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ENTREPRISE NATAIS LE FEUILLETON NE FAIT QUE COMMENCER

Publié le 6 janvier 2012

Le 1er février 2011, pour la première fois de l’histoire de Nataïs, un noyau d’ouvriers auto-organisés se met en grève. Le 4, la grève est finie. C’est une victoire. Deux conditions l’expliquent. La première c’est la préparation, c’est-à-dire les débats, les échanges, menés longuement et discrètement entre ouvriers, loin des «  grandes oreilles  » patronales ou syndicales. La première condition en effet, c’est de faire émerger la conscience ouvrière nécessaire à l’action. C’est ce que le premier tract résumait d’une phrase : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux  ». La deuxième condition, c’est la marginalisation permanente des syndicats institutionnels. C’est le refus de leur laisser la moindre parcelle de pouvoir. C’est l’assemblée des grévistes qui décide, et elle seulement. C’est ça, le véritable syndicalisme ! « Ce qui s’est passé à Nataïs peut se passer partout  » écrivions-nous alors dans «  Anarchosyndicalisme  !  »..

Et, comme cela peut se passer partout, l’urgence, pour le patronat et ses complices, c’est d’abattre tout ça. Au déploiement de forces répressives lors de la grève succède maintenant une vague de licenciements… mais les petits grains de sable n’ont pas l’intention de se laisser balayer comme ça. C’est donc un long feuilleton qui entre dans un deuxième épisode.

Résumé de l’épisode précédent

Au milieu des bois, des champs, et des vignes, dans le paysage paisible et vallonné du Gers, l’entreprise Nataïs est le leader européen du pop-corn. Ça n’a l’air de rien cette chose là, mais ça pèse quelques 25 millions d’euros (chiffre d’affaire). Et ça dégage de juteux bénéfices et de gros salaires… enfin, pas pour tout le monde : les travailleurs de la production (ceux de la chaîne, du conditionnement, du transport) sont au régime « spécial ceinture » ! Et faut voir leurs conditions de travail ! Une ouvrière raconte : « Il me fallait soulever des sacs de 25 Kg à hauteur de tête pour les vider dans une machine. Chaque jour, je portais comme ça, à bout de bras, 1,2 tonnes d’ingrédients  ». Ereintant. Sans compter les trois huit (= le travail de nuit), « l’oubli » des poses, l’annualisation et ses horaires variables épuisants (un « acquis » de la CGT !), l’équipement aussi indispensable (contre les produits irritants) qu’insupportable (en particulier l’été, quand les plaines gersoises approchent des 40°)… sans compter aussi la précarité organisée  : pas moins de 350 précaires se sont succédés en quelques mois sur la trentaine de postes de la production ! Bref, selon le patron « une entreprise modèle et humaniste » - ça coûte rien de le dire. Mais, c’est contre cette conception toute spéciale de l’«  humanisme » qu’a été menée la grève de février dernier. Une des revendications essentielles était le « 13e mois ».

Les négociations ont été rudes sur ce fameux 13e mois. Pourtant (nous l’avons appris par la suite) il était de plein droit. Si nous ne le savions pas, d’autres le savaient. Et voici pourquoi  : la Convention collective nationale qui s’applique à Nataïs est celle des « biscotteries, biscuiteries, céréales prêtes à consommer ou à préparer… » qui prévoit bel et bien un 13e mois systématique pour les ouvriers (pas pour les cadres). Oui mais voila, le patron refuse d’appliquer cette Convention et s’obstine à se considérer «  hors champs  ».

Pourtant, il y a une décision de justice. Plus exactement deux. La première, c’est celle de la Cour d’appel d’Agen, saisie par un salarié qui avait perdu devant les prud’hommes locaux (comme c’est curieux…). La dite Cour d’appel, après avoir « Infirmé le jugement [des prud’hommes] en toutes ses dispositions » (ce qui est une grosse claque), a constaté que la convention « biscotterie » englobe bel et bien « … la fabrication de céréales soufflées, grillées ou autrement transformées », spécialité de Nataïs, et donc qu’elle s’applique à cette entreprise. Pas content, le patron est allé en Cassation, la plus haute juridiction française. Pas de chance, la Cour de Cassation a confirmé cette évidence : « … la cour d’appel [d’Agen]… a exactement déduit que la convention collective lui était applicable ». On ne peut pas être plus clair. Ces deux décisions de justice ne sont pas toutes fraîches. La première remonte au 16 juillet 2008, la confirmation en Cassation au 20 janvier 2010. Autrement dit, quand, au cours de la grève de février 2011 le patron refusait de lâcher le 13e mois, il savait qu’il bafouait une décision de justice. « Nataïs, entreprise citoyenne », qu’on vous dit… Quand à la CGT rappelons que, sur le plan national, elle dispose de tout une armada juridique (avocats, juristes spécialisés, permanents, revues, centre de documentation) qui épluche particulièrement les décisions de la Cour de Cassation qui font jurisprudence. Alors, comment la CGT a-t-elle fait pour ne rien savoir ? Curieux, vous trouvez pas  ?

Et l’Inspection du travail, présente pendant toute la grève, c’est pas son « travail » justement, de savoir ces choses-là  ? Il faut, à l’inverse, que ce soit une ouvrière « de base  » qui déniche les textes  ! C’est normal, ça  ? Et il faut que ce soit la CNT-AIT qui dise que « oui », bien évidemment, c’est cette Convention et pas une autre qui s’applique  ? Et c’est normal que, deux ans après (c’est-à-dire aujourd’hui encore), l’arrêt de la Cour de Cassation, censé s’imposer dans « toute la République », ne soit que du vent dans le Gers ? Il n’y a donc aucune autorité dans tout ce département pour faire appliquer une décision de la plus haute juridiction ? Mais que fait la police, ma pauvre dame ? Sans compter que, si cette Convention a des incidences directes sur les salaires, elle en a d’indirectes sur les cotisations sociales. C’est curieux que les organismes qui devraient encaisser ces cotisations ne se manifestent pas… ils ont trop d’argent ou quoi  ?

Une machine à licencier en rafale

Depuis la grève, nous avons compté pas moins de huit licenciements et une sanction disciplinaire, soit presque un acte de répression par mois. Comme par hasard, les ex-grévistes sont particulièrement visés. A ce rythme, il est évidemment difficile pour le meilleur des DRH de renouveler son style. Une fois fini le bon vieux stock des « mauvaises relations », « situation conflictuelle avec l’employeur », « contestation de l’autorité du supérieur hiérarchique », « comportement irrespectueux » et autre « désengagement », il doit se creuser la cervelle pour trouver du nouveau. Mais c’est parfois une perle qu’il trouve. Exemple  : « avoir livré des informations à la médecine du travail  ». Ah, bon, il y a des informations qu’il faut cacher à la médecine du travail ? Ceci dit, on se perd en conjectures pour savoir quel précieux secrets un salarié du pop-corn a pu « livrer » à sa médecine du travail, on se perd encore plus pour savoir comment le patron a pu prendre connaissance d’un tel crime puisque tout ce qui est dit à la médecine du travail est –en principe- couvert par le secret médical le plus absolu. Avec de tels « motifs », la contestation du caractère «  réel et sérieux » des licenciements en série s’annonce plutôt distrayante. Monsieur Nataïs pourra toujours forcer le trait en soulignant que telle hiérarque avait été traitée de « grosse  » et d’« incompétente » par un salarié. Juridiquement parlant, c’est du pipi de chat (ainsi en a décidé le tribunal dans le cas de la grosse incompétente) et ça ne fera qu’ajouter du croustillant au spectacle.

Début d’une lutte prolongée

Dans cette ambiance de franche « citoyenneté », nous avons appris qu’un forum s’était ouvert début décembre avec un seul objectif : permettre à tous les salariés de Nataïs de libérer la parole. Manifestement, au vu des messages qui s’y accumulent de jour en jour, c’était une nécessité. Il se dit de plus que les visiteurs se comptent par milliers. Même Monsieur Nataïs la consulté. D’où une lettre, diffusée à tout le monde, menaçant de poursuites judiciaires les travailleurs qui ont exprimé, avec leurs mots simples et directs, ce qu’ils pensaient. Pas de quoi fouetter un chat pour autant. Allez donc sur «  collectifnatais.space-forums.com » vous faire une idée par vous-même. Ces « plaintes en diffamation » ou ces menaces de plaintes, sont des pratiques patronales aussi habituelles qu’abusives. Dans notre expérience, que nous donnons ici aux salariés qui pourraient se sentir intimidés, soit elles ont fait «  pschitt », soit elles se sont retournées contre l’employeur (genre arroseur – arrosé). C’est pourquoi on a hâte de voir Monsieur Nataïs demander à la Cour d’Appel d’Agen, dont il refuse avec obstination depuis 4 ans d’appliquer à tous les salariés les conséquences de l’arrêt, de condamner ces salariés qui n’ont ouvert un blog que justement parce qu’il refuse d’appliquer la décision de la dite Cour  !. Ça va être un grand moment de bonheur.

Un autre bon moment, ça été le célèbre «  Repas of Noël  », organisé par le CE (CGT et CGC) avec, parmi les invités, toute la direction (la mano en la mano). Entre la poire et le fromage (ou plutôt entre l’entrée et le plat de résistance), de joyeux Pères et Mères Noël sont venus apporter un cadeau original  : un tract explicatif de la situation. Preuve que ce cadeau a été particulièrement apprécié  : certains « chefs » ont voulu en avoir plusieurs rien que pour eux et les ont arraché des mains de divers convives. Dans la folle ambiance de ce réveillon anticipé, certains réveillonneurs, un peu grincheux, se sont permis de demander à la CGT si elle avait prévu au moins un « panier » pour les licenciés...

Après le surprise de Noël, surprise également à la « grande » manif d’Auch du mardi 13 décembre. Quelques militants de « base » de la CGT, qui s’étaient montrés solidaires lors de la grève, ont découvert, tout de cul, qu’il y avait une vague de licenciements chez Nataïs (« on » avait oublié de les en informer) mais aussi une Convention collective (« on » leur avait rien dit non plus). D’où leur question : « Mais que fait le délégué syndical, que fait l’UD32 ? ». On se le demande en effet (même si nous avons notre petite idée).

Dans les jours suivants, sur les marchés « de gras » du Gers, c’était le tour aux équipes de la CNT-AIT de distribuer force tracts… et de rencontrer force ex-précaires de Nataïs (à croire que tous les crève-la-misère du département y sont passés un jour)… qui appréciaient que quelque chose se fasse enfin ! Du coup la CGT qui avait profité des NAO (négociations annuelles) pour revendiquer un 13e mois pour les cadres (accordé par la direction sans autre forme de procès semble-t-il) se voyait contrainte de sortir de sa longue léthargie. Une affichette annonçait au bas peuple la bonne nouvelle : des « démarches sont en cours avec l’inspection du travail pour l’application de la convention » … convention dont la CGT niait jusqu’à la veille qu’elle concernât Nataïs. Ça en a fait hurler de rire un paquet.

Ne ratez pas nos prochains épisodes

Le programme de certains épisodes est déjà connu. Ainsi, des passages aux prud’hommes (avec l’angoissante question qui taraude l’élite départementale : « Le Gers est-il soumis à la jurisprudence de la Cour de Cassation ou est-il une république bananière indépendante  ? ») sont prévus pour le 15 février et le 7 mars (séances publiques et gratuites). Mais il n’est pas exclu que d’ici notre prochain numéro il y ait quelque coup de théâtre. Normal, le coup de théâtre, c’est le ressort de tout bon feuilleton.

Rocambole

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