Accueil > Luttes > Divers > Écologie & autonomie, a propos des zad

Écologie & autonomie, a propos des zad

Publié le 15 juin 2014

Pour la deuxième fois, la ZAD tarnaise du Testet (voir nos numéros précédents) a été expulsée. Nouveau passage en force de l’État, qui ne doit pas nous empêcher – tout au contraire – d’aller au-delà de l’énergique dénonciation de l’action policière pour réfléchir sur les moyens d’assurer la réussite des luttes écologiques, ce qui passe pour nous par une inscription dans la lutte globale pour l’autonomie populaire.

UN PEU D’HISTOIRE

Le mouvement de défense contre la destruction par le capitalisme d’espaces naturels apparaît, du moins pour ce qui concerne l’Europe, en Angle-terre. Il est lié d’une certaine façon au mouvement des free festivals [1] des années 1960- 1980. Mais s’ils sont liés par la continuité historique (l’un prend la suite de l’autre, le remplace), ces deux mouvements sont de nature fondamentalement différente. En effet les mouvements free festivals des années 1960 avaient comme caractéristique une volonté consciente d’autonomie face à l’État et au capitalisme, s’inscrivant par là dans une époque d’intense activité révolutionnaire mondiale. Leurs petits frères, les mouvements écologistes radicaux (Earth First par exemple) ont pour caractéristique d’être largement intégrés au système en place, même si c’est en prenant une posture rebelle de circonstance, en affichant une attitude, en pratiquant une certaine manière d’être. Ces mouvements peuvent véhiculer des idées réactionnaires et antihumanistes, comme la volonté de faire passer l’environnement avant l’homme ou même d’aller vers la disparition de l’homme afin de préserver la nature.

Dans le fond, ils proposent de perpétuer le système avec quelques aménagements. Ces organisations, à l’origine de nombreux blocages de constructions diverses (aéroports, barrages…), sont relativement similaires aux ZAD [2] que nous connaissons en France actuellement.

Si ces deux grands types de mouvements ont (ou ont eu) recours aux réquisitions de lieux publics, la raison politique qui les anime est diamétralement opposée. Le premier réfutait la hiérarchie et revendiquait l’autonomie populaire face au pouvoir de l’État et de l’argent ; quant à l’autre, en ayant rompu avec le mouvement révolutionnaire, il en vient à affirmer qu’une petite lutte parcellaire (… pour une parcelle de terre… par exemple) est la seule forme de lutte envisageable et que construire une société sans hiérarchie est impossible. La défaite inéluctable de ce combat spécialisé et fragmentaire (parce que, si le capitalisme abandonne un projet ici, c’est pour en lancer un autre là), qui canalise les énergies d’activistes déconnectés le plus souvent de toute pensée révolutionnaire, est d’une autre espèce que la défaite antérieure des free festivals. Ces derniers avaient réussi à mobiliser des masses capables de se confronter au pouvoir. Ce n’est pas une incohérence interne mais une violente répression [3] qui l’a abattu, après que les communicants du thatchérisme aient réussi à rallier l’opinion publique contre eux, en amalgamant tous ceux qui avaient commencé à vivre l’utopie sous le terme infamant de « hippies ». La destruction fut violente, poussant même à l’exil un grand nombre de personnes.

Les deux décennies d’individualisation de la société et d’hégémonie du capitalisme privé tout puissant (le capitalisme d’Etat ayant été stoppé par la chute de l’URSS) qui vinrent ensuite ont préparé le terrain pour les nouveaux contestataires intégrés.

FAUX AMIS POUR FAUSSES VICTOIRES

Le camp No Border de juin 2009, qui fut une bonne initiative, est manifestement l’événement qui a fait le lien entre les mouvements anglais et français, important en France des pratiques typiquement britanniques. Ensuite cette lutte s’est axée uniquement sur le côté écologique. Cela est manifestement imputable aux politiciens professionnels présents sur place (Parti de gauche, Europe Écologie les Verts, Confédération paysanne...) mais aussi à la diminution de la conscience de classe, de la conscience révolutionnaire. Un bon exemple est fourni par Notre-Dame-des-Landes [4], instrumentalisée par les Verts dans leur lutte au sein du gouvernement, mais aussi par la Confédération paysanne de Bové, très impliquée dans la récupération et la canalisation du mouvement vers des actions symboliques ne remettant sûrement pas en cause le capitalisme et l’État (ex : marche complètement inutile sauf pour fatiguer et balader le militant, un peu comme les manifs des intersyndicales servent à distraire les prolétaire des villes). La présence de la Conf’ dans ces mouvements n’a rien de surprenant puisque le mouvement du Larzac (1971-1981) fut un précurseur des Zad actuelles. Déjà à cette époque, il servit de tremplin, entre autre, à José Bové (désormais bien au chaud à Bruxelles). Ce mouvement antimilitariste que fut initialement « le Larzac » a été rapidement détourné pour ses intérêts et ceux de quelques autres personnes. Si la Conf’ a gagné ce combat, l’autonomie populaire a perdu une bataille dans la lutte des classes.

A la Zad du Testet, la Conf’ s’est bien évidemment incrustée, en bon parasite qu’elle est, avec ses banderoles flanquées de moult gros logos et portant des slogans très politiquement corrects. Cependant, au moins pour l’instant, il semble que l’autogestion soit de mise dans cette Zad où plusieurs tendances se côtoient. Il n’y a pas de hiérarchie formelle et les choses se décident en assemblées. De plus, lors de leurs journées de sensibilisation, les débats étaient plutôt prometteurs quand à la suite du mouvement. Ce qui est une bonne chose, car il est primordial, si on veut dépasser la simple revendication parcellaire et corporatiste, de réfléchir à un moyen de lier écologie et autonomie populaire et de définit une stratégie révolutionnaire aussi claire que possible.

DE L’ÉCOLOGIE À L’AUTONOMIE ?

Cette problématique n’est en réalité pas nouvelle. Elle est au cœur par exemple de la réflexion de C. Castoriadis qui, dans « De l’écologie à l’autonomie » [5], n’apporte pas de réponses toutes faites mais tente de poser des problématiques et de donner des pistes d’analyse et de réflexion. Dans l’introduction de ce bouquin, Philippe Caumières définit ce qu’est l’autonomie en ces termes  : « L’autonomie, c’est, comme le terme l’indique, le fait de se donner les lois (nomos) soi-même (autos). Au plan collectif, l’autonomie n’est autre que la démocratie bien comprise, c’est à dire le régime où le pouvoir (kratos) appartient effectivement au peuple (dèmos). » Sur cette base, il poursuit la réflexion : « Envisager la question écologique sans renoncer à la liberté conduit donc à envisager la politique entendue comme activité collective de délibération et de décision à même de mettre en cause l’ordre social et les orientations qu’il impose ».

C’est par une sorte de parallèle avec la célèbre formule « Socialisme ou barbarie » [6] que Castoriadis pose le problème  : « Cette société […] pourrait se remettre en cause, en disant : ‘La façon selon laquelle nous vivons est absurde’. Mais elle pourrait aussi s’agripper au mode de vie actuel en se disant : ‘Tel parti a la solution’, ou : ‘Il n’y a qu’à mettre à la porte les juifs, les arabes, ou je ne sais pas qui, pour résoudre nos problèmes’ » (p. 34). Dès lors, la première question qui se pose est : est ce que «  [...] les humains [...] veulent vraiment être maîtres d’eux même ? ». Question que l’on peut adresser à tous  : à vous, à nous, aux écologistes, aux radicaux, aux acteurs des ZAD et, allons-y franchement, aux révolutionnaires. Voulons-nous, voulez-vous être réellement maître de vous-mêmes ? Sachant que, si les êtres humains « […] le voulaient rien ne pourrait les en empêcher... ». … à la condition toutefois nous semble-t-il que ces choix individuels se cumulent dans une volonté collective. La liberté, l’autonomie, c’est en effet un choix sociétal. Dans cette société dominée par l’argent, le choix des puissants est vite fait  : c’est la deuxième option de Castoriadis, avec la désignation de boucs émissaires, qui est valorisée.

Mais comment se fait-il que la conscience de la catastrophe écologique qui se poursuit allégrement depuis des décennies, que la connaissance des multiples faits insupportables qui font l’actualité, ne débouchent pas sur une opposition ferme et définitive « […] à la forme établie de l’institution de la société »  ? « Comment cette société arrive-t-elle à se maintenir et à tenir ensemble, alors qu’elle devrait susciter l’opposition de la grande majorité de ses membres ? Il y a une réponse qu’il faut éliminer définitivement de nos esprits, et qui caractérise toute la vielle mentalité de gauche : l’idée que le système établi ne tiendrait que par la répression et la manipulation des gens, en un sens extérieur et superficiel du terme manipulation. », or « Le système tient parce qu’il a réussit à créer l’adhésion des gens à ce qui est ». « C’est de cette constatation fondamentale que l’on doit partir, si l’on veut avoir une activité qui ne soit pas futile et vaine. » (p 24/25).

Là est le nœud du problème : si la société réussit à créer l’adhésion de la population, c’est que tout est fait pour que le « citoyen moyen », et encore plus le producteur, ne comprenne réellement ni les enjeux, ni les mécanismes. Fernand Pelloutier, un des fondateurs de l’anarchosyndicalisme, le disait déjà il y a plus d’un siècle : « Ce qui manque à l’ouvrier […] c’est la science de son malheur  ». Pour s’opposer à la société il faut bien évidemment la connaître en l’analysant. Il faut comprendre les mécanismes du pouvoir.

Dans une autre époque (et actuellement, dans d’autres pays) le pouvoir tirait sa substance de l’idée de Dieu, ce qui légitimait l’organisation verticale de la société. Aujourd’hui, dans plusieurs sociétés, on peut constater avec Castoriadis, que la religion a été remplacée par : « […] l’idée, la représentation, la signification imaginaire du savoir et de la technique. », « Ceux qui exercent le pouvoir [...] prétendent savoir et c’est au nom de ce prétendu savoir […] qu’ils justifient leur pouvoir aux yeux de la population. Et s’ils peuvent le faire c’est que la population y croit, qu’elle a été dressée pour y croire. » (p 28). Il y a un véritable danger dans la technique comme dogme et outil du pouvoir, mais il faut savoir faire la part des choses et ne pas tomber dans une pensée caricaturale. « […] il est aussi trop facile d’évacuer la question, comme cela se fait souvent dans notre milieu et par des gens qui nous sont proches, en voulant jeter par-dessus bord en bloc la science et la technique comme telles, parce qu’elles seraient de purs produits du système établi ; on aboutit ainsi à éliminer l’interrogation portant sur le monde, sur nous-mêmes, sur notre savoir. » (p 31) [7]. Or, l’absence de ce type d’interrogations conduit à l’impasse politique. Ainsi, Castoriadis constate-t-il que le mouvement ouvrier, dans son imposante majorité, était limité dans sa remise en question de la société en particulier parce qu’il n’abordait pas la question de la création des « besoins » par le capitalisme. C’est à l’inverse un apport majeur du mouvement écologique [8] que d’avoir commencé à penser la question des besoins dans leur rapport à la nature et au monde.

C’est une réflexion toute en nuance sur « écologie » et « autonomie » que propose donc Castoriadis, en tentant de définir ce que pourrait être la nature d’une société autonome. « C’est qu’une autre société, une société autonome, n’implique pas seulement l’autogestion, l’auto-gouvernement, l’auto-institution. Elle implique une autre culture, au sens le plus profond ce terme. Elle implique un autre mode de vie, d’autres besoins, d’autres orientations de la vie humaine. Car vous serez d’accord avec moi pour dire qu’un socialisme des embouteillages est une absurdité dans les termes... » (p 42). « […] comment peut-on transformer le moyens techniques pour les mettre au service de fins qui seraient différentes ? Par exemple, comment peut-on transformer la technique productive pour que les producteurs, comme individus et comme groupes, soient vraiment les maîtres du processus productif ? Car, bien évidemment, l’idée d’un socialisme de chaînes de montage et d’assemblage est une absurdité, une contradiction dans les termes. » (p 72). Reste également à envisager comment la transformation du monde technologique actuel pourrait se faire : « […] il est évident qu’elle devra se faire à partir de ce qui existe et de ce que nous avons. C’est-à-dire, il faudra encore s’emparer de parties de ce qui existe à présent comme technologie. Ce qui est essentiel, c’est de parvenir à une vue suffisamment claire de ce que l’on veut faire et de ce que l’on veut éviter, pour que les parties qu’on utilise ne risquent pas de ré-engendrer le système que l’on essaie de détruire. » (p 73).

Cette dernière réflexion est d’une cruelle actualité [9]. Elle ne concerne pas que la technologie, mais s’étend à notre avis aux autres problématiques. Éviter de reproduire dans la pensée révolutionnaire les schémas autoritaires, archaïques dont la société nous imprègne est une indispensable nécessité. Examiner chaque problème à la lumière de différentes approches peut permettre d’y parvenir. Foin donc d’une écologie séparée du mouvement social, comme d’un mouvement social qui se désintéresserait de la dimension écologique.

Contact


Envoyer un message