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CHOMEURS : L’ÉTAU SE RESSERRE

Publié le 2 janvier 2006

On le sait, le chômeur est un parasite de la société puisqu’il vit de l’aumône de celle-ci sans suer sang et eau pour la gagner et sans accomplir une tâche productive aux yeux du patron. Il est coupable d’oisiveté avec tous les dangers que cela peut représenter pour les bonnes gens : alcoolisme, drogue ; envie de s’attaquer à la propriété (dont il est exclu) par le vol ou le vandalisme, ... surtout s’il est jeune et immigré...

Cette vision de l’exclu n’est pas nouvelle : à la Renaissance, on parlait déjà ainsi des pauvres et des vagabonds. Les notables dévelop-paient une crainte de plus en plus forte des miséreux (déjà vus comme un danger social), "la peur croissante des notables les pousse à une surveillance active (...) , on mettra en place des aumônes générales dont l’objectif est moins d’aider les miséreux que de les empêcher de participer par désespoir à des émeutes, (...) les pauvres qui ne sont pas infirmes deviennent tous suspects : l’oisiveté est considérée comme un crime, les mendiants valides doivent se mettre au travail pour prendre la place que Dieu leur a réservée dans la société. (...) Certains préconisent même l’enfermement des indigents dans des instituts". Un exemple en est "la maison de la correction par le travail” instituée à Amsterdam en 1596, dont “une des méthodes de réinsertion aurait consistée à enfermer des pauvres dans une pièce envahie lentement par l’eau ; pour sauver leur vie, ils devaient pomper sans cesse et réapprenaient donc la nécessité de l’effort" [1]

  Contrôler & sanctionner

De nos jours, on retrouve les mêmes peurs et la même volonté de contrôler et de sanctionner les chômeurs coupables (par essence) de se complaire dans l’assistanat. Le gouvernement a, l’année dernière, dans sa grande générosité sociale, inventé un nouveau type d’emploi précaire, le RMA : 20 h de travail payé au SMIC horaire (donc guère plus que le RMI). Il faut donc toujours se contenter des miettes (545 euros) mais cette fois en se crevant. En effet, les RMIstes récalcitrants qui refusent ces "emplois de rêve" (qui risquent d’ailleurs de ne leur correspondre en rien) pourraient se voir suspendre leur RMI !

Quant à ceux qui acceptent cette généreuse offre de réinsertion par l’exploitation, ils ne sont pas à l’abri d’un tel danger, puisque leur patron sera également leur tuteur et se verra chargé d’attester au référent (représentant du Conseil Général), tous les 3 mois, que l’action d’insertion est bien suivie sinon le versement du RMA, et par ricochet le RMIS pourra être suspendu !

La mise sous tutelle des chômeurs indemnisés et des RMIstes par des institutions chargées de leur réinsertion professionnelle (l’ASSEDIC et l’ANPE pour les premiers et les Conseils Généraux pour les seconds), va dans le même sens. Ainsi, dans une lettre de la DDTE (Direction départementale du travail et de l’emploi) de l’Aveyron, on trouve les cas pour lesquels les "Services de contrôle de recherche d’emploi" (SRCE) peuvent sanctionner les chômeurs par une radiation temporaire ou définitive de l’ANPE ; ce qui a pour conséquence la suspension ou la perte des minima sociaux (RMI, allocations chômage...) :

  • Absence de réponse à deux reprises aux convocations du SRCE sans aucune explication "légitime",
  • Défaut "d’actes positifs" de recherche d’emploi,
  • Refus d’emploi ou de formation qualifiante sans motif légitime, surtout s’il relève de secteurs professionnels en pénurie de main-d’œuvre,...

  Comme la viande hachée, les chômeurs doivent devenir traçables.

Les SRCE n’instruisant qu’à charge, l’allocataire se doit donc de prouver qu’il a bien fait des "actes de recherche d’emploi", non seulement par la production de documents, mais aussi par des déclarations argumentées permettant d’établir la réalité des démarches de recherches d’emploi effectuées. Selon la catégorie professionnelle de l’intéressé, il s’agit de documents visés par les employeurs rencontrés ou de copies de lettres adressées à des entreprises ainsi que, le cas échéant, des réponses de celles-ci. L’UNEDIC (qui chapeaute les ASSEDIC chargées de payer les allocations-chômage) impose la traçabilité et le contrôle des chômeurs, et finalement, la corvée : sous menace de radiation, les chômeurs les plus mal indemnisés sont forcés d’accepter n’importe quel emploi pour n’importe quel salaire. Variante de cette même logique, le protocole du 26 juin 2003 vise à accélérer la course au cachet comme mode de vie et de "travail". La loi de cohésion sociale de M. Borloo accélèrera encore les radiations des chômeurs par le renforcement du contrôle social.

Il faut, donc, faire vivre le bénéficiaire de l’obole des ASSEDIC, dans la peur constante de la perdre du fait de son "manque de volonté" et d’efficacité à trouver un emploi, peur qu’il partagera avec le salarié (que le chef d’entreprise peut virer s’il ne parvient pas à remplir les objectifs fixés) et qui lui rappellera les temps où il était élève et donc coupable, par essence, d’ignorance ! La peur et le sentiment de culpabilité entretenus chez les chômeurs par les institutions qui les encadrent ont pour but de les rendre plus dociles et de les désigner à l’opinion publique comme responsables de leur situation en propageant des discours comme : "S’il était plus courageux et moins exigeant, il trouverait du boulot, on manque de bras dans le nettoyage et le bâtiment ! Mais voilà avec les aides, il vit au frais des salariés comme un prince sans se fatiguer ! !"

  La lutte contre le chômage est en fait une lutte contre les chômeurs.

De nos jours où souffle un vent de libéralisme forcené, Unedic, ANPE et Conseils Généraux ont trouvé de nouveaux supplétifs dociles pour assurer le contrôle social. Ils sous traitent leurs "actions de réinsertion professionnelle" au secteur privé et associatif. Attirées par la manne financière, des associations reléguant aux oubliettes les orientations "humanistes et citoyennes" d’aide aux précaires qu’elles s’étaient initialement données, acceptent d’être instrumentalisées et transformées en flics. Ces sous-traitants sont d’autant plus soumis aux autorités que ces dernières remettent en cause régulièrement les marchés qu’elles ont avec les associations de réinsertion. L’ANPE va même jusqu’à suspendre les subventions pourtant promises au prestataire s’il est suspecté de ne pas avoir correctement rempli le cahier des charges.

Il n’y a pas que les associations qui soient attirées par le marché juteux du reclassement, puisque récemment l’UNEDIC a fait appel à deux cabinets privés, Maatwerk et Ingeus, pour classer de petits contingents de chômeurs. Pour Ingeus chaque chômeur "pris en charge" rapportait 2 800 euros et chaque "retour à l’emploi" 1 500 euros supplémentaires ! ! ! Pour que l’opération soit le plus rentable possible, ces cabinets n’ont pas hésité à piétiner les souhaits des demandeurs d’emploi dont ils avaient la charge. Ce qui importait était leur placement rapide dans n’importe quel boulot, histoire de toucher la prime. Alors que ceux qui nous gouvernent se plaignent du coût des minima sociaux et de la solidarité, on dépense de grosses sommes dans le contrôle social, sommes qui pourraient être utilisées pour renflouer les caisses de la Sécu et de l’assurance chômage au lieu de faire des économies sur le dos des précaires !

  Une surveillance de plus en plus rapprochée

Dans les faits, le chômeur est l’ilote des temps modernes. La tendance est partout la même en Europe : plus de contrôle, moins de revenus. Ainsi, chez nos voisins belges :

  • le chômeur n’a pas le droit de loger ailleurs que chez lui, ni d’héberger quiconque, sous peine de sanction immédiate pour "cohabitation non-déclarée" ;
  • ses déplacements sont contrôlés : le chômeur n’a pas le droit de quitter le territoire en dehors des périodes de vacances qui lui sont accordées ;
  • sa liberté d’association est remise en cause : le chômeur ne peut être membre d’une association ni y participer de manière bénévole sans être soumis préalablement a l’approbation de l’ONEm ; (la soeur belge de l’ANPE)
  • ses activités sociales ou culturelles sont suspectes : le chômeur ne peut ni rendre service ni en recevoir sans être immédiatement soupçonné de travail en noir ou accusé de concurrence déloyale au secteur commercial.

  On n’est pas très loin de tout ça en France ! Pourquoi tant de haine ?

Les patrons le savent, le chômage leur est favorable, puisque selon des analystes financiers, le plein emploi met les travailleurs en position de force dans les luttes qui les opposent aux patrons. La peur de perdre son emploi et de ne pas pouvoir en retrouver un autre est un bon moyen pour les patrons d’obtenir la soumission de leurs employés. Est-ce alors la crainte d’un soulèvement révolutionnaire des précaires qui explique l’acharnement du pouvoir sur ces derniers ? Il est vrai que le président Pompidou prophétisait, il y a 30 ans, "si un jour on atteint les 500 000 chômeurs en France, ça sera la révolution"... or il y en a eu plus de 2,6 millions en 2003... Leur révolte massive ne semble pas, pour l’instant, à espérer : les étouffeurs professionnels de révolutions (syndicats et autres organisations pseudo-révolutionnai-res) ont bien rempli leur office, empêchant l’émergence d’une vraie lutte des chômeurs qui aurait pu déstabiliser le régime. Au fond, la surveillance accrue du chômeur a surtout pour objectif de faire qu’il n’oublie jamais son statut d’ilote. Il doit intégrer que son temps doit être dédié exclusivement à la recherche d’un emploi, c’est à dire d’un labeur forcé, au profit du patron. C’est là la seule activité réellement reconnue. Et surtout, il ne doit pas avoir le loisir de réfléchir à l’inutilité et la nocivité de cette société.

Précaire teigneux

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