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Les anarchosyndicalistes et le mariage gay

Publié le 10 décembre 2012

Paris, 18 novembre 2012, une longue litanie de catholiques intégristes
manifeste son homophobie. Car, en vérité je vous le dis,
sous couvert de rejet du mariage homosexuel, c’est bien d’homophobie
qu’il s’agit. En témoigne une énorme banderole qui proclame
la « …dépravation grave… » des « …actes d’homosexualité
(…) intrinsèquement désordonnés ». Et encore, ça, c’est la version
light, destinée à un grand public qu’il ne faut pas trop effaroucher
(les médias sont là) car dans le cortège, quand ils se croient entre
eux, les propos que tiennent les culs-bénis sont à vomir. Pas étonnant
vu la composition du cortège.

Outre un quarteron de bigotes
imprégnées de cette indescriptible
odeur de sacristie aussi tenace qu’écoeurante,
il y avait là des bourgeois
bien-de-chez-nous dans leur pingres
lodens - « C’est un peu onéreux à l’achat,
mais tellement économique, ma chère, si c’est
bien entretenu
 » - plusieurs bandes de
nazillons haineux, d’anciens militaires
toujours dangereux, des scouts-toujours
en culottes courtes serrés de près
par un abbé à l’oeil libidineux, quelques
curés en tenue de Don Basile, une brochette
de Polonais en déguisement folklorique,
des royalistes naphtalinés et
fleurdelisés, des ribambelles d’enfants
au regard éteint traînés là par leurs
parents, et bien sûr, il y avait les drapeaux
de nos belles provinces.

Tiens, le drapeau occitan. Il conglomère
un peu moins de monde que son
concurrent chouan, mais je ne résiste
pas à l’envie d’envoyer sa photo à la
rédaction d’Anarchosyndicalisme ! à
Toulouse. Je sais combien les copains
de cette ville sont sensibles au crétinisme
régionaliste. Hélas, son porteur le
promène droit comme un piquet. Le
tissu reste tout ratatiné le long de la
hampe, et il ne faut pas compter sur le
souffle de l’esprit pour le déployer, car,
si quelque chose ne souffle pas sur ce
cortège, c’est bien l’esprit. Ce qui y
règne en maître c’est l’atavisme et la
misère intellectuelle.

Je rentre à la maison et je me
connecte sur le « Forum anarchiste ». Le
débat «  Mariage gay ? » bat son plein.
Une grosse bouffée d’air pur.

Des forums, c’est pas ça qui
manque sur le net. Il en est des structurés
qui visent à un apport réflexif,
comme celui de la CNT-AIT de Caen.
Il en est – nombreux - de sans intérêts.
Et il y en a qui foisonnent. Le Forum
anarchiste est de ces derniers : ça fait un
peu brouillon, on y trouve un peu tout
et n’importe quoi, mais au moins, c’est
vivant.
J’avale tous les commentaires, page
après page. Pas facile de dégager une
position commune aux libertaires.
Entre les différents messages, ça tient
plutôt du grand écart. Il y a d’abord les
compagnons, qui, par principe sont
contre tout mariage. Ainsi, l’un d’entre
eux (Spécifix) écrit : « Certains homos
revendiquent des droits égaux aux hétéros
en demandant le mariage (puisque,
entre autres, le pacs n’a pas tenu ses « 
promesses »), mais avec le mariage, ils
en appellent à l’Etat, notre ennemi.
Pour un Anarchiste, le vrai problème,
c’est le mariage, qu’il soit homo ou hétéro
importe peu, puisqu’il n’est pas légitime,
car il reconnaît l’autorité de l’Etat
comme fondée, et il en va de même avec
la religion. Je suis, donc, contre le
mariage. L’orientation sexuelle n’a rien
à voir là-dedans. Être contre le mariage
ne signifie pas être homophobe, ni hétérophobe,
mais être contre l’Etat, contre
la religion, contre leur autorité (…) ».
A l’inverse, d’autres s’étonnent de ce
raisonnement « Je ne comprends pas
trop (...) vous trouvez cela normal que
les homos ne puissent pas se marier, c’est
une loi (actuelle) ségrégationniste ou
d’exception tout de même, et de plus ce
n’est pas parce que les homo
pour ront se marier qu’ils
devront forcement le faire
 » !
(Crane). Et il y a aussi des
copains gays qui, eux, attendent
impatiemment une évolution
législative pour épouser
leur partenaire «  Je vais me faire
foutre de ma gueule, mais après
une alerte cardiaque qui s’est
bien terminée, je vois les choses
différemment. Le mariage quoi
qu’on en pense verrouille positivement
certains avantages pour le conjoint survivant
comme garder un appartement
HLM au départ au nom de l’autre ou la
réversion lors de la retraite. C’est très
terre à terre mais c’est tout simplement
la survie hors de la misère une fois âgé.
Il est normal que les gays en bénéficient

 » (Tonton-vélo). Mais, c’est sans
compter ceux qui ont été obligés d’en
passer par là (par le mariage hétéro)
manifestement pour une histoire de
papiers et qui en gardent un goût amer
« Étant contre le mariage (…) j’ai été
quand même été forcé de le faire, des
policiers sont venu voir aussi si j’avais
bien deux brosse à dents dans la salle de
bain, interrogatoire au commissariat,
tous ça par ce que qu’on est deux et que
l’on s’aime et que l’on a décidé de vivre
ensemble...
 » (Calamar). Il y a aussi
ceux qui posent le problème sur le plan
stratégique : « En Angleterre, la mariage
gay est en passe d’être légalisé par le
gouvernement conservateur de Cameron.
Il est un outil très utile en ce moment.
Pour Hollande, ça lui permet de mettre
en place sa vision du "Changement".
Pour Cameron, ça permet de feinter de
donner des droits alors qu’il est en train
de finir de tout casser
 » (Cheïtanov). Et
puis, il y a ceux qui sont assis un peu
entre deux chaises «  ... ça n’avance en
rien vers le communisme libertaire, mais,
si ça permet à des homosexuels de
"mieux vivre" au sein de cette société
 ».
(Apeqli).

Bref, les avis sont plus que divisés :
ils sont passablement contradictoires.
Pourtant, en lisant l’ensemble, ce qui
frappe, c’est que tous –ceux qui sont
plutôt contre, ceux qui sont résolument
pour, ceux qui tentent une synthèse et même ceux qui
profitent des contradictions
pour jeter le doute sur l’anarchisme-
ont raison. Ou du
moins, ils ont une part de
raison. Car, à ce type de
question, il y a plusieurs possibilités
de réponse : elles
sont fonction du « niveau »
auquel on se place, selon, par
exemple, qu’on prend la
situation par une entrée individuelle
(cas de Tontonvélo)
ou une entrée politique
(position de Cheitanov). Et
c’est souvent comme cela
quand on nous met un
« débat de société » sous le nez.
Comment s’en sortir alors ? Essayons
d’abord de mieux cerner la contradiction
en revenant un peu sur le mariage
et sur l’homosexualité.

Dans l’histoire des sociétés occidentales,
le mariage a constitué une
institution extrêmement forte, une
façon terrible d’imposer l’oppression
sexuelle. « Pas de relation sexuelle en
dehors du mariage et des relations uniquement
pour engendrer
 », tel a été le
leitmotiv de l’église catholique pendant
une paire de millénaires (et il le reste
encore). En opposition à cette oppression,
à cet instrument de contrôle
qu’est le mariage, les anarchistes, ont
popularisé l’« amour libre » dès le XIXe
siècle. De fait, quand le mouvement
libertaire a été fort, comme dans
l’Espagne des années 30, les couples de
militants ont shunté en masse la mairie
et l’église (pourtant obligatoires en ces
temps et ce lieu là). En France, dans les
suites de Mai-68, l’institution du mariage
s’est rapidement désagrégée sous les
coups de boutoir de la « révolution
sexuelle ». Celles que les grenouilles de
bénitier flétrissaient sous le nom de
« filles-mères », ceux que les bonnes
consciences traitaient de « bâtards »
ont intégré les rangs, devenus de plus
en plus nombreux, des « familles monoparentales
 », et, en dehors des intégristes,
tout le monde trouve ça très bien.
Bref, le mariage a beaucoup perdu de
sa superbe, mais les anarchistes, par
principe, ne peuvent que continuer à
lui être hostiles.

Si les choses sont claires depuis
longtemps pour le mariage, cela n’est
globalement le cas pour l’homosexualité
que depuis une quarantaine d’années.
En effet, si certains libertaires ont
été des devanciers, il faut attendre Mai-
68 pour que l’homosexualité soit intégrée
dans la vulgate anarchiste et anarchosyndicaliste.
Prise en compte tardive,
certes, mais encore faut-il souligner,
pour être juste, qu’elle a été bien plus
rapide que celle de la plupart des mouvements
politiques de gauche et
d’extrême-gauche pour lesquels un
« PD » était un taré jusqu’à il y a à peine
15 ou 20 ans. Je ne suis pas sûr
d’ailleurs que dans certaines sections
de la CGT, dans certaines cellules du
PCF il ne le soit pas encore. La façon
dont l’homosexualité a fait irruption
dans le champ social n’a certainement
pas été pour rien dans son acceptation
rapide par les anarchistes : dans l’après
68, ceux qui revendiquaient leur homosexualité,
comme les militants du
FAHR (Front d’action homosexuelle
révolutionnaire), l’ont fait non pas en
quémandant un droit mais en contestant
vigoureusement l’ensemble des
rapports sociaux de genre. Le mariage
n’échappait pas à leur acerbe critique.
De quoi plaire aux anarchistes.
Vient qu’aujourd’hui des personnes
homosexuelles revendiquent, en le
qualifiant de « droit » ce qui, pour nous,
est un instrument de contrôle de la
sexualité, c’est-à-dire l’inverse d’un
droit. Et c’est là que réside la contradiction.
Ce n’est pas la première fois.
Par le passé, des féministes ont revendiqué
le « droit  » d’être soldates… alors
que la majorité des anarchistes hommes
n’ont eu longtemps qu’une idée en
tête : échapper à la conscription obligatoire
car ils ne vivaient pas le fait d’être
soldats comme un « droit » mais bien
comme une insupportable obligation.
Beaucoup d’entre nous ont été insoumis,
déserteurs ou objecteurs de conscience
(ce que certains ont payé très
cher) pour échapper à ce «  droit ».

Le noeud de la contradiction pourrait
donc être résumé en ces termes :
que faire quand la revendication égalitaire,
toujours légitime en soi, se cristallise
sur un «  droit » que, pour notre
part, nous analysons comme une
contrainte ?

A vrai dire, ce type de situation est
fréquent car, dans la « vraie vie », les
tenants et les aboutissants sont souvent
emmêlés et un aspect de la question
peut être en contradiction avec un
autre (quelques exemples : faut-il lutter
pour l’amélioration des conditions de
travail alors que l’on est contre le travail
salarié ? Faut-il soutenir les sanspapiers
dans leur demande de
« papiers » alors que nous sommes contre
les papiers ?...). Il est donc légitime
qu’il y ait débat et que les anarchistes,
les anarchosyndicalistes essaient de
dégager des stratégies pour l’action
quotidienne qui soient en accord avec
leur pensée profonde… sans se couper
du monde. Une analyse au cas par cas
est nécessaire.

Dans le débat qui nous intéresse ici,
une question, qui n’a pas été abordé
dans le Forum anarchiste (au moment
où ces lignes sont écrites) ni ailleurs (à
ma connaissance), mériterait qu’on s’y
attarde : quel sera l’impact du « mariage
gay » sur le devenir de cette institution ?

Pour faire schématique (et donc
approximatif), on peut considérer qu’il
y a deux grandes catégories de personnes
qui se marient actuellement : celles
qui voient là essentiellement une occasion
de faire la fête (comme pour
Halloween) et celles qui « croient »
encore aux valeurs du mariage, qui utilisent
le mariage pour exhiber leur
moralité (et surtout leur « normalité »).
Que des gays puissent se marier ne
gênera pas les personnes de la première
catégorie. Mais pour la seconde catégorie,
c’est tout un drame… il n’y avait
qu’à voir la tête des manifestants du 18
novembre : pour ces gens là, si les gays
peuvent se marier, c’est le mariage qui
perd toute sa valeur sacramentelle, sa
valeur magique. Surtout quand les termes
« époux » et « épouse » ainsi que
« père » et « mère » seront remplacés par
des mots comme « parent n°1 » et
« parent n°2 » dans les actes d’état civil.
Même ceux qui sont aujourd’hui les
ultimes et fanatiques défenseurs du
mariage risquent fort… de ne plus
soutenir une institution qui se sera fait
déflorer (pardon !). Autrement dit, il
est probable que la revendication du
« mariage pour tous » renforce la généralisation
du « mariage pour personne » et que
le mariage gay, loin de renforcer l’institution
du mariage accélère sa disparition.
Ce dont nous ne pourrions que
nous féliciter et ce qui est une donnée
importante à prendre en compte dans
ce débat. Car, si on avait des raisons de
penser qu’à l’inverse, la possibilité pour
les gays de se marier pourrait contribuer
à renforcer « l’institution mariage
 » et par conte-coup retransformer le
mariage en obligation, obliger tout le
monde « à passer par là », et donc revenir
à la situation antérieure, mon point
de vue final serait différent.
Deuxième question qu’il faut se
poser : quel est l’impact de la « lutte »
contre le mariage gay dans les milieux
les plus réactionnaires de la société
française ? Dans un premier temps, un
effet positif : ils retrouvent une certaine
unité d’action (encore que, le 18, les
différentes chapelles gardaient leurs
distances) et leur donne l’occasion
d’accéder à une certaine visibilité. Mais
le ver est dans le fruit. Ils l’y ont introduit
eux-mêmes. Il était frappant de les
entendre s’égosiller à hurler « Première,
deuxième, troisième génération, nous
sommes tous des enfants d’hétérosexuels
 » [1].

Troisième question : mais pourquoi
le gouvernement a-t-il choisi de jouer
la montre, de faire durer le débat, d’allonger
sa durée ? C’est que les bénéfices
sont grands pour lui. D’une part,
c’est un des rares sujets consensuels
entre les formations de la majorité
(dans lesquelles il faut inclure les partis
pseudo-critiques du Front de gauche),
d’autre part, pendant qu’on parle de ça,
on ne parle pas d’autre chose ! Par
exemple, on « oublie » les familles qui
sont à la rue. On « oublie » les attaques
contre les conditions de travail. On
«  oublie  » de parler de la misère montante
et de la hausse vertigineuse des
profits. C’est ce que fait remarquer,
avec beaucoup de bon sens, Cheitanov
sur le forum, et il ne faut pas le perdre
de vue !

Finalement, il me semble que, dans
ce débat, une position en phase avec
l’éthique anarchosyndicaliste et avec la
réalité sociale est de soutenir les homosexuels
pour qu’ils puissent vivre
comme ils l’entendent (et donc qu’ils
puissent se marier si l’envie leur chante)
en tenant compte que le débat « oui
ou non au mariage homosexuel », bien qu’il
soit une pierre fort utile lancée dans le
jardin des intégriste, ne doit pas devenir
exclusif, hégémonique, mais qu’au
contraire la lutte contre cette discrimination
particulière doit être développée
pour dénoncer toutes les discriminations
(donc en y réintégrant tous les
« oublis »). Et tout particulièrement les
discriminations économiques [2].

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