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Mille et une nuit à chercher leur lumière

Publié le 9 mai 2011

De Rabat (Maroc) à Sanaa (Yémen), l’histoire semble s’accélérer.
Les régimes mis en place par l’Empire capitaliste semblent
s’effondrer les uns après les autres. Toutes les dimensions
économiques ou politiques sont devenues avec le temps un enjeu
international. On parle de stabilisation de la région, de lutte contre
le terrorisme, de protection d’Israël... mais aussi du prix du
pétrole, du canal de Suez, de l’Iran. Les changements à venir risquent
de déstabiliser en premier lieu l’ordre du « monde américain
 ».

Les politiques occidentaux paraissent
être tiraillés d’un coté par leurs
intérêts nationaux, c’est-à-dire tous les
bénéfices qu’ils peuvent tirer pendant
leurs mandats de présidents, de ministres,
de députés (l’eau va toujours à la
rivière) ; et d’un autre coté par l’intérêt
suscité par leurs « populaces » pour
ces révoltes. L’argent contre l’opinion
 : une contradiction de plus de la
démocratie parlementaire.

Ben Ali Dégage ! Moubarak Dégage ! Khadafi Dégage !

Voici les mots d’ordre de la contestation
dans les pays arabes. Les dictateurs
présents depuis des décennies
n’ont plus du tout la côte. Ils sont un
frein aux libertés d’expression, syndicales,
de réunion... mais peuvent l’être
aussi à celle d’entreprendre. Partout, on
s’émeut de ces révoltes, on semble être
solidaire, mais « les révolutions » passionnent
autant qu’elles font peur. On a
peur de l’immigration ; peur que le
mouvement s’étende aux pays soucieux
de donner plus de coups de bâton que
de carottes ; peur que ça déclenche des
événements incontrôlables ; peur que ça
renforce la chimère Al-Qaïda ; peur que
les prix grimpent ; en gros, peur de tout.

Après des décennies de lessives
cérébrales, la terreur est là. On a fait des
travailleurs pauvres des terroristes en
puissance, puis de mauvais laïcs comme
les mauvais chrétiens autrefois. Même si
des événements s’enclenchent le plus
souvent après la prière du vendredi, les
révoltes se dérouleraient au-delà du
cadre religieux. L’influence des confréries
musulmanes comme « les Frères
musulmans » reste pour l’instant dans « 
l’humanitaire », pour autant on sent qu’il
y a des arrières pensées. Elles attendent
certainement les élections et la légalité
pour s’exprimer. Légalité qu’elles pourront
exploiter grâce aux magnifiques
démocraties parlementaires acquises. Le
parlementarisme reste la seule optique
en vue. Belles « révolutions » que de
réclamer l’aide de l’armée pour la garantir,
on dirait presque le scénario portugais
de l’année 1974, lors de la transition
« démocratique ».

Les dictatures placées depuis belle
lurette par nos gouvernements respectables
résistent tout de même. On pensait
la Tunisie et l’Égypte tirées d’affaire,
nous verrons bien pour la Tunisie, mais
il semble que pour l’Égypte ça soit parti
du mauvais
pied. La cour
militaire égyptienne
du Caire
a condamné un
blogueur à trois
ans de prison
pour avoir critiqué
l’armée sur
le réseau social
F a c e b o o k .
L’armée égyptienne
garante
de la liberté
d’expression a tout de même œuvré
contre elle. Elle œuvre aussi à convaincre
« (non) démocratiquement » les étudiants
encore présents sur la place
Tahrir de rentrer chez eux. La grande
vague de contestation, selon les journaux,
a été initiée par les utilisateurs de
Facebook et de Twitter. Comme chacun
le sait, ces pays sont à la « pointe de la
technologie », chaque classe sociale, surtout
les plus défavorisées, a accès sans
limite à l’Internet, surtout... quand il
est coupé à plusieurs reprises. Tout
Egyptien, Yéménite, Tunisien, Syrien,
etc. a un salaire à mettre dans le matériel
informatique. De fait, celui qui a faim
ne peut pas se payer le luxe d’avoir un
abonnement Internet. Son éducation
même ne lui permet pas de pouvoir
exposer sa vie au grand jour sur
Facebook. Ce qui, dans ce cas, voudrait
dire que la contestation est l’oeuvre des
classes moyennes et bourgeoises, et non
des classes populaires, ce qui est évidement
faux.

Les classes populaires demandent une
baisse des prix de l’alimentaire, alors
que les classes moyennes ayant des intérêts
de classe, divergent, contestent le
pouvoir. Comme lors de Mai 68 en
France, où les étudiants petit-bourgeois
demandaient que de Gaulle quitte ses
fonctions, et que l’ouvrier lui demandait
une augmentation de salaire. Deux
poids deux mesures. Les révoltes en
cours ne sont-elles pas parties de l’augmentation
des prix des denrées alimentaires
 ; dans ce cas ne s’agit-il pas de la
récupération de la contestation des classes
populaires par les classes moyennes
 ?
Ce qui
hi s tor i q u e -
ment s’est
déjà produit.

Les réseaux
sociaux perm
e t t e n t
aujourd’hui
de préparer
des manifestations
politiques
mais
dans quelle
mesure ? Par
son étendue, l’Internet possède un
avantage que n’ont pas les médias traditionnels
 : radios, chaînes de télévisions,
journaux papiers, etc., les uns contrôlés,
les autres interdits par l’État. Alors que
pour l’instant l’Internet est moins soumis
que les autres supports. Mais son
rôle dans les émeutes parait être bien
plus modeste que ce qu’affirment nos
médias (qui sont eux aussi d’État ou à la
solde du Capital).

La surexploitation du phénomène
permet d’occulter bien des sujets. Par
exemple la différence qu’il y a entre
république et monarchie. Tout comme
les dictatures républicaines, les monarchies
sont nombreuses dans la région.
On n’en compte pas moins de cinq : le
Maroc, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, les
Émirats Arabes unis, et le Bahreïn.
Comme au beau royaume d’Espagne,
on ne remet pas en cause la souveraineté
héréditaire. Un bon garant de l’État,
c’est un homme (de préférence) intouchable.
Un homme entouré d’une aura
sacrée, on ne touche pas au roi sauf
quand il n’est pas de sa religion comme
c’est le cas en Bahreïn. Par ailleurs, on
désire que le bon souverain, dans sa
grande sagesse, ait la bonté de bien vouloir
accepter de concéder quelques
libertés à ses sujets respectifs, par une
constitution plus favorable à la libre
expression des opinions qui se valent.
C’est ce qu’ils appellent aujourd’hui
révolution. Au grand Califat des réacs,
on veut une liberté très encadrée. S’ils
ne sont même pas capables de remettre
en cause ce type de régime, je ne vois
même pas comment on peut parler de
révolution, mais dans les gros titres ça
fait vendre. La révolution ce n’est pas
contester le vilain dictateur pour en
avoir un gentil. Ce n’est pas réclamer
quelques miettes à ses maîtres, ce n’est
pas casser une vitrine ou brûler une effigie.
C’est faire une rupture idéologique
nette. Lors d’une révolution, on ne fait
pas dans le réformisme. On met en
place un projet de société, pas un plat
réchauffé venu d’Europe. On ne prie
pas le dieu pour que tout ce déroule
bien. On prend les armes, mais pas
comme en Libye où c’est un cirque
monumental. On ne fait pas dans le
compassionnel, le pathétique, le misérable.
On a la rage ! On brise les chaînes !
Mais avec le vide idéologique actuel
c’est remettre la partie à demain.

Le Sucre, l’huile et la Farine

Les émeutes, révoltes et insurrection
(cas de la Libye, devenu depuis une
guerre civile) paraissent être d’emblée
une contestation du pouvoir en place,
mais c’est sur le terrain de la subsistance
que le nid de la révolte est né. La
contestation est partie de Tunisie d’un
mouvement contre la vie chère. Les prix
de l’alimentaire, tout comme en 2008
lors des émeutes de la faim, ont explosés.
Les prix du sucre de l’huile de la
farine battent des records, ceci à cause
de la pénurie mais aussi de la spéculation,
conséquence de la mise en bourse
des denrées de base.

La crise économique que nous traversons
actuellement a pour seule explication
un système économique totalement
inadapté au développement
humain, n’en déplaise aux économistes
modernes. Le développement mondialisé,
peut ébranler en quelques semaines
plusieurs « économies nationales »,
devenues les unes des autres interdépendantes.
Ce développement économique
est basé sur l’inégalité entre les
individus, les régions. Sa production de
masse a créé une consommation de
masse. Les ressources matérielles limitées
par l’environnement se font rares
dès que celles-ci deviennent un attrait pour l’industrie. Par exemple le pétrole,
qui à cause du « développement
humain » devient de
plus en plus rare. Le
monde a pris la dimension
d’un village. Il
transforme la moindre
crise systémique en
cataclysme pour les
salariés, des régions
entières ou bien même
pour le village-monde.
La crise de 2008 traduit les dérives
incontrôlables et incontournables du
capitalisme. N’ayant que l’argent
comme seule loi ou motif de vie, il
casse, brise, restructure etc. Les inégalités
de classe soulignent les tensions, les
mets en gras.

Parfois comme lors des Trente
Glorieuses (1945-1973), il paraissait que
ces inégalités se résorbaient, et à terme
selon les experts, disparaîtraient. Mais
c’était sans compter sur les crises de
surproduction, de la main-d’oeuvre bon
marché des pays dits émergents, des
chocs pétroliers successifs. L’idéologie
libérale a triomphé sur le communisme
autoritaire (capitalisme d’État) de l’union
soviétique, la tendance aux crises
s’accéléra. Les pays autrefois concurrents
idéologiquement, sont devenus
concurrents économiques (exemple la
Chine et les USA).

La crise se traduit par un taux de
chômage en hausse. La spéculation
financière fait éclater le cours des denrées
les plus primordiales, par exemple
le blé. Et pourtant, à notre connaissance
aucune contestation du capitalisme
n’est d’actualité dans les « révolutions »
arabes. Ceci pourrait être expliqué par le
manque d’une idéologie claire et anticapitaliste,
mais aussi par le fait que le fer
de lance de la contestation est incarné
par les classes moyennes, qui elles, veulent
accéder à la société de consommation.
Unis dans la circonstance, classes
moyennes et populaires combattent un
ennemi commun : leur dictateur. Mais
une fois le calme revenu, les intérêts de
classes feront apparaître des contradictions
que ne pourront pas effacer un
nouveau régime. Les régimes d’hier
peuvent être vécus par les classes privilégiés
comme une barrière à la libre circulation
des capitaux et des marchandises.
Car il est vrai que ces régimes
archaïques sont un frein à la consommation
et à l’échange mondialisé, ce qui
modifie par là les jeux géostratégiques
traditionnels. Qui, de fait,
empêcherait les Chinois
ou les Russes de rafler
des contrats ? Les
multinationales
occidentales ne
permettent pas
une concurrence avec
les entreprises des pays rivaux.
C’est pour cela que les États
occidentaux furent flous sur
leur position jusqu’à la chute
du président Moubarak.
Mais leurs intérêts sont des
intérêts d’argent.

Il ne s’agit pas de révolutions

Ces révoltes apparaissent premièrement
à cause d’un contexte économique
désastreux, deuxièmement du fait que
ces pays sont soumis à des dictatures
violentes et répressives. L’impuissance
du pouvoir face à l’aggravation de la
misère, fait déborder - hors cadre des
organisations traditionnelles

  • une
    contestation spontanée.
    Dans ce cas,
    les révoltes actuelles
    se tournent
    contre l’oligarchie
    bourgeoise installée
    par l’Occident
    depuis des décennies.
    Il ne s’agit pas
    de révolutions car
    l’absence criante
    d’idéologie subversive
    fait place à la
    demande d’accéder
    à des régimes
    pa r l ement a i r e s
    pour le mieux, ou
    à des dictatures
    light pour le pire.
    L’armée jouant le
    rôle principal dans
    une transition vers
    le parlementarisme,
    pourrait bien à
    tout moment ne
    plus aller vers
    quelque transition
    que ce soit,
    comme cela risque
    d’être le cas en
    Égypte où l’armée
    a décidé de décaler
    les élections.
    La crise économique
    a déjà fait passer auparavant des
    pays dans la contestation. Et cela dans
    des pays européens comme la Grèce, ou
    l’Islande qui révise en ce moment sa
    constitution. Un nouvel ordre mondial
    risque d’émerger, fragilisant les USA et
    leurs alliés, renforçant les pays nouvellement
    industrialisés. Les révoltes ne sont
    pas d’essence anticapitaliste, mais réformiste.
    Que ce passera-t-il si les gouvernements
    nouvellement constitués en
    Égypte et Tunisie ne répondaient pas
    aux attentes ? La réponse, c’est le bâton
    à défaut de la carotte. Et que ferionsnous
    si une telle situation apparaissait
    en Europe ? Les prix y ont aussi augmenté,
    l’austérité est présente au quotidien.
    Et quel discours tiendrons-nous,
    anarchosyndicalistes, dans une telle
    situation ? Nous devons combler le vide
    idéologique par le projet communiste
    libertaire.

Øystein-
Avril 2011- Caen

Des nouvelles de Misrata

Alors que les nouvelles de Misrata se font de plus en
plus rares dans les médias français, des informations
sont diffusées par un groupe de jeunes, venus sur place.
Nous avons malheureusement appris que l’un des auteurs
de ces témoignages et articles, Baptiste, a été grièvement
blessé par balle. (voir : enroute@riseup.net). « ... une balle
perdue des forces kadhafistes l’a gravement blessé dans une
rue de Misrata. Il a connu et nous connaissons avec lui ce
que vivent les gens de cette ville depuis deux mois, quand ils
se déplacent dans la rue, défendant leurs quartiers ou leurs
maisons des armes de Kadhafi, ou font simplement leur
vaisselle dans la visée d’un sniper. Soutenir le peuple veut
aussi dire assumer les risques qui sont les siens. Nous sommes
venus ici avec lui depuis plus d’un mois pour soutenir
cette révolution, et ce soutien, nous l’exprimons par les différents
médias libres auxquels nous participons sur internet.

Dans cette guerre, rendre visible la vie qui s’invente,
c’est un front en tant que tel. Et, si nous avons pu amener
de la force à ceux qui luttaient c’est surtout en étant présents
auprès de Libyens à des moments ou ils se sentaient
abandonnés par toute la Terre. La blessure qu’il a reçue au
cou oblige maintenant Baptiste à être opéré rapidement hors
de Libye, pour survivre. Seul un hélicoptère médical pourrait
l’évacuer. Nous remercions les amis libyens qui nous
ont aidés depuis notre arrivée, et qui, pour la plupart, ont
déjà vécu plusieurs expériences similaires depuis le début de
la révolte. Les insurgés ne sont pas les simples victimes d’un
tyran, se sont des hommes libres qui ont décidé comment
vivre ou mourir.

D’après : Des reporters freelance amis de Baptiste
http://setrouver.wordpress.com/

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