Accueil > Réflexions > Auto-organisation > Les assemblées populaires en débat

Les assemblées populaires en débat

Publié le 17 juillet 2011

  « C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner »

Pour bien savoir où nous en sommes, n’oublions jamais les mots de Warren
Buffet. En 2008, ce milliardaire américain, a résumé la situation politique et
sociale mondiale avec la plus grande clarté : « C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner ».

Ces derniers mois, à force de crises successives et de dettes inépongeables,
cette guerre de classes a connu dans le monde une soudaine accélération.
Aussi, les militants anarchosyndicalistes doivent-ils analyser aussi finement
que possible les questions stratégiques qui se posent en ce début de XXIe siècle, dans un contexte nouveau : celui de masses qui se mettent en position d’élaborer leurs stratégies de façon autonome dans un environnement technologique dont l’impact est considérable sur cette mobilisation.

Intelligence collective des masses

Nous le soulignons depuis le soulèvement populaire tunisien : depuis le
15 janvier 2011, les masses avancent et arrivent à gagner des batailles, sans
chefs, sans partis ni syndicats et de plus en dehors de tout corporatisme ou
chauvinisme. Ce que nous sommes en train de vivre, ce n’est pas une simple
péripétie, c’est une véritable rupture historique avec le XXe siècle. Les
« avant-gardes » éclairées (ou auto-supposées telles), les glorieux leaders qui se sacrifiaient pour diriger (et tout aussi souvent pour trahir), les grands partis qui savaient tout et les syndicats de masse qui, tout en étant un peu pourris, défendaient-tout-de-même-les-travailleurs…
tout cela est en train de partir aux poubelles de l’histoire, et c’est
tant mieux.

Le dernier exemple en date, celui de l’Espagne, est particulièrement éloquent. L’auto-organisation assembléiste est devenue l’outil stratégique principal de la population en lutte. Depuis la fin du mois de mai, elle se regroupe autour d’Assemblées populaires de quartiers.

Là où elles se tiennent de façon autonome et massive, ces AP expriment
déjà ce que peut être la force des masses exploitées qui, par le biais de la
libération de la parole et de l’occupation de la place, mettent en échec la
stratégie d’atomisation du capitalisme. L’individu n’y est plus un « administré » isolé face à l’Etat, n’y est plus un « contrat de travail » particulier face à
son patron, n’y est plus un microentrepreneur craignant le lendemain,
non : il retrouve, au milieu des autres, des points communs qui vont lui servir à ébaucher des perspectives communes. Les premiers actes de solidarité sont venus confirmer cette promesse de puissance potentielle.

Les A.P. dans l’Action

Ainsi le 4 juin l’AP de Carabanchel [1] met-elle spontanément en échec une tentative de rafle policière : des travailleurs sans-papiers, arrêtés dans le métro, sont relâchés sous la pression de la foule qui, aux cris de « Aucun être
humain n’est illégal », encercle littéralement les policiers. Le 15 juin, cette
fois-ci de façon beaucoup plus organisée, une autre AP, celle de Tétuan [2], est
passée de la pratique de la démocratie directe à celle de l’action directe en empêchant les expulsions de locataires. Ce jour-là des centaines de personnes, massées autour des huissiers et des policiers, ont ictorieusement soutenu leurs voisins qui allaient être expulsés de leurs logements. Un député très connu de « Izquierda Unida » (les Mélenchons ibériques) venu faire son travail de récupération est copieusement hué lorsqu’il tente de s’imposer devant les journalistes comme représentant médiatique de l’AP.

Ces exemples démontrent parfaitement les capacités des classes exploitées
en mouvement, qui, dans une Espagne où la bourgeoisie avait réussi
à faire tourner la vie politique autour du régionalisme, se rassemblent maintenant sans drapeau (qu’il soit nationaliste, régionaliste ou partisan), dans les quartiers et les villages, et développent une intelligence collective qui comprend l’évolution des rapports de force, apporte des réponses
tactiques, gagne les esprits… toutes choses nécessaires pour passer
d’une position défensive à une dynamique offensive.

Tout se met en place comme si ces Assemblées, base actuelle d’un mécanisme de défense contre les prédateurs financiers et leurs
laquais, pouvaient demain devenir la future pierre d’angle d’une construction
révolutionnaire plus globale, en particulier en posant la question de la
légitimité. C’est ce que montre l’extrait suivant, tirée d’une déclaration de l’AP de Lavapiés [3], un autre quartier madrilène : « En agissant comme elle le fait,
l’Assemblée Populaire du quartier de Lavapiés vise à se transformer en l’organe souverain et légitime qui aura une pleine capacité de gestion et de régulation sur l’étendue de notre quartier ».

Plongée dans la guerre Psycho-médiatique

Cette question de la légitimité implique une réflexion sur la « violence
 », terme qui est aujourd’hui essentiellement négatif car il renvoie à une
colère impuissante et décalée quant aux objectifs poursuivis.

Depuis longtemps, nous savons (et nous ne sommes pas les seuls [4]) que toute action révolutionnaire extensive
doit viser à se gagner des sympathies. C’est dire l’importance de l’impact
psychologique de quelque action que ce soit et donc la réflexion qu’il faut
mener pour éviter qu’elle soit exploitée par l’adversaire qui dispose de la force de tir impressionnante que lui offre la coalition des médias [5]. C’est pourquoi
les aspects psycho-médiatiques sont devenus un paramètre fondamental de
tout conflit. Il se trouve que la « violence » est précisément ce qui est le plus
facilement exploitable par l’adversaire pour nous discréditer, pour retrouver
une position morale. C’est pourquoi il convient en particulier de retourner la
charge négative de la « violence » contre ceux qui en sont la cause fondamentale. Ce 19 juin, journée où il y eut dans toute l’Espagne des manifestations massives, certaines pancartes ex-primaient clairement cette
intuition stratégique des masses. « La violence, c’est le chômage et les
expulsions » proclamaient-elles [6]. C’est d’ailleurs pour contrer cette compréhension des sources de la violence que le pouvoir n’avait pas hésité quelques jours avant, le 15 juin, à envoyer des flics déguisés pour tenter de dévoyer l’action de blocage
du parlement catalan.

Le 19 juin encore, à Saragosse, 20 000 manifestants ont décidé de
prendre un immeuble au centre de la ville pour s’en faire des locaux, tranquillement. Comme ce fait, atteinte caractérisée à la propriété privée (celle d’une banque) n’était pas exploitable par la propagande de la classe dominante, les médias n’en ont pas parlé.

Dans cette guerre sociale du pouvoir contre le peuple, la propagande
médiatique ne peut pas diffuser en effet l’impuissance du pouvoir, c’est
pourquoi peu de gens savent qu’à Madrid le pouvoir n’à pas pu rafler des
sans-papiers, peu de gens savent qu’il n’a pu déloger de pauvres gens, qu’à
Saragosse, il n’a pas pu défendre la grande propriété immobilière… car en
aucun cas le pouvoir ne veut d’une population qui prenne confiance en ses
capacités propres et qui s’organise pour prendre ce dont elle a besoin. Par
contre, la propagande médiatique est là dès qu’elle a la moindre possibilité de démonter l’impuissance de la population.

La Grèce nous fournit un exemple flagrant de cette stratégie médiatique.
Dans ce pays, depuis des mois, il existe un mouvement, né spontanément,
qui s’auto-organise et s’étend « Den Plirono », c’est-à-dire « Je ne paie
pas ». Dans tout le pays ont lieu des autoréductions totales dans trois
grands domaines : les péages routiers, les transports en commun, les frais
médicaux [7]. Qui est au courant ? Quel grand média a multiplié les reportages
et les informations ? Par contre, dès
qu’une poubelle est brûlée place Syntagma, les images sont immédiatement diffusées
dans le monde entier. L’intérêt est évident
 : pour le pouvoir, annoncer que des centaines
de milliers de Grecs ne payent plus les autoroutes,
les transports… c’est ouvrir la porte à ce
que des millions d’habitants d’Europe en fassent
autant. A l’inverse, diffuser l’image de
quelques misérables projectiles lancés lors de
manifestations, bien encadrées et contrôlées par
des syndicats qui placent les salariés en position
de demandeurs (et donc en position de faiblesse),
ne sont que des cerises confites sur le gâteau
de sa rhétorique.

Quel rôle pour les Anarchosyndicalistes dans tout cela ?

Il me semble que ce que nous avons à faire
pour le moment, est de défendre au mieux l’émergence
des capacités de tout un imaginaire
collectif qui n’en est qu’à son premier stade de
développement.
En particulier, nous devons réfléchir à comment
déjouer des manoeuvres centralisatrices
ou visant à stériliser, à faire dévier de trajectoire
le processus en cours. Il faut donner du temps à
l’élaboration collective horizontale, à la maturation
des individus. Il faut comprendre que des
notions comme celles de « coordinations », de
« commissions », « d’actions » sont ambivalentes
et donc agir à cet égard avec discernement*6.
Ces notions peuvent être portées en effet de
façon constructive, mais ce sont aussi des
moyens de créer des fractions dirigeantes, de
recentraliser ou de faire le jeu du pouvoir par un
mauvais usage de la force collective.
L’enjeu est de taille. Si le mouvement assembléiste
perdure, il parviendra à élaborer un état
d’esprit général, une confiance du peuple en ses
capacités, à prendre son avenir en main. Alors,
ce qui n’est maintenant encore qu’un slogan
lancé dans les rues des ville ibériques, « Tout le
pouvoir aux assemblées » , sera demain une situation
extrêmement dangereuse pour le système
dominant, un slogan qui pourrait faire gagner la
guerre à notre classe.

M

Contact


Envoyer un message