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MAISONS DE RETRAITE : LA MALTRAITANCE EST INSTITUTIONNELLE

Publié le 14 février 2009

un scandale permanent

C’était il y a pile 10 ans, en 1998. La revue "60 millions de consommateurs" publiait un dossier sur les maisons de retraite. Son titre ? "Le scandale". Un mot qui n’a pas fini de revenir chaque fois qu’il est question du sujet. Et qui n’est pas là par hasard !

Face à l’émotion du public devant ce "monde hermétique, ..., où trop souvent le seul objectif est l’appât du gain", on nous en promet, alors, des choses ! Pas sur le fond, car les responsables de notre société, basée sur la ségrégation, n’envisagent nullement de mettre en place d’autres modes de vie, plus humains, pour les personnes âgées. Mais, sur la forme : "On va moraliser les maisons de retraite" devient leur leitmotiv des pouvoirs publics.

Dix ans après, ça continue, pas en mieux, sinon en pire ! Entre temps, des dossiers, des émissions, des bouquins, des témoignages, des réunions de concertation, des formations, des rapports... ce n’est pas ça qui a réellement manqué.

Prenons quelques exemples chez des gens peu suspects de sympathies anarchosyndicalistes. Après la canicule, dont la gestion lamentable constitue, un crime d’Etat, Le Figaro, journal hautement sarkozyste écrivait sous le titre "Maisons de retraite : le scandale continue" : "Plus de 4 600 des 15 000 victimes de l’été dernier ont trouvé la mort dans ces établissements censés les protéger." Comme "protection", en effet, on fait mieux... Coupable d’avoir laissé crever de déshydratation 15 000 personnes âgées, le gouvernement renouvelle ses promesses, avec, cette fois-ci, à la clef, une idée "lumineuse" : la création d’une nouvelle taxe, la fameuse journée dite de solidarité, qui devait - promis, juré - améliorer définitivement le sort des vieux. Résultat : nous, on paye ; eux, ils ont toujours rien vu.

Et tout a continué comme avant. Autre exemple entre mille : en 2007, Zone Interdite (M6) diffusait le documentaire : "Héritages détournés, maisons de retraite sans scrupule : le scandale des personnes âgées maltraitées". Résumé de la présentation de cette émission : "Des témoignages accablants. Vexations, privations, méchancetés. Au banc des accusés, les conditions de travail : moyens insuffisants, absence de contrôle, manque de personnel qualifié ... dans cet univers caché où règne la loi du silence." En 2008, d’autres émissions télé à forte audience faisaient le même constat ("Maisons de retraite, du scandale à l’espoir", sachant que "l’espoir" apparaissait bien lointain...). Ceux qui voudraient, en 2009, montrer de nouvelles images ne manqueront pas de matière !

plus ça change, plus c’est la même chose

En effet, si les conditions de vie sont variables d’une maison à l’autre, il ne faut pas "gratter" beaucoup pour avoir des détails honteux ! Il suffit d’interroger les familles... à distance, à cause de la loi du silence : certaines maisons menacent de renvoyer un pensionnaire si la famille se montre trop loquace...

Cela ne suffit pas à faire taire les témoins, même s’ils sont obligés de se réfugier dans l’anonymat. Ici, "Les toilettes du matin ne se terminent que vers 11 heures alors, on prend le petit déjeuner vers 11h30 !!!". Là, "... des petits trucs m’ont alertée, lorsque je venais et que je donnais à manger à ma mère elle dévorait comme si elle n’avait rien mangé depuis 15 jours, ensuite une jeune stagiaire avec qui j’avais sympathisé m’a dit "Votre mère est restée toute une après-midi assise liée dans son fauteuil avec son verre d’eau en face d’elle sur la table mais comme elle ne peut pas boire toute seule elle a donné des coups de pieds dans la table pour le faire tomber, je le lui ai donné moi-même". Ailleurs "Ma mère de 92 ans, qui vit dans une chambre de neuf mètres carrés, ne quitte jamais son étage. Elle n’a pas mis un pied dehors depuis des mois parce que l’ascenseur est trop petit pour son fauteuil roulant". Ou encore ce constat d’un médecin "Les prescriptions médicamenteuses sont trop importantes avec beaucoup de calmants, de psychotropes", bel euphémisme pour dire qu’on les abrutit de calmants. Tout ça, sans parler des patients souillés qui attendent des heures qu’on puisse les changer,... le tout sur fond de misère affective et psychologique.

la raison de la maltraitance :
l’appât du gain

La raison de cette maltraitance institutionnelle est évidente et bien connue, "... le seul objectif est l’appât du gain" disait déjà"60 Millions de consommateurs".
D’où les tarifications exorbitantes.. C’est facile : l’incurie des politiciens face au vieillissement de la population (un phénomène pourtant hautement prévisible) a créé la pénurie. Résultat, le taux d’occupation des maisons de retraite atteint les 98 % et il y a des listes d’attente ! D’où aussi la réduction "des coûts de production" et avant tout, la compression des frais de personnel, et donc un sous effectif constant et une sous-qualification. Sans oublier les petits bénéfices : on rogne sur la qualité des repas, le chauffage, la literie... quant aux sorties et distractions, et même à la véritable rééducation fonctionnelle au quotidien, elles fondent comme neige au soleil.

Jean Charles Escribano, auteur de "On achève bien nos vieux" et réputé bon connaisseur de la question, donne des chiffres très intéressants dans une interview au "Mensuel de l’Université". Il reprend une déclaration du président de l’Association des maisons de repos belges : dans ce pays, il y a en moyenne un professionnel par personne âgée (contre un pour deux personnes âgées en France). Et pourtant, le tarif de base est pour les familles de l’ordre de 1 300 euros par mois, contre plus de 2 300 euros en France (sommes auxquelles il convient d’ajouter, dans les deux cas, des financements publics de même nature). Or, Le coût de la vie en Belgique et en France est du même ordre. La différence ne doit pas être perdue pour tout le monde...

l’organisation de la maltraitance

Effectivement, la norme pour pouvoir s’occuper d’une population de personnes âgées dont une forte proportion est grabataire, c’est un salarié pour une personne (de façon à couvrir les besoins jours et nuit à longueur d’année). En maintenant leurs personnels à mi-effectif, les maisons de retraite organisent la maltraitance institutionnelle : les personnels, malgré toute leur bonne volonté, n’ont pas d’autre choix que de travailler vite, très vite. On voudrait les pousser à commettre des erreurs, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Ici aussi les situations sont variables d’un établissement à l’autre, mais les témoignages (souvent de professionnels qui ont quitté le circuit, loi du silence oblige) abondent : Marie-Claude, infirmière : "A ..., il y a une femme pour faire 15 toilettes, nettoyer 25 chambres et servir 25 petits déjeuners en trois heures et demie". Mathilde, femme de ménage : "Chez nous, la nuit, nous ne sommes que deux pour 96 personnes âgées dont plusieurs sont lourdement dépendantes, parfois en soins palliatifs. Bien sûr, il n’y a pas la moindre infirmière de nuit. Il faut se "débrouiller" toutes seules. Quant un patient décède, il nous est interdit de réveiller la directrice, il paraît que ça dérange son mari. Il nous faut faire la toilette mortuaire. Moralement, c’est éprouvant, surtout quant ce sont des personnes auxquelles on s’est attachées. On en crève". Jeannine : "Notre travail, c’est de l’abattage, comme dans une usine. Nous travaillons à flux tendu. Faute de temps et de personnel, certaines personnes âgées n’ont pas plus d’une douche par mois". Le tout aboutit à des situations tragiques comme dans cette maison de retraite de Saint-Germain-en-Laye où, sous un amas de matelas et un amas de cartons fut découvert le cadavre d’une pensionnaire... disparue depuis un an. Une maison pourtant certifiée, comme toutes les autres, par la DDASS. Cela n’étonne pas les professionnels : les directions connaissent toujours les dates des contrôles des DDASS suffisamment en avance pour "faire ce qu’il faut".

La maltraitance institutionnelle :
les salariés en pâtissent aussi
En sous-effectif constant, les personnels sont, ne serait-ce que de ce fait, profondément maltraités

Pas tous cependant. Il y a une notable exception : les directeurs. Dans notre pays où même les crottes de chien sur les trottoirs sont règlementées, il y a quelque chose qui ne l’est pas encore vraiment : être directeur de maison de retraite. Ça montre, si besoin en était, l’intérêt que l’Etat porte à la sécurité des personnes âgées... A ce jour en effet, en pratique, n’importe qui peut diriger une maison de retraite.

En février 2007, un décret a quand même été pris pour imposer aux directeurs un minimum de compétence, mais il leur laisse un délai de... presque 10 ans pour se mettre en conformité !

Mais pareille mansuétude ne s’applique pas aux salariées de base. Pour elles (ce sont essentiellement des femmes), les conditions sont extrêmement dures : travail de jour ou de nuit, les jours fériés aussi, ... au bon vouloir de l’employeur qui a toute facilité pour changer les plannings ; locaux inadaptés (d’où surcharge de travail) ; lits et matériel tout aussi inadaptés (d’où maladies musculo-tendineuses, sciatiques, ...), confrontation au vieillissement et à la mort sans soutien (d’où dépressions, anxiété)... et pression pour qu’elles fassent des actes techniques qu’elles n’ont pas le droit de faire (comme distribuer des médicaments pour des personnels de service), tout cela pour des salaires minables : SMIC horaire ou à peine plus (souvent, pour éviter les primes d’ancienneté, ces patrons de choc se débrouillent pour "faire partir" les salariées les plus anciennes). De plus ces véritables industries à forte rentabilité imposent souvent à leurs salariées des temps partiels, les condamnant à la précarité.

Là ne s’arrêtent pas les pratiques maltraitantes : outre les changements d’horaires (ce qui est une bonne façon de pousser les employées à la démission, cas par exemple de Latifa, mère de famille, dix ans d’ancienneté sans aucun reproche, pour laquelle les horaires étaient devenus tout d’un coup incompatibles avec la mise de ses enfants en crèche), outre les primes "à la tête du client" et les plannings de même (application du fameux principe "Diviser pour régner") beaucoup de maisons cherchent à faire porter le poids de la maltraitance institutionnelle sur leurs employées. Cette culpabilisation, assortie de la menace de licenciement et même de poursuites, est une épée de Damoclès sur leur tête. Sans compter les directions qui font un usage abusif des "mise à pieds"... Autant de façons de harceler les salariés.

la réponse du gouvernement : répression et baratin

L’épée de Damoclès, le gouvernement la brandit lui aussi avec cynisme. On vient de le voir, avec les affaires des hôpitaux : à Nice, un urgentiste surmené travaille vite (mais bien), en garde-à-vue ! A Paris, une infirmière qui court partout faute de collègues en nombre suffisant, se trompe de flacon : en garde-à-vue, et poursuivie ! Le régulateur Samu de l’Essonne ne trouve pas, malgré 27 appels, de place pour un mourant, la ministre de la santé s’en étonne publiquement et laisse entendre qu’il est incompétent ! Pendant ce temps, les véritables responsables ne se sentent toujours pas coupables. Entre deux bronzages outre-mer ou quelques réveillons entre "pipoles", ils font les naïfs, se renvoient la balle, et continuent toujours la même politique. Et hôpitaux ou maisons de retraite, c’est du pareil au même. Loin de reconnaître ses immenses responsabilités, le pouvoir manie le bâton (menaces et gardes-à-vue) et la carotte sous forme de la "fameuse-formation-qui-va-enfin-nous-apprendre-à-bient-travailler". Le tout sur fond du fameux couplet "On va moraliser les maisons de retraite". Mais toujours, il fait semblant d’oublier l’essentiel, qu’il faut commencer par doubler les effectifs du personnel de base !

enfin du nouveau : des salariés et des familles
pas décidés à se laisser faire
Il y a quand même des choses nouvelles. La première, c’est que tout le monde sait maintenant que la maltraitance institutionnelle, organisée pour augmenter la rentabilité, est une réalité. En particulier, des familles comprennent que, ce qui leur arrive, n’est pas un cas isolé, un dysfonctionnement local, dû à une "mauvaise employée" mais la conséquence d’un système qui tire tout son profit de sa rapacité. La deuxième, c’est que les salariés eux-mêmes commencent à comprendre que maltraitance sur personne âgée et harcèlement du personnel ne sont jamais que les deux faces d’une même médaille !

Ce n’est pas la première fois, dans nos colonnes, que nous abordons la question des maisons de retraite et autres lieux du même acabit. A chaque fois, et c’est le cas cette fois-ci encore, c’est à l’appui d’actions de salariés. De défense de travailleurs licenciés sous les prétextes les plus fallacieux en campagnes de protestation, nous constatons, que ces mini-actions laissent des traces et que la compréhension des enjeux ainsi que la combativité se manifestent, parfois là où on l’attendait le moins. Tout comme il devient évident pour un nombre croissant de salariés que ces patrons de choc ne sont finalement que des colosses aux pieds d’argile, et qu’il en faudrait assez peu pour faire cesser leurs pratiques scandaleuses : un peu d’union entre nous, des liens avec les familles, en évitant soigneusement tous les "médiateurs" qui ont pour rôle de faire que cela ne change jamais ("représentants" du personnel, syndicats de collaboration, ...). Qu’on se le dise. Si nous sommes plus nombreux à le comprendre, à le dire, à le faire, certains patrons, ceux par exemple qui se sentiront visés en lisant les témoignages, pourraient être obligés de changer de pratiques...
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