Accueil > Société > Divers > SALE TEMPS POUR LE SYNDICAPITALISME

SALE TEMPS POUR LE SYNDICAPITALISME

Publié le 6 janvier 2012

Dans un monde qui s’écroule chaque jour davantage, après la faillite des banques et celle annoncée, attendue des États, il eût été étonnant que le séisme épargnât l’un des piliers de l’ordre social : l’institution syndicale officielle.

Les antiques pyramides syndicales, déjà largement fissurées, érodées par les atteintes cruelles du temps, bien moins fréquentées que jadis par des fidèles dont la foi vacille, se seraient volontiers passé de ces deux coups de boutoir qui viennent de leur être infligés en l’espace d’une semaine.

D’une part, le Comité d’entreprise (CE) de la RATP (Régie autonome des transports parisiens) vient d’être épinglé, la main dans le sac, par la Cour des Comptes ; d’autre part, la Commission d’enquête parlementaire qui menait des investigations (depuis 6 mois) sur le mode de financement des syndicats (toutes organisations confondues : salariés, patrons, agriculteurs) et qui devait rendre son rapport le 30 novembre 2011 voit ce rapport purement et simplement enterré dans la plus grande discrétion. Il est évident qu’un enterrement de cette nature ne peut laisser personne de marbre et que tenter de garder secret ce qui ne saurait le rester ne fait qu’exciter les curiosités (ce qui est peut-être le but de la manœuvre).

Penchons-nous dans un premier temps (avec un certain plaisir, il faut bien l’avouer) sur le cas tristement intéressant et néanmoins tout à fait scandaleux du CE de la RATP dont les gestionnaires ne sont autres que nos excellents petits camarades de la CGT. D’après « Libé » du 6 décembre 2011, la Cour des Comptes (magistrature spécialisée dans l’investigation comptable) conclut après enquête à un « dysfonctionnement généralisé, des sur-facturations récurrentes ». Une seule explication à tout cela. « Le caractère systématique des errements conduit à penser qu’ils ne sont la conséquence ni de hasards malheureux, ni de défaillances humaines. C’est un système de fuite des fonds confiés au CE qui apparaît. » Libé nous apprend que le budget annuel du CE est de 53 millions d’euros, que la fête annuelle qui a lieu au château de Fontenay-les-Briis (Essonne)coûte 447 000 euros (soit à peu près l’équivalent de la garden-party de l’Elysée en 2009). Des dirigeants du CE n’hésiteraient apparemment pas à profiter personnellement de la situation, selon la Cour des Comptes : «  Abonnements à des revues équestres, bouteilles de champagne à étiquette personnalisée pour un mariage, GPS, produits de beauté, etc.  ».

Pour parfaire ce portrait des mœurs syndicalistes des dirigeants du CE de la RATP, l’enquête révèle que les salariés du CE, au nombre de 600 (la RATP emploie autour de 40 000 personnes) sont pour le moins insatisfaits de leurs patrons cégétistes. La direction cégétiste a en effet été condamnée à 6 reprises par les prud’hommes et la Cour des Comptes évoque «  La brutalité des méthodes de management ». Un salarié témoigne : «  Les pires patrons sont souvent les syndicalistes, ils sont là seulement pour manger le gâteau. »

Bilan comptable accablant, climat social interne calamiteux ; le coup porté par cette enquête au CE cégétiste de la RATP est des plus rudes, d’autant que l’on apprend que d’autres enquêtes seraient en cours sur un certain nombre de CE (de la SNCF, d’EDF et d’Air France). Le Système, par l’entremise de ses « détectives de choc » feint de découvrir que les divers CE fonctionnent comme autant de pompes à fric qui alimentent les grandes centrales syndicales de façon parfaitement frauduleuse.

Pourquoi tant de haine de la part des autorités envers ces malheureux égarés dans les marécages méphitiques de la cogestion  ? Ont-ils simplement dépassé les limites de la bienséance et mérité par conséquent une sanction pour leurs méfaits ? Ou bien s’agit-il de la part des hautes sphères d’une tentative de déstabilisation généralisée des forces syndicales, parce qu’on a pressenti qu’en cas de secousse sociale de grande ampleur, elles ne seraient plus en mesure d’endiguer les flots de la colère populaire et que dès lors on pouvait se permettre de ne plus les ménager ? Toutes les lectures sont possibles et on peut aussi voir dans cette ambiance de guerre généralisée des gangs un abandon des règles de fair-play, des lois tacites qui prévalaient aux temps anciens : la non-ingérence dans les affaires internes.

C’est sans doute au deuxième temps de cette valse-hésitation du pouvoir, qui se demande s’il vaut mieux révéler ou taire, que l’on peut situer l’étonnant épisode du rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur le financement des organisations syndicales. Selon cette fois-ci « Le Monde » du 7 décembre 2011, la dite Commission a enquêté pendant 6 mois et a « auditionné une cinquantaine de personnes de toutes les organisations syndicales », or, le 30 novembre, « au moment de l’adoption du rapport, l’UMP se défile et le document est mis au pilon. Toute trace des auditions, comme du rapport définitif disparaît des archives de l’Assemblée nationale. Toute communication sur le texte final est proscrite sous peine de poursuites au pénal.  »

On ne peut évidemment que se perdre en conjectures diverses et variées quant au contenu sulfureux et apparemment dérangeant de ce fameux rapport ; on ne peut qu’échafauder toues sortes d’hypothèses sur les compromissions infamantes, les liaisons dangereuses que ce dossier devait receler et c’est sans doute l’objectif recherché (surtout après les révélations fracassantes sur les gestions frauduleuses des comités d’entreprise). Dans ce cas de figure, ne rien dire, c’est laisser supposer le pire...

Cette espèce de bombe à retardement, délicatement posée sous le siège confortable des organisations syndicales rentre sans doute dans le cadre des opérations de guerre électorale  : pour certains milieux réactionnaires proches du pouvoir et particulièrement attardés, le «  syndicalisme  », même dans sa version syndicapitaliste reste un ennemi. Il peut aussi s’agir d’une tentative de chantage : en échange d’informations qui jamais au grand jamais ne verront le jour, on demande aux centrales davantage de collaboration et d’efficacité dans leur rôle de gardiens de l’ordre social (ce qui est d’un injustice flagrante quand on connaît les efforts déjà déployées par les appareils syndicaux pour saboter les luttes). Quelles que soient les hypothèses formulées et quelles que puissent être les suites de ces deux affaires, le syndicapitalisme a du plomb dans l’île. A trop fréquenter l’ennemi, on en adopte les mœurs et les coutumes  !

Même s’il n’est pas déplaisant de voir des adversaires s’engluer dans le scandale, il faut garder à l’esprit que le moteur de la machine médiatique d’État fonctionne presque exclusivement au carburant-scandale. Les scandales nous sont déclinés à toutes les sauces et à tous les modes comme si la connaissance de la corruption généralisée pouvait être gage de démocratie et transparence. Toujours présentée comme un épiphénomène, un accident à la marge, la corruption est en fait le cœur mou du système.

_ Garga.

Contact


Envoyer un message