Les libertariens : rien de libertaire, tout de fasciste
Publié le 15 juin 2014
Une théorie, localisée essentiellement aux États-Unis ou dans des pays anglo-saxons, avec des termes tels que "libertarien" (venant de libertaire) ou "anarcho" associés au terme "capitaliste", se diffuse à travers Internet. Une telle expropriation des termes anarchistes / libertaires par des hiérarchistes peut surprendre, au vu des incompatibilités évidentes entre ces termes, mais du fait de la récurrence de ces expressions sur le net un article succinct résumant ces "théories" semble nécessaire, pour clarifier ce qu’est cette manipulation.
L’association de termes contraires, tels "anarcho" avec "capitaliste" en un oxymore, est un art de la confusion que les étato-capitalistes aiment pratiquer afin de faire prendre des vessies pour des lanternes et vendre ainsi leurs vieilles camelotes sous un nouvel emballage doré. Cela s’est déjà vu avec les capitalo-étatistes bolcheviques qui se prétendaient communistes tout en instaurant un capitalisme d’État, aidés en cela idéologiquement et en pratique par les diverses bourgeoisies, afin d’écraser l’auto-émancipation en acte du mouvement ouvrier.
Pour clarifier le propos on n’utilisera pas l’oxymore des étato-capitalistes, ce qui serait donner de la valeur à la novlangue de ces marchands de misère. On pourrait les nommer "capitalistes d’État privé" ou "ultralibéraux", mais pour simplifier on les nommera "propriétariens", cela pour reprendre la désignation qu’utilisent avec justesse les anarchistes états-uniens pour qualifier cette nouvelle escroquerie Etato-capitaliste.
Hormis la volonté expansionniste et vorace inhérente à l’étato-capitalisme (comme à son opposé : le capitalo-étatisme) dans toutes ses dimensions, les raisons pour laquelle des étato-capitalistes propriétariens usurpent des termes venant des anarchistes sont diverses.
Historiquement, il s’agit d’une des conséquences de la guerre froide, de la politique anticommuniste états-unienne (avec sa chasse aux sorcières organisée par les maccartystes), ce qui a amené les "socialistes" états-uniens à se dénommer "libéraux" (en référence au libéralisme politique ou aux démocrates libéraux), et par effet et en parallèle, les "libéraux" (en référence au libéralisme économique ou des ultralibéraux) ont dû trouver une autre désignation à leurs mouvements pour ne pas être confondus avec les "socialistes".
Idéologiquement, en partant de l’économie autrichienne et d’une définition très particulière et erronée de l’anti-étatisme, des libéraux [1] en sont arrivés petit à petit à s’autodésigner comme "anarchistes" (en interprétant largement les idées "anarchistes individualistes" dont ils se seraient inspirées) et cela malgré une contradiction évidente : défendre le capitalisme, implique un étatisme minimal ou maximal, une hiérarchie sociale, une société divisée en classes ainsi que le salariat, toutes conceptions totalement étrangères à l’anarchisme. Comme nous le verrons, leur anti-étatisme est étroit et faux, ce sont en fait des étatistes (des étato-capitalistes !) qui s’ignorent sciemment.
Comme bon nombre de théories totalitaires et manichéennes, ils divisent le monde en deux camps, le capitalisme et l’étatisme. Ils considèrent qu’il faut choisir son "camp", qu’on ne peut pas lutter contre le capitalisme et l’étatisme en même temps. Il s’agit là d’un discours hypocrite, en miroir de celui des sociaux-démocrates bolcheviques (puisque ces derniers ne refusaient pas le capitalisme d’État ; tout comme les propriétariens ne refusent pas l’étatisme privé, les uns et les autres partageant donc la même contradiction totalitaire avec des points de départ opposés). Dans les faits, le capitalisme et l’étatisme sont indissociables, l’un existe par l’autre et réciproquement. Tout le reste n’est qu’une question d’équilibre politico-idéologique : la lut-te se situe alors entre les étato-capitalistes (pour lesquels l’économie dirige le politique) et les capitalo-étatistes (qui veulent, à l’inverse, que le politique dirige l’économique). Pour masquer leur escroquerie qui résulte de l’incohérence entre la fin et les moyens, les propriétariens utilisent des mots trompeurs, comme le firent en leur temps les bolcheviques. Ce sont des manœuvres idéologiques dont l’idée est de créer l’illusion du nouveau ou du renouveau.
En pratique, les propriétariens déclarent qu’ils peuvent agir dans leur propriété privée (leur "patrie") comme si c’était un État [2] et inversement. Pour eux, le propriétaire, seul maître, a un droit absolu sur sa propriété et sur ses sujets (locataires, salariés, esclaves, citoyens). Il peut défendre sa propriété selon ses propres critères de "justice" et ses intérêts. Pour une organisation plus vaste, les propriétariens proposent des agences de protection, avec police privée, cours de justice privées, armées privées, et cela selon des codes de lois généraux propriétariens [3]. La liberté pour eux c’est la propriété et le fait de pouvoir choisir son maître, son esclave, son gouvernant, sa nation, sa police, sa justice...
Vis-à-vis de l’État actuel, une grande partie des propriétariens a choisi de passer par l’intermédiaire de divers partis ("Libertarian party", "UKIP", ... en France ils firent un essai électoral avec "Alternative Libérale" - AL) qui participent aux élections représentatives afin de justifier ce système. Aux États-Unis, un de leurs représentants, Ron Paul, variant entre "Libertarian party" et "Republican party", s’est illustré à de nombreuses reprises pour ses accointances (financements ou conférences) avec des groupes d’extrême droite (JBS John Birch Society, les sudistes de la Ligue du Sud, des suprémacistes blancs, les intégristes de Fatima...), pour des propos racistes récurrents, notamment ces lettres des années 90 sur les Noirs (qui à Washington DC, selon lui, seraient essentiellement des criminels ou des semi-criminels), mais aussi par des prises de position contre l’abolition des lois ségrégationnistes des Etats du sud. D’autres auteurs propriétariens ont défendu des positions autrement autoritaires, tel que Hans Hermann Hoppe [4] déclarant clairement son homophobie, prônant la censure voire l’élimination physique de ses opposants, défendant la monarchie, pour ne pas dire la "dictature privée", qui selon lui est bien plus efficace qu’une démocratie, car seul le monarque saura défendre ses frontières nationales comme si c’était sa propriété privée. Il faut ajouter que d’autres positions dans le cadre du marché "libre", autres que le salariat, sont avancées par des propriétariens [5], telles que valoriser la prostitution (dans la vision globale d’une société de marchandisation), ven-dre/acheter des organes, vendre/acheter des enfants, mettre des enfants au travail salarié ou en esclavage... pour eux la morale se situe dans la propriété privée ou dans la hiérarchie et non dans les rapports sociaux égalitaires.
On peut donc comprendre la raison pour laquelle les références idéologiques et économiques des propriétariens sont Hayek, Friedman, Ludwig Von Mises,… auteurs ayant défendu ou travaillé pour des dictatures [6]...
Cette théorie totalitaire consistant à défendre le capitalisme à tout prix amène ses défenseurs à utiliser logiquement les moyens étatiques actuels qu’ils prétendent rejeter. Dans d’autres cas, ils défendent l’application des fonctions de l’État régalien au sein de leur propriété privée (individuellement ou par l’intermédiaire d’agences privées). Changer le mot "Etat" par "agence" ne change rien au fond des pratiques étatistes des propriétariens quels qu’ils soient. Tout comme l’utilisation qu’ils font des termes "anarcho" au détriment de leur propre crédibilité ne change en rien l’escroquerie de leurs théories.
Patrick Merin