Guerre d’influence en afrique
Publié le 9 mai 2011
Le 11 janvier 2011 Michelle Alliot-Marie, alors ministre des affaires étrangères, au cours d’une séance de l’Assemblée nationale, proposait, en des termes à peine voilés, une intervention militaro-policière
française en faveur de celui qui exerçait encore sa dictature en
Tunisie, Ben Ali : « Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type. »
Le 19 mars 2011, ce fameux « savoir-faire
» que le monde entier nous envie
était enfin déployé : les premières frappes
françaises s’abattaient autour de la
ville de Bengazi (Libye), cette fois-ci,
pour soutenir des insurgés en armes
contre une autre dictature, celle du colonel
Kadhafi.
En à peine un peu plus de deux
mois donc, nous avons assisté à un
retournement de
position diplomatique
tel que l’histoire
en a rarement
connu. Le fait que
de s chefs d’État,
hier grands amis,
soient maintenant,
en l’espace de si peu
de jours, dénoncés
comme des tyrans à
abattre nous démontre d’abord l’importance
du signal lancé par la révolution
tunisienne du 14 janvier 2011, mais souligne
également qu’il faut comprendre
les événements sur venus à sa suite dans
un contexte géostratégique mondial,
dominé par l’affrontement des intérêts
occidentaux et chinois.
Bien que peu d’informations aient
été diffusées à ce sujet dans le grand
public, il faut savoir, entre autres choses,
que la Chine se taille actuellement la
par t du lion dans les grands projets africains.
Elle « ... rafle depuis des années nombre de projets d’Est en Ouest et du nord au sud.
En 2008, les investissements chinois représentaient
7,8 milliards de dollars, la plupart portant
sur des projets d’infrastructures. En
Afrique de l’Ouest, c’est le Niger qui en 2010
a attiré les Chinois avec un flux d’investissements
de 184 millions de dollars, suivi du
Bénin (54 millions), de la Côte d’Ivoire (37
millions), de la Guinée-Bissau (27 millions) et
du Sénégal (26 millions). » [voir sur cette page web] Marxiste ou
pas, la Chine ne fait pas du bénévolat
mais s’assure ainsi des marchés. Déjà
« ... la région subsaharienne est dépendante
d ’une demande en produits chinois.. ».
Surtout elle s’assure la fourniture à bon
compte de matières premières et d’énergie
: « Un quart des ressources énergétiques de
la Chine provient de l’Afrique [1] »
Cet expansionnisme économique de
la Chine est soutenu par la compétitivité
de son économie dans un climat de
tension monétaire. De réunions inter nationales
en conférences au sommet, les dirigeants des pays occidentaux n’ont plus qu’un objectif, fondamental : rééquilibrer
les balances commerciales en leur faveur. Pour cela, il leur est
nécessaire d’obtenir une réévaluation significative de la monnaie chinoise (le Yuan). A leurs yeux, actuellement, seule cette réévaluation serait en mesure d’affaiblir la compétitivité des
produits chinois sur les marchés internationaux. Pas fous, les dirigeants chinois s’y refusent avec beaucoup d’obstination.
Nouvelle Donne
Ne pouvant obtenir satisfaction par
de bonnes paroles, les dirigeants américains
ont ajouté une corde à leur arc
stratégique en cherchant à déstabiliser
concrètement les intérêts économiques
et politiques chinois sur le continent
africain. Le « la » a été donné par le
« Discours du Caire » prononcé par
Barak Obama en juin 2009 dans une
capitale qui joue le rôle de caisse de
résonance pour le monde islamique et
africain. Celui qui était alors le tout nouveau
président des États-Unis y affirmait
deux grandes choses. D’abord que
l’Islam devait être reconnu comme une
force politique. Ensuite et sur tout que
les peuples du continent avaient enfin le
droit de choisir librement leurs gouvernements,
« pour et par le peuple » disait-il
! L’absence de tout propos positif
envers celui qui était pourtant son hôte
du moment, le président Moubarak,
venait, en creux, renforcer ce dernier
propos. Le message était finalement
facile à décoder, tant par les dictateurs
locaux que, par ricochet, par les concurrents
chinois.
A compter de ce moment, l’interventionnisme manichéen des années
Busch et son « axe du mal » cédait, sans
abandonner la lutte armée contre le terrorisme,
la place à un discours plus
nuancé sur l’Islam mais aussi plus idéaliste,
qui n’est pas sans rappeler sur ce
point celui qui a soutenu la décolonisation
dans les années 50 ou celui qui a
produit l’effondrement, mettant en jeu
la pression des populations, des régimes
de l’est de l’Europe à la fin des années
80. Face à ce qui s’annonçait comme un
virage de la diplomatie américaine, fondamental
et clairement affiché, la diplomatie
française a eu un temps de retard.
La Cour du locataire de l’Elysée, toute à
son adulation du maître des lieux, n’a
pas percuté. Elle a poursuivi ses petits
commerces coupables avec tous les
despotes locaux. Ces derniers, bien que
l’avertissement ait été clair, n’ont pas
non plus pratiqué les « ouvertures »
nécessaires. S’étant rangés sous la bannière
de la croisade Bushiste contre les
« forces du mal », ils pensaient avoir
donné suffisamment de gages de soumission
et poursuivre leurs pillages en
toute tranquillité.
Surpris par la révolution tunisienne,
encore sonné par la révolution égyptienne,
le gouvernement français a fini
par comprendre le sens de ce processus
visant in fine à ralentir l’expansionnisme
chinois. Le prix à payer par le gouvernement
français pour reprendre pied en
Afrique (c’est-à-dire le « sacrifice » de
quelques vieux dictateurs jusqu’ici
« amis de la France ») est négligeable au
regard de l’importance de la guerre économique
et sociétale qui se déroule dans
cette zone au carrefour de l’Orient et de
l’Occident et dans laquelle les capitalistes
français possèdent de forts investissements
qui pourraient bien faire les
frais de toute « erreur » de manœuvre
politique. [2]
C’est cette prise de conscience tardive mais profonde qui explique la rapidité
du retournement spectaculaire de la
diplomatie française devant les révolutions
des pays d’Afrique du Nord et du
Moyen Orient. L’intervention militaire
en Libye découle de cette volonté de
compenser les erreurs d’appréciation
commises au départ. Si les causes de
l’intervention militaire en Libye sont
donc, somme toute, banales, les circonstances
dans lesquelles elle se déroule le
sont beaucoup moins.
La Chine, pays considéré il y a de
cela à peine quelques années comme
« en voie de développement » n’est pas
seulement devenue la deuxième puissance
économique mondiale, elle est le
créancier des USA qui traversent de graves
difficultés économiques. Pour fixer
les idées, en octobre 2010, la chine détenait
1 175 milliards d’avoirs de la dette
publique des États- Unis.
Ainsi décryptés, les événements qui
se succèdent depuis le soulèvement en
Tunisie dans un nombre croissant de
pays pourraient ne constituer que la
énième lutte intestine de clans capitalistes
(capitalistes d’état, capitalistes libéraux...)
dans la conquête ou la conservation
de leurs privilèges. Cependant,
au-delà de cette première analyse, il faut
être attentif aux moyens d’action choisis.
Pour déstabiliser son adversaire et
retrouver toute son influence, le pouvoir
US, se sachant gravement menacé
de déclin, a choisi une stratégie indirecte.
Il a lui-même levé le drapeau de la
liberté et de la justice sociale dans des
pays écrasés par les dictatures et les
injustices. Certes, il envisage de remettre
ce drapeau dans sa poche dès que ses
objectifs seront atteints. Il sait qu’il
pourra compter pour cela sur les « élites
» universitaires, médiatiques, politiques,
économiques locales. Mais l’histoire
nous apprend que, parfois, ces
stratégies indirectes, pour machiavéliques
et habilement construites qu’elles
soient, peuvent se retourner contre
leurs auteurs : les puissants qui lèvent
hypocritement le drapeau de la liberté et
de la justice peuvent y laisser quelques
plumes si les peuples les prennent au
mot.
Retournement de situation
Il fut ainsi un temps ou les grandes
puissances du monde étaient la France
et l’Angleterre. Lorsque la monarchie
française, dans les années 1780, sentit
que son hégémonie allait être définitivement
confisquée par l’Angleterre, elle
choisit elle aussi une habile stratégie
indirecte. Bien décidée à mettre des
bâtons dans les roues de la puissance
anglaise, la diplomatie française décida
de soutenir ceux des sujets de sa
Gracieuse majesté britannique qui, aux
Amériques, se révoltaient. Ces derniers
constituaient un front hétéroclite allant
des pires racailles racistes et esclavagistes
à des penseurs aussi avancés que
Thomas Paine, tous cependant abhorraient
l’idée de monarchie. Faisant fi de
ce point, qu’il considérait certainement
comme un détail, et parce que son
objectif réel était d’affaiblir l’Angleterre
coûte que coûte, le pouvoir français
n’hésita pas. Au moment où les
« Insurgents » se trouvaient dans une
situation particulièrement critique, la
monarchie française leur apporta un
soutien militaire qui se révéla décisif,
contribuant ainsi à développer l’enthousiasme
pour les idées nouvelles... et
contribuant ainsi probablement, et fort
involontairement, à sa propre chute
quelques années seulement après...
L.