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Le retour en force des nationalismes, éternels facteurs de guerre

Publié le 15 juillet 2014

«  L’humanité travailleuse est seule capable d’en finir avec la guerre, en créant l’équilibre économique, ce qui suppose une révolution radicale dans les idées et dans les cœurs »
Pierre Joseph Proudhon [1]

De vives tensions internationales apparaissent en différents points du monde  : la Chine et le Japon se disputent depuis quelques années la souveraineté des îles Senkaku ; et, depuis quelques mois, la Russie et l’Europe cherchent à contrôler la situation en Ukraine en s’appuyant sur des nationalismes rivaux.

Au sein même de la vieille Europe, sur fond de crise économique et sociale, ressurgissent des mouvements «  nationaux populistes » ou néofascistes dont l’influence va croissant. C’est à une véritable renaissance du nationalisme que nous assistons, véhiculée tant par des États-nation expansionnistes que par des lobbys régionalistes, relayés chaque fois par des partis à la conquête du pouvoir. Comment expliquer qu’une idéologie dont les conséquences meurtrières (des dizaines de millions de morts en deux guerres mondiales) sont bien connues, puisse être cyniquement utilisée par des pouvoirs en perte de vitesse pour susciter encore et malgré tout un certain enthousiasme ?

Le nationalisme arrogant du vainqueur engendre toujours le nationalisme revanchard du vaincu : historiquement, les résolutions des deux guerres mondiales ainsi que la fin de la « guerre froide » l’ont assez largement démontré. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut avoir le sentiment angoissant d’assister à des «  remakes », à de nouvelles versions de drames déjà programmés, déjà historiquement produits, à « l’éternel retour de l’identique » comme disait Nietzsche.

On se souvient que les conditions particulièrement dures faites à l’Allemagne vaincue en 1918 par le traité de Versailles ont nourri les désirs de revanche et favorisé la propagation de l’ultranationalisme nazi, provoquant ainsi la deuxième déflagration mondiale. La disparition de l’URSS et le démembrement de l’empire soviétique ont également participé à la diffusion d’un sentiment d’humiliation et de frustration. La défaite de l’URSS n’était pas militaire (bien que localement vaincue en Afghanistan grâce à l’aide américaine apportée aux talibans et à la ruine provoquée par la course aux armements de deuxième génération engagée par les USA), mais la déroute idéologique, politique et économique a été totale. L’humiliation ressentie alors a fourni aux dirigeants russes un terreau favorable à l’exploitation de sentiments revanchards et nationalistes ouvrant la voie à un impérialisme conquérant.

L’instrumentalisation des velléités revanchardes comme l’exacerbation de sentiments nationaux n’est évidemment pas l’apanage de la Russie, ni même des régimes autoritaires : les «  démocraties » n’ont jamais hésité à y recourir. La reconquête de territoires «  illégitimement perdus » lors des conflits précédents sert aux pouvoirs à relancer l’adhésion des populations à une communauté nationale dont la cohésion est mise à mal par les flagrantes inégalités sociales que les crises économiques d’hier et d’aujourd’hui révèlent en pleine lumière.

UNE LOGIQUE DU SENTIMENT ET DU RESSENTIMENT

Le nationalisme cultive donc avec passion le ressentiment mais aussi la nostalgie d’un passé récent ou lointain, quand il n’est pas parfaitement mythique. Le discours est toujours le même : « Notre nation (ou « notre belle région », suivant le cas) jouissait alors d’un bien être, d’une aisance et d’un espace qui ont disparu. Sa langue inimitable, sa culture raffinée rayonnaient sur la médiocre humanité qui nous environne ; œuvrons tous ensemble au rétablissement de sa splendeur d’antan, de sa gloire, et, immanquablement, la grandeur retrouvée rejaillira sur chacun d’entre nous, quelle que soit sa place dans la société, et fera notre parfait bonheur ».

C’est là la clef de la propagande nationaliste qui procède toujours par régression, par retour en arrière dans le temps, vers un passé supposé édénique qu’il faut restaurer. Hors de cette restauration du paradis national ou régional perdu, il n’est point de salut et les misères présentes continueront de s’abattre sur nous tous. Voilà certainement une des forces d’attraction du nationalisme, un de ses atouts : présenter un programme où le futur ressemble à un passé largement imaginaire, mythifié, que l’on peut donc enjoliver et embellir à loisir. Dans des périodes où l’avenir est plein d’incertitudes et de menaces, le nationalisme propose avec une revisitation du passé et sa ré-actualisation un avenir qui peut paraître rassurant en quelque sorte (quand bien même l’on devine vers quelles aventures sanglantes conduisent ces futurs à l’image du passé).

Dans l’idéologie nationaliste, la volonté de restauration de la splendeur passée s’accompagne en général de la dénonciation véhémente des responsables de la dégradation présente. Désigner des ennemis extérieurs ou intérieurs devient alors la grande affaire. Au fantasme irrationnel d’une historicité qui légitime la nation (ou la région), s’ajoute alors la culture systématique de sentiments de haine envers les responsables présumés de l’affaiblissement ou de l’amputation de «  notre patrie ». De l’expression de sentiments à leurs manifestations en actes, il n’y a plus qu’un pas à franchir, et c’est la guerre.

En temps de crise, la colère est souvent généralisée mais diffuse et sans objet clairement défini. Expert en arnaque et en escroqueries, le nationalisme arrive à détourner la colère légitime des victimes de la crise, non contre les responsables réels de la situation économique, mais vers un ennemi intérieur ou extérieur qu’une propagande haineuse a tôt fait de transformer en monstres dénués d’humanité. Il s’agit donc pour les propagandistes non seulement de détourner un flot d’agressivité, mais aussi d’exclure de façon radicale ceux qui ne font pas partie de la «  communauté » (nationale, régionale, ethnique…). Pour le nationalisme, la cohésion repose sur l’exclusion de l’Autre. L’affirmation de l’identité implique à terme la soumission ou la disparition de ceux dont l’identité est différente.

L’escroquerie originelle, «  primale  » de l’idéologie nationaliste réside bien sûr dans le fait de définir l’identité d’un individu par rapport à son appartenance (réelle ou supposée) à une identité nationale régionale ou ethnique, en passant sous silence toutes ses autres caractéristiques, en particulier son appartenance à une classe sociale, réalité pourtant bien plus tangible et incontournable que la fiction d’une patrie commune. Le concept même de nation (du latin natio  : naissance et, par extension, ensemble d’individus nés sur un même territoire) évacue d’emblée la différenciation sociale, pourtant bien réelle. Le Nouveau Larousse Universel indique, à juste titre, que «  Ce qui caractérise la nation moderne, c’est la communauté de sentiments qui se manifeste surtout par la communauté de langue ou de religion  ». L’idée de nation repose donc sur le sentiment subjectif qu’elle a d’elle-même, bien plus que sur des critères objectifs. Le sentiment national, qui précède la nation « [...] est l’intrusion plus ou moins spontanée du sentiment dans le domaine politique »[Karim Landais, «  Anarchisme, nation, identité, culture  », Orphéo Editions.]].

C’est bien parce que le nationalisme ne repose que sur des sentiments, des affects, de l’irrationnel, qu’il est si dangereux et que son instrumentalisation par des États, des partis, des factions, fonctionne malheureusement avec encore un certain succès. Dans un monde où l’idéologie dominante fait la part belle aux affects, aux émotions pour mieux manipuler les opinions, les valeurs universalistes, internationalistes et anationalistes qui nous sont chères (et qui présupposent que l’on fasse usage de la réflexion et de la raison) marquent le pas.

Mais les vieilles ruses du capitalisme pour sauver sa peau ne duperont pas indéfiniment les populations  : les scénarios à répétition finissent toujours par lasser. Aussi, plus nous serons nombreux à proclamer l’absurdité du nationalisme, plus vite il tombera.

Garga 

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