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CATALOGNE : MANOEUVRES NATIONALISTES

Publié le 6 octobre 2012

Le processus qui se déroule en Catalogne est une pleine illustration de l’article qui précède. Avant d’accueillir dans nos
colones de larges extraits d’un texte rédigé par un groupe des
Jeunesses libertaires résident dans cette région, soulignons que,
comme partout, le repli identitaire s’accompagne des attitudes
les plus réactionnaires.

Ainsi, le flicage est devenu une sorte de « trait culturel » des
catalanistes, tant et si bien que « Le Monde » (édition magazine
du septembre 2012), peu enclin pourtant à critiquer les régionalistes, leur attribue la palme mondiale de la délation pour la
façon dont la police catalane a diffusé les photos de plusieurs
dizaines de supposés « émeutiers » - en fait des manifestants
contre l’austérité - mais aussi pour la façon dont la régie de
transports de Barcelone diffuse une application pour smartphones afin que les fraudeurs soient dénoncés en temps réel ! Voici
donc la réplique des Jeunesses libertaires face à ces manœuvres
nationalistes.

Pour nous il est clair que nous ne
participerons pas à de telles manifestations. Nous espérons que la contribution au débat que nous faisons
d’un point de vue anarchiste pourra
contribuer à développer une force
sociale qui, par la pensée et l’action et
s’opposera au courant nationaliste
dominant. Les partis politiques de
toutes couleurs, bourgeois comme
pseudo-ouvriers, de droite comme
de gauche, alimentent un courant
d’opinion dominant au caractère
patriotique et nationaliste dans lequel
la société catalane est en train de se
noyer et auquel nous sommes peu nombreux à être
capables d’échapper.

Les mouvements nationalistes tendent à
appliquer un critère manichéen : « Si tu n’es pas avec
moi, alors tu es contre moi », si
tu n’es pas des miens, tu es du peuple
ennemi (Catalan ou Espagnol,
Serbe ou Croate, Ukrainien ou
Russe). Quiconque décide de se
démarquer des plans et du program-
me d’un mouvement nationaliste est
accusé de soutenir le peuple haï,
d’appartenir à l’ennemi. Cela quel
que soit le motif car il n’y a pas de raisons (rationnelles) qui puissent
s’opposer au sentiment (irrationnel)
d’appartenir à un peuple décidé à
réaliser sa glorieuse saga.

Nous, anarchistes, nous ne suivons pas le courant dominant catalaniste pas plus que nous ne ramons
avec toutes les forces politiques en
faveur de l’indépendance de la
Catalogne ou que nous nous identifions avec la patrie catalane. C’est
pour cela qu’on nous taxe d’espagnolisme.

Par ce texte, nous voulons casser
la dualité catalan-espagnol, indépendantiste-
espagnoliste. Nous voulons en toute simplicité
apporter un troisième
éclairage, une nouvelle
voie pour dépasse le
conflit national. Nous
voulons dépasser ce
conflit en mettant l’accent
sur l’individu dans la perspective de construire une
société juste et sans oppression.

Aujourd’hui, l’autoritarisme sous
ses diverses formes (capitalisme,
patriarcat, religion, État...) s’étend
sur tout le globe et maintien dans la
soumission, d’une façon ou d’une
autre, la totalité de la population. A
cette force aliénante et abrutissante
qui repose sur l’autorité s’opposent
l’action et les idées de celles et ceux
qui veulent créer un monde basé sur le
lien fraternel, libre et solidaire entre
individus et communautés ; nous voulons parler des anarchistes.

En Catalogne une grande partie de
la population s’identifie à une série de
traits linguistiques et culturels qui ne
correspondent pas dans leur totalité
aux valeurs linguistiques, morales et
éthiques que le royaume d’Espagne
promeut et impose uniformément à
tous ses sujets. Nous pourrions dire
qu’une grande partie de la population
catalane a le sentiment de faire partie
d’un collectif d’individus avec lequel
elle partage des manières relativement
semblables de parler, de participer aux
festivités, de manger, de regarder le
foot, de marier les filles...

Il est probable que ceux qui s’identifient à ce collectif ne sachent pas
très clairement quelles sont les caractéristiques qu’il faut posséder pour
appartenir à ce club si hétérogène, si
vaste, si abstrait. Les membres de ce
club disent « Moi, je suis Catalan ! »,
mais à peine peuvent-ils dire ce que
signifie être Catalan ou définir avec
clarté ce qu’est le « peuple catalan ».

Ceci posé, ce que les membres du
club, et surtout son président, savent
très clairement c’est comment tu ne
peux pas parler si tu veux être memb-
re du club, comment tu ne peux pas
fêter noël ou quelle équipe de foot tu
ne peux pas soutenir. Pour être
Catalan, tu as le droit de parler
comme les « pijos » (jeunesse dorée) de
Barcelone ou comme les gitans de
Lleida, mais tu ne peux pas parler
comme Don Quichotte, tu ne peux
pas manger une zarzuela pour le
réveillon, tu ne peux pas soutenir l’équipe de foot de Madrid, tu ne peux
pas, tu ne peux pas, tu ne peux pas...

Depuis l’apparition de l’Etat espagnol (1714), ses élites dominantes ont
appliqué un plan d’homogénéisation
de la population au niveau culturel et
linguistique consistant à imposer des
traits culturels et linguistiques qui
appartenaient seulement à une partie de ses sujets, les Castillans. L’objectif
était de créer une communauté homo-
gène de sujets qui s’identifient avec
une langue unique, un roi unique, un
État unique, un drapeau unique.

Ce processus d’uniformisation culturelle a pour victimes la
diversité et l’hétérogénéité. Ce rapport de
domination a provoqué,
dans l’histoire, la répression et la persécution
des traits culturels et linguistiques vernaculaires.

En réponse à cette
répression culturelle,
tout au long de l’histoire, ont surgi des initiatives sociétales et politiques revendiquant l’autodétermination du « peuple
catalan ». Aujourd’hui cette tension
persiste, bien que moins brutalement,
et les forces indépendantistes et nationalistes catalanes continuent de revendiquer l’autodétermination, toujours
sur un même principe : la création
d’un état catalan. Mais, sous quelle
forme le « peuple catalan » peut-il réelle-
ment être libre ?

Les anarchistes conçoivent la liber-
té comme le plein développement des
individus sous toutes ses facettes
(intellectuelle, émotionnelle, culturel-
le, physique...) au sein d’une société
libre et solidaire expurgée de toute
forme d’autorité. C’est pourquoi nous
rejetons l’idée selon laquelle un État-
nation quel qu’il soit – et même s’il
s’autodénomme catalan – serait la
solution à notre esclavage. Nous sommes pour la destruction de tous les
Etats, pas pour la création de nouveaux.

L’anarchisme propose de construire la société en centrant l’attention sur
l’intérêt de chacun des individus qui la
composent puisqu’il postule que ces
derniers ne sont pas nés pour satisfaire des aspirations de tiers mais pour
s’autoréaliser. De son côté, le nationalisme prétend construire la société et
la justice en mettant l’accent sur les
intérêts des nations. Il s’agit là d’entités abstraites, construites, au-dessus
des individus. Dans les nations, les
individus sont des moyens pour satisfaire l’intérêt national, c’est pourquoi
dès que l’intérêt de l’individu s’oppose
à l’intérêt national, la société basée sur
la nation oblige l’individu à agir cont-
re son intérêt et contre sa volonté
pour satisfaire ce qui est le plus sacré :
la volonté nationale. C’est ainsi que les
soldats vont faire la
guerre à la nation
ennemie en étant
disposés à donner
leur vie pour sauver
la patrie.

Le nationalisme catalan, comme tous les autres, tend à créer une
perception homogénéisatrice et simpliste de ce qu’implique être né dans un lieu déterminé. Le nationalisme, le patriotisme culpabilise, exclut et punit la diversité culturelle (par exemple, la coexistence de différentes langues ou de différentes
identités dans un territoire donné)
qu’il considère comme un danger
pour sa propre identité. L’exaltation
patriotique de ce qui est propre à un
peuple nous amène en plus, très sou-
vent, à vouloir maintenir des traditions et coutumes qui, par leur anachronisme et leur caractère injuste,
devraient être dépassées.

Notre conclusion la plus claire est
que tous les types de nationalisme (y
compris les indépendantismes, par
exemple basque ou catalan) sont à leur
tour centralistes et répriment les différences qui existent en leur sein, puis-
qu’ils se basent sur la « nation », en
oubliant que chaque personne est une
entité autonome, avec un certain
nombre de caractéristiques propres
qui la rendent différente de quelque
autre personne que ce soit.

Bien souvent deux « peuples », deux
« nations » peuvent être différenciés sur
la base de leur religion (Serbes orthodoxes, Bosniaques musulmans,
Croates catholiques) alors qu’ils partagent la même langue (Serbes,
Bosniaques et Croates dans leur majorité parlent une langue slave, dite što-
kavica, štokavština ou štokavsko
narječe).

Dans le cas qui nous occupe ici, la langue est la caractéristique déterminante, ou, pour être plus précis, elle le
devient au moment de créer une différence puisque tant les Catalans que les
Espagnols, traditionnellement, se soumettent au pape.
L’histoire ne manque pas d’exemples de nations ou de peuples qui se
sont créés et dissous en fonction des
intérêts politiques des élites dominantes du moment. Pour créer une nouvelle identité nationale qui corresponde à un nouvel État, il suffit de fixer
l’attention sur un trait différentiel
répandu sur l’ensemble du territoire
du futur État en l’élevant au rang de
valeur nationale. Par exemple, dans le
cas de la Yougoslavie de Tito, les différences de religion entre Serbes,
Bosniaques et Croates furent oubliées
et l’identité fut construite sur la base
de la lutte contre le fascisme et d’une
langue commune, le serbo-croate.

Pour diviser une nation en deux ou
plus, il suffit de nier ce qui est commun et de souligner au maximum ce
qui fait différence. Pour séparer les
Catalans des Valenciens, on fait l’impasse sur les similitudes du parler
valencien avec le parler occidental
catalan et on met le focus sur les particularités de la langue de la capitale
valencienne ; une ligne de partage est
ainsi tracée. Pour diviser la nation
yougoslave en nation serbe, nation
croate et nation bosniaque, il a suffi de
rappeler à la population que la
génération précédente – celle d’avant
l’époque de Tito – allait à la mosquée
ou à telle ou telle église.

La création des nations et son évolution est clairement déterminée par
les intérêts politiques des élites dominantes qui appliquent des plans d’homogénéisation ou de division de la
population en mettant en avant ou en
masquant des différences et des traits
culturels. Les nations telles que nous
les connaissons et telles que nous en
connaissons les frontières ont surgi
des guerres et du choc des intérêts des
élites au pouvoir dans différents lieux
du territoire.

Les «  Pays catalans  », du sud des
Pyrénées Orientales aux Baléares, sont
le résultat des conquêtes de Jacques
Ier d’Aragon dit le Conquérant (en
catalan, Jaume I), du nettoyage eth-
nique qu’il pratiqua dans les territoires
conquis sur les Maures et de l’établissement de populations « catalanes »
dans les domaines annexés à sa couronne. Les nationalistes catalans pré-
tendent conserver pour les siècles des
siècles cette situation héritée de
Jacques Ier d’Aragon, tandis que les
nationalistes espagnols prétendent
conserver la situation héritée de
Philippe V.

Les uns comme les autres entendent appliquer leur plan sur une population déterminée. De manière tout à
fait consciente, ils prétendent modeler
la culture du pays et la faire évoluer
suivant leurs intérêts en s’opposant et
en tentant d’éviter le développement
naturel des traits culturels et linguistiques des différentes communautés.
Pour assurer le succès de cette planification culturelle, ils utilisent les
moyens de communication nationaux,
ils créent des standards linguistiques,
ils enseignent les traits culturels souhaitables dans les écoles de tout leur
territoire, et, s’il le faut, ils procèdent
au nettoyage ethnique en potentialisant le racisme.

En tant qu’anarchistes, nous nous
opposons à toute tentative de manipulation planifiée de la population en
vue de la réalisation d’intérêts poli-
tiques. Nous défendons la diversité
culturelle et linguistique, le métissage,
les échanges, le dépassement des traditions injustes. Nous défendons le
développement libre et naturel des
cultures en pratiquant le respect des
particularités de chacun et de chaque
collectivité.

C’est pour cela que nous nous
opposons à l’État espagnol et à ses
plans d’homogénéisation artificielle et
préméditée de la même façon que
nous nous opposons au nationalisme
catalan qui vise à créer des frontières,
à catalaniser et à construire la « justice
sociale » sur la base des intérêts nationaux.

C’est seulement en combattant de
la même manière le nationalisme, qu’il
soit basque, espagnol, gallicien, catalan ou andalou que l’on peut être un
minimum cohérent car ils sont tous
aussi pernicieux les uns que les autres.
C’est seulement en s’appuyant sur le
fédéralisme et l’internationalisme
libertaire qu’on peut respecter l’autonomie individuelle, les différentes cultures autochtones, les particularités de
chaque zone sans les sacrifier à des
intérêts politiques. (...)

Groupe anarchiste
EL L’Albada social, FIJL

(Fédération ibérique des
jeunesses libertaires)

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