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les retraites : un vrai «  faux problème »

Publié le 10 juin 2010

Depuis plusieurs années, nous sommes soumis à un matraquage médiatique qui a pour but de faire intégrer à toute la population une seule et même rengaine : du fait de l’allongement de l’espérance de vie (fort inégalement répartie d’ailleurs, mais cela n’intéresse personne), du fait de la concurrence internationale, du fait de tant d’autres choses, notre système de retraites va à l’asphyxie, il ne sera plus possible de payer, etc., etc. Une simple observation de la réalité économique montre que ces longs et prétentieux discours constituent purement et simplement une manipulation.

En effet, le problème de base, c’est de savoir à qui vont les «  bénéfices  » dégagés par toutes les activités de production (ce qu’on appelle en gros en langage économique la «  plus-value » ou la « valeur ajoutée  »).

les chiffres parlent

Or, sur ce plan, les chiffres parlent. Voici ce qu’ils disent. Citons un document incontesté du très officiel INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) [1]  : en 1981, les trois quarts (74 % exactement) de la création de richesse produite en France allaient aux salariés. En 2009, ce pourcentage était tombé à 65 %  !

Le constat est donc simple : la part de la production que les travailleurs reçoivent a diminué de presque 10 % en moins de trente ans. Cela représente des sommes fabuleuses qui permettraient à elles seules de régler «  le problème des retraites  » si on le voulait.

En effet, en France pour la seule année 2009, la valeur ajoutée produite a été de 1 434 milliards d’euros. Si la répartition s’était faite dans les mêmes proportions qu’en 1981, 1 061 milliards d’euros auraient dû aller dans la poche des salariés. Dans la réalité, ils n’ont reçu que 932 milliards, soit une perte pour eux de 129 milliards. Ce qui est très supérieur aux 100 milliards d’euros de déficit prévu «  pour le déficit des retraites  » par le gouvernement à l’échéance 2050. Autrement dit, il suffirait de reprendre dans les bénéfices des patrons et des actionnaires la part supplémentaire de ce qu’ils nous volent annuellement (par rapport à 1981, époque à laquelle ils ne se gênaient déjà pas pour nous plumer) pour régler définitivement le problème  !

Ce simple calcul, peu de gens le font, tant à gauche qu’à droite. A droite, on les comprend. A gauche aussi, car la chute de la part des salariés s’est essentiellement produite de 1983 à 1987, c’est-à-dire pour l’essentiel sous un gouvernement de gauche (soutenu par les socialistes, les communistes et autres verts).

On comprend pourquoi les socialistes préfèrent regarder ailleurs quand il s’agit de proposer des solutions au problème des retraites : ils devraient commencer par faire leur autocritique ! Peu désireux de la faire, ils se placent délibérément sur le terrain de la droite, et cherchent à nous convaincre qu’il est indispensable de travailler plus longtemps.

Si ce n’était une arnaque très pénible pour tous les salariés, il serait amusant de constater que, dans une période de chômage de masse pour la jeunesse, le gouvernement cherche à maintenir de force au travail les personnes de plus de 60 ans, dont certaines (bâtiment, agriculture, métallurgie, santé,...) arrivent déjà épuisées à cette première limite  ! Ce qui montre qu’on est ici non dans une logique économique imposé par le «  besoin » mais dans un discours purement idéologique.

le problème des retraites, c’est notre échec dans la lutte des classes

La répartition actuelle de la valeur ajoutée montre que la victoire de Mitterrand en 1981 a constitué une grande défaite pour les travailleurs. Ce que toute la classe politique de gauche a présenté comme une libération, s’est avéré être la plus grande escroquerie que les possédants aient organisé contre nous.

Constater que la part des salaires dans la valeur ajoutée, s’est effondrée de 1983 à 1987 (et n’a pas récupéré depuis), c’est une autre façon de constater que l’exploitation s’est faite plus forte.  En effet, les travailleurs, qu’ils soient dans le secteur des biens ou celui des services, produisent 100 % de la richesse par leur travail (et non une simple part comme le prétendent les écono-crétins qui enseignent l’économie dans les facultés), et une partie de celle-ci est volée par le patron. Plus la part volée par le patron est grande, plus forte est l’exploitation.

Pour les retraites, il ne s’agit donc pas d’un problème démographique comme « on » nous le dit à la quasi-unanimité, mais bien d’un problème politique et social.

Outre le gouvernement, le parlement, les médias et les partis politiques, d’autres comédiens sont dans la danse  : les centrales syndicales. Tout comme les «  forces politiques de gauche  », elles sont partie prenante dans cette vaste escroquerie et, faites leur confiance, elles vont remplir leur mission encore mieux que d’habitude.

Après avoir fait semblant d’ergoter sur des détails, elles sont en train d’organiser un enterrement de première classe pour un mouvement qui n’a même pas commencé ! Le tout sur fond de «  négociations » interminables (histoire d’endormir le public) avec le patronat et l’Etat, négociations dont pas grand chose ne transpire. Pour une raison également simple  : les centrales syndicales sont là simplement pour «  accompagner » l’étranglement progressif des retraites. Elles jouent le jeu de ces psychologues que le pouvoir se dépêche d’envoyer sur les lieux de chaque catastrophe  : vous faire accepter ce qui s’est passé (car «  on n’y peut rien  », n’est-ce pas, ma pauvre dame  ?), sans que vous vous posiez trop de questions sur les responsabilités et surtout en vous enlevant toute envie d’agir contre les responsables.

C’est comme cela qu’il faut comprendre la promenade nationale que les syndicats viennent d’organiser dans une assez belle unanimité ce 27 mai, afin que les plus crédules continuent à croire qu’ils servent à quelque chose. Avec les examens (pour les étudiants) et les vacances (pour ceux qui peuvent se les payer) qui approchent, les bureaucrates espèrent bien que ce mouvement ne prendra pas, et que cette manif aura pour toute fonction celle de l’os en plastique que l’on jette à un chiot pour tromper son impatience.

les syndicats ne capituleront pas car ils ont déjà négocié
Même si par hypothèse leur base les poussait (ce qui est l’espérance illusoire des gauchistes et libertaires syndiqués à la CGT, à la CFDT, à Solidaires, FO et autres UNSA), même si dans ce cas elles étaient obligées d’aller un petit peu plus loin, elles ont, par avance, non pas capitulé (ce qui supposerait au départ une volonté de se battre) mais négocié les privilèges individuels de leurs bureaucraties contre les retraites de tous.

L’affaire des retraites démontre avec force combien la stratégie adoptée majoritairement par les militants et organisations libertaires depuis des décennies et qui consiste à se syndiquer dans les «  grandes centrales  » «  parce que c’est là où sont les travailleurs » jointe à la pratique de ces mêmes libertaires de co-signer avec les syndicats des tracts et autres appels, de participer à leurs défilés et rassemblements... constitue une erreur tragique. 

Ceux qui ont joué (et continuent de jouer) cette carte se sont non seulement jetés tous seuls dans la gueule du loup, mais, en servant de faire-valoir à ses organisations ils ont largement contribué à rendre impossible à ce jour l’émergence d’une véritable organisation autonome de la classe exploitée qui aurait été bien utile dans les circonstances actuelles  !

Les militants de la CNT-AIT n’ont pas arrêté de répéter cette évidence sans trop de succès à ce jour. Peut-être la déroute qui s’annonce dans la «  bataille  » des retraites constituera-t-elle pour cette militance l’électrochoc qui l’amènera à remettre en cause des pratiques socialement suicidaires  ? Nous ne pouvons que l’espérer et, pour notre part, nous ne cesserons de travailler au développement des capacités d’autoorganisation et de lutte de tous les exploités, avec la conviction qu’au vu de ce qui se passe et de ce qui se prépare, ce n’est pas simplement les retraites qu’il faut défendre dans un mouvement de résistance contre l’aggravation de l’exploitation et de la misère, mais bien ce système économique et politique qu’il faut mettre par terre et remplacer de fond en comble.

Economicus Simplex

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