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Les identitarismes, c’est le capitalisme plus la guerre

Publié le 2 mai 2010

Depuis quelques années, face à la montée des identitarismes, les militants de la CNT-AIT développent une réflexion qu’ils veulent publique et contradictoire. C’est pourquoi nous avons publié nombre de textes à ce sujet et invité tout un chacun à participer à de nombreux échanges informels ou formels. Dans ce cadre, un débat public a été organisé le 25 février dernier à Toulouse sur le thème : « Ni identité nationale, ni identité régionale ». Une trentaine de personnes ont participé ce soir-là à une discussion fort enrichissante dont voici une petite synthèse personnelle assortie de quelques commentaires [1].

Si on a besoin des racines du passé, c’est que l’on se sent mal dans le présent

Il existe d’évidence un lien entre la montée actuelle des courants identitaires et le mal-être des individus.
Ce mal-être peut trouver son origine dans la soumission salariale mais également dans toute une organisation de cette société avec son cortège d’injustices et d’oppressions diverses. Comme un participant l’a fort bien résumé : « Si on a besoin des racines du passé, c’est que l’on se sent mal dans le présent ». Les «  racines » en question jouent pour ces personnes le rôle que l’alcool et d’autres drogues ont pour tant d’au-tres individus (et parfois, d’ailleurs, pour les mêmes) : non pas modifier la réalité extérieure la rendre «  acceptable » en modifiant artificiellement la perception que l’on en a.

Régionalisme, nationalisme et souffrance au travail

Il se trouve que nous avons eu, il y a quelques mois de cela, un autre débat portant sur la « souffrance au travail ».

Une des raisons du développement exponentiel de la souffrance au travail est le développement de méthodes de management qui mettent constamment en concurrence les salariés dans l’entreprise.

L’atomisation qui en résulte constitue en elle-même un puissant mécanisme de destruction des individus. Cette agression managériale, qui vient renforcer l’exploitation «  traditionnelle » sur les lieux de travail, constitue une agression tellement violente qu’elle provoque d’importantes réactions individuelles (dépressions, suicides à la chaîne...) ou collectives (révoltes parfois violentes...). Le pouvoir le sait.

Dès lors, deux « solutions » complémentaires s’offrent à lui : la première est de poursuivre l’atomisation en offrant des prises en charges individuelles, la seconde est de dévier toute réaction collective de ce qui devrait être son véritable but.

Aujourd’hui, rares sont les grandes entreprises et les grandes administrations qui ne sont pas en train de développer la première « solution » : on ne compte plus les ouvertures de « lieux d’écoute », les consultations gratuites de psychologues, ou l’institutionnalisation d’un tuteur, d’un cadre référent pour chaque employé... Quant à la seconde «  solution », elle demande plus de subtilité, certaines des bonnes vieilles méthodes du passé étant de plus en plus en situation d’échec [2].

D’où le développement de nouvelles stratégies, l’objectif du pouvoir restant quant à lui toujours le même : éviter toute contestation de l’organisation du travail qui pourrait conduire à contester les fondements du système.
C’est pourquoi l’individu est poussé à se fondre dans un cadre, certes collectif mais extrêmement cloisonné, dans une démarche affective de communion avec des ancêtres mythifiés. Il n’est pas innocent qu’en Europe toute la classe politique soutienne, encourage et finance avec les fonds publics la réanimation des particularismes locaux [3].

Un triple but

Cette pression a un triple but. Le premier est de faire oublier au salarié l’origine de son exploitation. Pour cela, quoi de mieux que de l’amener à s’auto-persuader qu’il fait partie de la même communauté (ethnique, religieuse, culturelle...) que son exploiteur (et, pour les multinationales, que ses dirigeants locaux) et que de ce fait leurs intérêts seraient communs, voire identiques ? Le deuxième, qui va dans le même sens, est d’introduire des lignes de fracture irréparables entre les salariés. Pour cela, quoi de mieux que de les convaincre qu’ils font partie de communautés différentes et que cette appartenance est déterminante [4] ? Enfin, cette stratégie qui pousse l’individu à se fondre dans un groupe que les pouvoirs publics ont choisi de sponsoriser est une façon de répondre à son sentiment de solitude. Cette espérance, qui peut malheureusement tromper l’individu pendant des années, se révélera vaine comme toutes celles du même ordre qui l’ont précédée [5].

Une nouvelle oppression s’ajoute aux anciennes

L’unité identitaire - qu’elle soit corporatiste, religieuse ou nationaliste - ne contient nullement la remise en question du système responsable de ces souffrances. Bien au contraire, en renforçant des structures de pouvoir (églises, États, régions, corporations) elle ajoutera de nouvelles sources d’oppression aux anciennes. C’est bien en ces termes qu’il nous faut réfléchir. Que le capitalisme soit mondialisé ou apparemment balkanisé, il continuera à opprimer les individus et à détruire la planète. De plus, il est clair que le potentiel d’affrontement intercommunautaire en sera d’autant renforcé. Si ce dernier point réjouit les fascistes (et leur permet d’ailleurs d’infiltrer une certaine extrême-gauche «  antimondialiste »), son développement augure pour l’humanité de bien sombres perspectives !

Au cours du débat, un intervenant a bien sûr argumenté de la supposée contradiction qu’il y aurait pour le mouvement émancipateur dans lequel nous nous reconnaissons à ne pas défendre des « peuples », des «  cultures », qui peuvent aussi être opprimés en tant que tels. Même quand le fait est réel, il n’induit pas pour autant qu’on doive les défendre à ce titre. De même, nous ne dénonçons pas la disparition et probablement le «  meurtre propre  » de Jon Anza parce qu’il touche un «  Basque  » mais parce qu’il touche une victime du système étatique [6].

Dans le domaine de la «  culture  », nous devons opposer que la véritable culture signifie au minimum la possibilité du mélange et de la réflexivité. Hors, les traditions, les croyances, qui refusent toute mixité et toute critique, entraînent les individus et les groupes dans des processus de ghettoïsation intellectuels et sociaux. Ce sont des processus qu’en tant que tels nous n’avons pas à soutenir. Les affubler, comme on le fait aujourd’hui, du terme relativiste de «  cultures plurielles » n’est qu’une manipulation supplémentaire.

Constatons pour finir que ce n’est jamais pour rien que le pouvoir favorise des concepts aussi flous, que ce n’est pas pour rien que, là où les notions de métissage et de mélange avaient le mérite de la clarté, celle bien plus vaseuse de « multiculturalisme » (qui renvoie in fine à la nécessaire « pureté » de chacune des « cultures ») tend à les supplanter. Le compartimentage par le biais des « différences culturelles » n’est en somme rien d’autre que le jeu historique du pouvoir qui divise pour mieux opprimer, et non celui du mouvement historique d’émancipation de l’humanité : ce mouvement pour lequel nous militons doit combattre les communautarismes de toutes sortes, qui, alors même qu’ils semblent antagonistes, se rejoignent pour s’opposer à l’expression révolutionnaire de la lutte de classe.

M.

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