Le fait que votre association soit restée complètement sourde à ces demandes, pourtant bien modérées, illustre combien votre souci de représentativité publique hégémonique l’emporte sur le bon sens et l’éthique.
4 – Tuerie de Lacazasse
Bien qu’on veuille imposer un silence assourdissant sur cet évènement qui s’est produit dans le hameau de Lacazasse, commune de Castelnau-Durban, le 15 juillet 1944, cinq semaines avant la Libération de l’Ariège, n’en ont pas moins été assassinées, dans des conditions atroces, 7 personnes dont deux enfants – Isabelle 7 jours et sa sœur Prosperitat 6 ans. Cette tuerie, qui présente bien des similitudes avec celle perpétrée dans la commune d’Auriol en juillet 1981 par des nervis du SAC (Service d’action civique), un de nos adhérents, Ángel Carballeira, a décidé de la documenter et pour cela a enquêté dans la commune de Castenau-Durban et dans divers centres d’archives ; il en fait un Dossier que nous avons publié dans le n° 15 des Cahiers du CTDEE : « La véritable Justice ce n’est pas la vengeance, mais la mémoire ». Un historien local, André Baland, spécialiste des maquis ariégeois du Couserans et de la Crouzette, a permis de situer l’évènement dans son contexte spatio-temporel. Sans aucune ambiguïté la responsabilité de cette tuerie incombe à des Guérilleros. André Baland a d’ailleurs publié les résultats de ses recherches dans le Maitron.
Devant l’immobilisme et l’inertie générale, Ángel Carballeira a publié et diffusé, à ses frais, un rapport succinct sur le massacre de Lacazasse qu’il a intitulé On n’écrit pas l’Histoire avec une gomme [joli titre]. Pour illustrer la violence aveugle qui s’est abattue à cette époque sur des réfugiés non-staliniens, il a même joint un court document sur l’assassinat (le 21 octobre 1944) d’Auxiliano Benito Pérez, secrétaire de la section toulousaine du PSOE. Une très belle photo d’Enrique Tapia sur son enterrement rapporte cet épisode. Une foule estimée à 6 000 personnes était présente ce jour-là.
Évidemment, ces évènements dramatiques n’ôtent rien à la valeur de l’engagement des Espagnols dans la Résistance, qu’ils soient Guérilleros ou pas ; mais à vouloir les occulter, on trahit radicalement leur engagement pour un monde meilleur… et aussi, malheureusement, la vérité historique.
En conclusion :
L’exil républicain espagnol n’a pas été monolithique, loin s’en faut. Les fractures entre républicains espagnols ont même été annonciatrices des affrontements entre les gauches totalitaires et non-totalitaires. Bien sûr, cela s’est joué dans le temps – parfois avec des sauts brusques – au niveau de la philosophie politique des uns et des autres. Sans même tenir compte des antagonismes antérieurs, si l’on veut mettre une date précise sur ce divorce total dans l’exil, nous avancerons la date du 11 juillet 1948.
Pourquoi le 11 juillet 1948 ? Ce jour-là s’est tenu un grand meeting, à la Mutualité à Paris, pour réclamer le retour des pilotes et marins de la République espagnole internés au camp de Karaganda, dans le Goulag soviétique. Toutes les organisations politiques de l’exil étaient représentées. Absolument toutes… Exceptés le Partido Comunista de España et le Partit Socialista Unificat de Catalunya. Faut-il dire pourquoi ?
Albert Camus s’est résolument engagé, aussi, dans cette bataille… prémonitoire ? Il faut imaginer Sisyphe heureux.
La présidente du CTDEE
Placer Marey-Thibon
PS : Nous considérons ce courrier comme une lettre ouverte