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HABEMUS CACAM (dans notre assiette)

Publié le 17 avril 2013

Encore une fois, le spectre de la malbouffe revient hanter durablement
l’actualité de cette fin d’hiver. La palme revient sans conteste
à l’escroquerie du mois : faire passer de la viande de cheval pour du bœuf
dans des plats cuisinés (surgelés ou pas). Toutes les « enseignes » sont
touchées par le scandale et retirent, à grands renforts de déclarations
repentantes, leurs produits du marché. Fabricants, distributeurs, tous
ont été abusés odieusement par de vilains traders (étrangers, évidemment).

Le Mal vient de Roumanie (bien
sûr) où, apprend-on incidemment, une
loi a interdit la circulation des carrioles
à cheval sur tout le territoire, condamnant
ainsi des milliers de bêtes à l’abattoir.
Décision « justifiée » par les problèmes
de circulation qu’engendreraient
les charrettes sur les routes. On
peut se demander légitimement si un
certain lobby de la viande n’aurait pas
intrigué auprès des autorités roumaines
pour obtenir une décision si avantageuse
 : rappelons que la viande de cheval
vaut quatre fois moins cher que
celle de bœuf.

Quittons maintenant le rayon boucherie
et plats cuisinés et dirigeonsnous
d’un pas alerte et guilleret vers les
desserts. Une autre bonne surprise
nous attend : le 6 mars 2013 le célèbre
distributeur Ikéa retire de la vente
1 800 tartes aux amandes et apparemment
au « caca-ramel ». Ce sont les
autorités sanitaires de Shanghai qui ont
découvert le « pot aux roses » : des traces
de contamination fécale humaine
dans les dites pâtisseries (pourtant
made in Sweden, un des temples mondiaux
de l’hygiène). Ikéa vend ses tartes
dans plus de 23 pays. Comble de malchance,
le 25 février, la même célèbre
maison suédoise retirait de la vente des
boulettes de viande contenant du cheval
en lieu et place de bœuf.

Coincé entre des plats frauduleux et
des mets contaminés, quelle va être la
réaction du consommateur ? Exiger
davantage de contrôle, c’est bien sûr là
que le Système voulait l’amener.
Instiller le doute et la peur pour mieux
justifier des règlements toujours plus
draconiens, règlements qui seront toujours
mis en échec, d’une part à la suite
d’accidents industriels de fabrication
(toujours possibles), d’autre part à
cause des transgressions délibérés
qu’induit nécessairement la course au
profit.

On connaît les prétentions du capitalisme
moderne (dans sa version
hybride démocratico-totalitaire néolibérale)
à vouloir tout contrôler, et on
est bien obligé de lui reconnaître un
certain nombre de succès sur ce plan,
notamment quant à la surveillance
policière des individus : établissement
de nombreux fichiers numériques,
puçage électronique quasi-général des
populations grâce au fameux téléphone
portable et aux cartes bancaires, au
vidéo-flicage,… Big Brother nous suit
à la trace, où que nous allions.
La gestion et le contrôle de la marchandise
sont, par contre, plus délicats
parce que situés à un endroit particulièrement
sensible du Système : son cœur
(c’est-à-dire son portefeuille). Le
contrôle de la qualité s’oppose encore
à la recherche du profit.

Le tocsin médiatique qui a sonné à
toute volée a rappelé au bon peuple
que l’État, dans sa grande bonté, veille
à sa sécurité alimentaire et ne laisse en
aucun cas des aigrefins, des escrocs
l’empoisonner ou le gruger. Mais la
recherche avide du profit n’est jamais
réellement mise en cause, puisqu’elle
est au cœur du Système. On laisse simplement
opérer la crainte du gendarme
sanitaire, seul rempart contre les appétits
disproportionnés de certains. Les
diverses filouteries apparaissent alors
comme des accidents, des épiphénomènes
alors qu’elles constituent le
moteur du business.

Le énième scandale sanitaire déroule
sa trame convenue : des escrocs sans
principe ont abusé d’aimables capitalistes,
tout prêts à reconnaître leurs torts,
« jurant, mais un peu tard, qu’on ne les y
prendrait plus
 ».

Les fabricants et la grande distribution
profitent même de l’occasion pour
redorer leur blason quelque peu terni,
en embrayant sur une opération publicitaire
(sur le thème : désormais, nos
lasagnes seront uniquement à base de
viande bovine française) menée au
nom de l’esprit citoyen et responsable.
Finalement, ces scandales, pour peu
que l’on sache manier le rétablissement
acrobatique, c’est du pain béni.

Dans le même élan, l’État se lance
dans une opération de propagande :
l’efficacité de ses services de répression
des fraudes et la professionnalité des
services vétérinaires et sanitaires a été
prouvée, du moins jusqu’au prochain
scandale. Il s’agit d’accréditer la thèse
que nous vivons dans un monde certes
dangereux, mais qui le serait cent fois
plus si nous n’étions pas protégés par
l’État qui poursuit impitoyablement les
contrevenants à sa loi (merci, cher
Zorro).

L’État-Zorro donc se montre dans
les faits fort clément à l’égard des
géants de l’agro-alimentaire. Ce serait
effectivement très gênant de voir les
Leclerc, Auchan, Nestlé, Findus,
Argel… traînés en justice comme de
vulgaires petits « dealers de cheval ».
Tout au plus, les plus gravement compromis
des fournisseurs devront-ils
rendre quelques comptes. Spanghero
pourrait éventuellement servir de fusible.
Pour l’instant, il n’a subi qu’un
retrait d’agrément provisoire de
quelques jours. Mais, rien n’est moins
sûr que des suites, car, bien que mis en
cause dans l’importation de viande
ovine britannique, les pouvoirs publics
vont tenter de lui remettre… le pied à
l’étrier. On dit qu’une réunion à la préfecture
de l’Aude aura lieu prochainement
dans ce noble objectif. Les plus
touchés, finalement, ce sont les salariés de ces entreprises qui risquent de perdre
leur emploi si les choses tournent
mal et qui n’empocheront que de maigres
salaires si elles tournent bien pour
leur patron. Dindons de la farce, ils
sont destinés dans tous les cas à être
sacrifiés sur l’autel du profit par des
directions aux stratégies parfois bien
douteuses (fermeture pour cause de
retrait définitif d’agrément ou, comme
chez Frainor, pour cause de perte de
débouchés, avec une baisse de vente de
plats cuisinés de 50 %).

Mais il y a une autre catégorie de
travailleurs de l’alimentaire qui est touchée
par ces campagnes médiatiques
qui mettent en avant la possible dangerosité
de la nourriture et qui prônent
de fait un contrôle plus rigoureux des
processus de fabrication et de mise en
vente des produits. Victimes indirectes,
collatérales en quelque sorte de ces
scandales, ce sont « les petits, les obscurs,
les sans-grades
 » de l’alimentaire,
les petits producteurs. Ils pressentent
obscurément que pour cause de cheval
dans les lasagnes et de caca dans les
tartes, dans un avenir proche, les règlements
et contraintes (qui déjà les étranglent
financièrement et compliquent
singulièrement leur quotidien) risquent
de s’accroître.

Si l’Etat fait preuve de mansuétude
vis-à-vis des grands groupes (on est
entre amis), il n’a pour ces nains économiques
que sont les petits producteurs
que bien peu de considération. La
loi s’applique en principe à tous avec la
même rigueur, en pratique la règle est
biaisée et seuls les petits y laissent des
plumes.

Depuis l’obligation d’appliquer les
normes européennes imposée aux ateliers
fermiers de transformation, des
règlements sanitaires divers et variés ne
cessent d’être promulgués. Les technocrates
sanitaro-sécuritaires font preuve
d’une grande inventivité. Tel petit producteur
qui venait à peine de terminer
sa mini-fromagerie aux normes se voit
intimer l’ordre de construire une ministation
d’épuration ; tel autre qui avait
construit un bâtiment pour l’abattage
des quelques volailles qu’il vend sur le
marché se voit dans l’obligation de
construire un bâtiment annexe pour le
conditionnement des oeufs.
La traque de la contamination bactérienne
s’annonce sans fin, les revenus
des petits paysans, eux, sont limités.
Dès lors, pour beaucoup, la seule issue
pour faire face à l’endettement, c’est
l’agrandissement, l’investissement pour
produire davantage ; c’est alors le
départ pour une course à la compétivité
dans un monde où ils seront de
toute façon perdants, le terrain étant
déjà occupé par plus « gros » qu’eux.

Industrialisez-vous ou périssez !
C’est l’injonction du Système dont les
préoccupations sanitaires cachent
assez mal des visés économico-politiques
modernistes. Pour le Système, la
petite production est une survivance
du passé, un anachronisme, un reliquat
de l’autonomie paysanne. Dans un
monde rationnel et industriel, il
convient qu’elle disparaisse.
Disparition d’autant plus souhaitée
qu’elle occupe une petite part du marché
que les « gros » voudraient s’approprier.

Les directives sanitaires rappellent
aussi au petit producteur que son indépendance,
sa liberté ne sont qu’illusoires.
Il est tenu de consigner chacun des
ses actes professionnels (vente, achat,
production, fabrication, nettoyage)
dans de multiples carnets contrôlables
à tout moment. Les produits finis
devant faire l’objet d’auto-contrôles
bactériologiques en laboratoire départemental
(aux frais du producteur).

Ainsi l’État aime à rappeler sa toute
puissance et son omniprésence (à cet
égard, les photographies satellitaires
des parcelles de terrain sont d’une précision
tout à fait inquiétante).

Mais idéologiquement, la fonction
essentielle du service sanitaro-sécuritaire
consiste à rassurer les populations,
tout en n’hésitant pas en cas de
besoin à les inquiéter quelque peu. Une
petite alerte de temps à autre confirme
la volonté de rester vigilant, conforte la
volonté de contrôle d’un État qui n’hésite
pas à instrumentaliser les peurs
pour susciter une adhésion de la population
à ses programmes sanitaires.

Pour autant, la fréquence, la récurrence
même des scandales alimentaire
dit assez que Big Brother n’est pas
aussi efficient qu’il le prétend. Face à la
circulation incroyablement dense et
vertigineuse de la marchandise, les
armes de la traçabilité et de l’étiquetage
s’émoussent au contact répété et
rugueux de la volonté de profit.

Nourriture de qualité déficiente ici
(d’où cancers et obésité), défaut complet
d’alimentation ailleurs (d’où mort
de millions d’êtres humains par sousnutrition),
ce Système est incapable
d’assurer la satisfaction des besoins
humains fondamentaux. Même dans
les « pays riches », la malnutrition gagne
du terrain. Les prétentions du Système
à une organisation rationnelle du
monde peinent à convaincre, tant
règne partout le chaos.

G.

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