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Nos institutions n’ont pour nous que du mépris

Publié le 6 octobre 2012

Tout le monde est au courant : trouver une
place en crèche en ce moment dans les grandes
villes relève de l’impossible. Voici notre expérience
haute-garonnaise. Ayant formulé
notre demande en août 2011, soit trois mois avant sa
naissance, nous attendons
toujours une réponse pour
notre fils qui a maintenant
dix mois. Autre solution, les
crèches privées associatives :
complètement remplies, elles
aussi. Pas la peine de songer
aux services de garde à domicile
 : c’est mille euros par
mois. On trouve finalement
une assistante maternelle –
c’est déjà quasi-miraculeux –
qui s’occupe de notre fils dès
ses deux mois, et qui se trouve
répondre parfaitement à
nos attentes : elle est un vrai
soutien pour ce qui est des
angoisses quotidiennes, prodigue
de précieux conseils, et
noue un lien affectif avec
notre fils. Lui s’attache à elle, et
aux autres enfants qu’il retrouve
tous les jours.

Au printemps,
visite d’une inspectrice, employée
par le Conseil général, dont la
tâche consiste à juger du bienfondé
des autorisations que les
bureaucrates accordent aux assistantes.
Ces autorisations sont
appelées « agréments » : un agrément
= un enfant. La nôtre en a
quatre, c’est le maximum. Le
Conseil général a décidé manifestement
que c’est trop, si l’on en
juge par la vague de suppressions
de ces agréments qui touche les
assistantes maternelles, c’est-àdire
que c’est la ligne politique
définie à l’avance ; non-sens, étant
donné la situation décrite ci-dessus.
À quoi s’ajoute que nous
avons affaire, semble-t-il, en la
personne de cette inspectrice, à
l’un de ces fonctionnaires zélés,

ou pervers, qui trouvent au sein des
rouages administratifs le moyen d’assouvir
leurs pulsions autoritaires sans
prendre trop de risques. Voici donc ce
que trouve à redire le petit chef
au terme de sa visite : premièrement,
il faut que la table à langer
soit lavable, ou qu’on puisse
changer la surface à chaque fois,
dictature hygiéniste déjà privée
de sens en elle-même ; deuxièmement,
un des quatre lits n’est
pas « aux normes » (c’est sa longueur
ou peut-être sa hauteur
qui posent problème, ce genre
d’âneries…), il est parfaitement « 
normal » au contraire, aux yeux des
gens normaux que nous sommes,
voilà qui est à nouveau privé de sens ;
mais surtout, troisièmement, il y a les
escaliers (l’appartement étant situé au
premier étage) qui obligent à faire
patienter les deux enfants les plus
grands dans la poussette en bas, le
temps d’aller chercher les deux bébés,
avant de partir pour la promenade.
Dictature sécuritaire, absurde à son
tour, si l’on songe qu’il est beaucoup
plus dangereux de satisfaire à la
recommandation de la promenade
quotidienne que de descendre des
escaliers. Evidemment c’est « le bien
des enfants » qui est invoqué, alors
qu’il est clair que ce type de raisonnement
sécuritaire répond en réalité à un
seul objectif : pour l’administration,
se décharger au maximum de toute
responsabilité. Il faut donc déménager
si l’on ne veut pas perdre un agrément,
urgemment, bien entendu, ça
fait vingt ans qu’on ferme les yeux,
maintenant c’est la fin du laxisme.
Resteraient trois agréments, soit trois
enfants, avec lesquels le soi-disant
problème des escaliers continuerait de
se poser. Pas la peine de chercher : il
n’y a aucune logique dans tout ça.
D’autant plus qu’au final on ne lui
aura pas même laissé le temps de songer
à déménager.

La deuxième
visite du même petit chef survient
une semaine plus tard : aucun changement
dans l’appartement, faute d’un
délai suffisant. Il n’y aura pas d’autre
visite : la prochaine étape, c’est l’examen
du cas par une commission qui
statuera à partir du seul jugement du
petit chef. Petit chef posant déjà que l’agrément est perdu, que l’assistante
ne s’occupe plus de rien, que c’est lui
qui décidera quel enfant restera, quel
enfant se fera virer. L’avenir tout à
coup pour elle s’assombrit. C’est un
quart des revenus qui fout le camp.

À partir de là, notre assistante maternelle
fait ce qu’il faut : elle se bat. Elle
fait passer le mot auprès des autres
assistantes en ville, qui se soutiennent
les unes les autres. Toutes partagent
les mêmes angoisses ; il y a la politique
du Conseil général déjà évoquée que
toutes connaissent, et il y a celles qui
ont volontairement changé de secteur
dans le but d’échapper au même petit
chef. Elle contacte toutes les familles
avec lesquelles elle a travaillé depuis
vingt ans, pour leur demander des lettres
de soutien à verser au dossier ;
nous-mêmes écrivons au Conseil
général, et l’encourageons à continuer
à développer les liens de solidarité.

Lorsque la première commission
décide du retrait de l’agrément, elle
veut porter son cas en commission
d’appel. Celle-ci confirme la première
décision en son absence alors qu’elle
est en vacances, sans qu’elle puisse se
défendre, sans qu’elle n’ait jamais, en
définitive, voix au chapitre. D e
notre côté, jamais nous n’avons été
[tenus au courant de la progression
des décisions, ni officiellement, ni
officieusement, par les autorités
concernées. On décide sans nous.
Nous avons toujours refusé de nous
mettre en quête d’une autre assistante de façon prématurée parce qu’on ne
pensait pas pouvoir se retrouver « à la
rue » de cette façon, et que nous voulions
être un véritable soutien jusqu’au
bout. Au final, c’est deux semaines
avant la rentrée de septembre que
le Conseil général nous informe
pour la première fois, par courrier,
du retrait de l’agrément, nous plaçant
devant le fait accompli, alors
que l’affaire court depuis plusieurs
mois : un courrier qui nous dit en
substance qu’on peut chercher une
autre solution. Les parents de l’autre
bébé reçoivent le même courrier,
et au Conseil général on nous
dit que c’est l’assistante elle-même qui
doit décider lequel s’en va : totalement
impossible pour quelqu’un de sensé et
sensible, mais le bureaucrate ne comprend
pas l’argument. Au cours d’une
conversation pour le moins orageuse,
on s’entend dire qu’on a l’air de mieux
savoir qu’eux, et qu’on est plus fort
que tout le monde : c’est-à-dire qu’ils
osent encore invoquer le bien des
enfants, et nous donner des leçons.
Sans solution donc, crèches publiques
et privées toujours remplies, aucune
assistante maternelle disponible, à
deux semaines de la reprise du travail,
dépendant entièrement d’un service
public incompétent et agressif. En
effet nous avons la prétention de
savoir mieux qu’eux ce qui convient…

De son côté, c’est effectivement
un quart du revenu qui s’est évanoui,
et des charges qu’elle ne sait plus
comment assumer. Voilà donc
un nouvel exemple, s’il en fallait, du
fonctionnement général de notre
société où une poignée d’individus,
voire un seul, décident de nos vies à
notre place ; une des innombrables
manifestations du mépris que l’institution
a pour nous ; une des innombrables
preuves, s’il en fallait, que les
institutions sont à réinventer, pour
que nous puissions nous-mêmes
prendre les décisions qui nous concernent.

Elle n’a pas dit son dernier mot, et
nous continuons à soutenir les assistantes
maternelles.

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