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MANŒUVRES ET BASSES ŒUVRES

Publié le 23 décembre 2014

La société actuelle est imprégnée dans son ensemble par une idéologie issue d’un courant idéologique dont on entend parfois parler - mais si peu qu’il semble ne pas exister - un courant qui a su s’intégrer en silence. Le postmodernisme, c’est de cela qu’il s’agit, mine les mentalités [1]. Il reflète la vision que la classe dirigeante jette sur le monde et, à ce titre, il ne peut être qu’un outil de régression sociale. Il est intéressant de décrypter divers événements récents en y démasquant la grille de lecture de cette idéologie pernicieuse, d’autant plus difficile à combattre qu’on ne la saisit pas toujours.

L’opposition au barrage de Sivens et la mort de Rémi Fraisse ont provoqué un vent de révolte qui aspire à se développer malgré la répression et la stigmatisation dont il fait l’objet. Pour ne pas répéter ce qui est écrit quelques pages plus loin, il ne s’agit pas, ici, de faire un inventaire ou un résumé de tous les témoignages écrits (ou filmés), mais de rappeler, tout d’abord, qu’il est vital pour la lutte - et qu’il appartient, de façon absolue, à chacun - de porter un jugement sur l’État, le capitalisme et leurs institutions, et ensuite de comprendre comment le couple Etat-capitalisme arrive à désorienter ceux qui, au départ, ont, a priori, de bonnes intentions. Ce texte n’a d’autre ambition que de constituer une contribution à cette réflexion et de lancer un appel à ce que chacun y participe. De fait, les positions que j’avance sont peut-être discutables ; mais à discuter réellement.

En tout cas, ces événements doivent inciter à réfléchir, et certaines choses doivent être dénoncées pour ce qu’elles sont vraiment, afin d’une part de les relier à la réalité politique et sociale et d’autre part de démystifier le discours dominant. Le fait que beaucoup de personnes se « reconnaissent » dans la lutte contre le barrage de Sivens devrait susciter de forts engagements. Globalement, de l’ensemble des questions liées à l’écologie, il ressort de plus en plus souvent que la rue - c’est-à-dire le peuple dans toutes sa diversité - remet en cause le cadre restreint dans lequel les partis, les syndicats et autres institutions entendent enserrer la contestation (salaires, licenciements et leurs indemnités, vote « protestataire »…). L’exploitation effrénée des ressources, le sens même de tous les projets (grands ou moins grands), aussi inutiles que mégalomaniaques, entraînent de plus en plus d’opposition contre le productivisme capitaliste et contre la répression policière et judiciaire, consubstantielle à cette logique tyrannique. Un tel esprit de révolte ne peut être toléré par l’État, le postmodernisme lui fournit de quoi brouiller les pistes.

Le postmodernisme a en effet - et surtout - réussi la prouesse d’intégrer des pensées réactionnaires au sein des courants d’extrême-gauche et de tous les mouvements qui sont associés à la liberté et à la contestation. Sa vocation est en effet de falsifier le discours sur la réalité pour brouiller et désorienter les esprits. Le relativisme (un des « piliers » du post-modernisme) est devenu tellement prégnant qu’il conduit, souvent à défendre des positions réactionnaires tout en se donnant des airs humanistes. Un exemple, lié aux événements récents, est l’initiative des « white blocks » qui voudraient se démarquer des « blacks blocks », bien sûr. En fait, cela conduit à scinder le mouvement, à le fragmenter, en commençant par diviser l’ensemble entre « bons » et « mauvais » manifestants, « manifestants pacifiques » et « manifestants casseurs ». Cela n’est possible qu’en cédant à un sentiment de culpabilité. Ce relativisme aboutit alors à valider la version du discours dominant sur la « violence » des manifestants et des manifestations, violence préfabriquée et non intrinsèque. Ce qui, en réalité est, ici, visé et menacé, c’est la contestation elle-même, l’émergence d’une révolte véritable, l’éclosion d’un courant révolutionnaire toujours en gestation.

Ce même relativisme se retrouve dans le traitement médiatique qui met, cette fois-ci sur un pied d’égalité, le meurtre de Rémi Fraisse et la baisse du chiffre d’affaires des commerçants des centres-villes dans lesquelles ont eu lieu des manifestations. Ce n’est pas forcément facile à saisir, mais si l’on se donne la peine d’y réfléchir un instant, cet artifice devient évident. Peut-on décemment mettre en concurrence la mort d’un jeune homme avec le chiffre d’affaire des commerçants  ?

La psychose que créent les médias bourgeois et les « invitations » des flics à baisser le rideau des commerces - au prétexte du danger imminent des manifestations - ont pour but d’éloigner un maximum de gens du message que portent les manifestants. Le tout est qu’ils ne puissent pas s’y reconnaître. Le pouvoir essaie « subtilement » de monter différentes franges de la population les unes contre les autres.

Mais, le postmodernisme a d’autres facettes. Il est à l’œuvre lorsqu’un président se réclamant d’une droite « décomplexée » prend des postures de gauche, en se revendiquant de Guy Moquet, de l’héritage de Jean Jaurès, ou des « Lumières ». L’imposture est encore plus claire lorsque ce même ex-président déclare que, aujourd’hui, on ne parle plus de projet de société, mais de société(s) de projet(s) et qu’il tente de nous faire croire que nous sommes arrivés à la fin de l’histoire.

Accessoirement d’ailleurs, il est possible de comprendre la phrase précédente de deux façons. La première, celle d’une société humaine qui n’aurait pour seul horizon, pour seule ambition, que de faire des projets pharaoniques et rentables. La deuxième, celle de sociétés-business, entités qui ficellent des projets clefs en main pour le plus grand profit d’un groupe d’actionnaires. Dans les deux cas, il s’agit, au bout du compte, de faire tourner la machine capitaliste, coûte que coûte. Dans les deux cas, les grands projets, comme les centrales nucléaires, l’aéroport de NDDL, les barrages de Sivens ou d’ailleurs, le TAV, ou la zone commerciale du plateau de la Ménude (qui fut finalement abandonné suite à la pression des opposants), etc. se révèlent être aussi inutiles que coûteux (et pas qu’en argent).

Il faut, également, signaler que, l’entreprise d’aujourd’hui n’est plus seulement organique (usine), elle est, maintenant aussi, synonyme de projet (un aéroport ou un barrage, c’est une entreprise, dans la construction et dans l’exploitation).

Cette novlangue que l’on impose discrètement joue un rôle nuisible, c’est pourquoi il ne faut pas hésiter à réhabiliter les termes présentés comme dépassés, ringards ou archaïques mais qui sont riches de sens [2].

En fin de compte, si la confusion, le désengagement et la culpabilisation sont des objectifs du postmodernisme, il faut, pour bien l’appréhender, être conscient qu’il se dissimule, tant bien que mal, derrière de nombreux sophismes et qu’il se développe aussi bien à gauche qu’à droite.

Ainsi, à propos des événements de Sivens, il a été beaucoup question de « pacifisme ». Pourtant, lorsque sur une banderole il est inscrit « Rémi Fraisse, ni oubli, ni pardon », cela ne colle pas vraiment avec ce que revendique historiquement le pacifisme. Rappelons que le pacifisme est la recherche de la paix - pas de la résolution des problèmes - et que la volonté sous-jacente est d’éviter le conflit ou la guerre. Cela se fait au prix d’un compromis qui évacue l’idée de la lutte et qui implique, tôt ou tard, l’oubli et le pardon.

Les « white blocks » croient, naïvement, que les institutions agissent dans l’intérêt général, que les gouvernants sont d’honnêtes gens et que l’on finira bien par s’entendre avec eux, à condition que l’on soit dociles ou dans une contestation tout juste symbolique.

PACIFISME CONTRE NON-VIOLENCE

Ne pas être pacifiste ne signifie pas pour autant être violent. Cette « nuance » est très importante. La non-violence (qui est bien différente du pacifisme) n’évacue pas le conflit, elle est une action intelligente qui demande autant de détermination, plus de courage et de réflexion que « l’affrontement direct et violent ». Il ne me viendrait pas à l’idée de désavouer sur le fond ceux qui affrontent le système à coups de pavés pour des raisons politiques, mais je pense, qu’au stade actuel en tout cas, cela est instrumentalisé contre nous avec un certain succès. Et l’État le sait. C’est d’ailleurs pour cela, et ceci a été dénoncé sur les réseaux sociaux (vidéos à l’appui), que ce même État n’hésite pas à envoyer, purement et simplement ses flics et autres bac’queux, jouer les casseurs en entraînant ceux qu’ils peuvent dans leur sillage ; fabriquant ainsi les images nécessaires, d’une part, à la criminalisation d’une prise de conscience de la population et, d’autre part, à la propagande de l’État. Cela permet, aussi, dans la confusion générale, des arrestations faciles, et arbitraires ; parfois même celles de simples passants qui ont eu le tort d’être là. Mais qu’importe. Le tout est de faire des images, du chiffre.

La revendication du pacifisme comme le propose l’initiative des white blocks ou le NPA signe, en réalité, le triomphe de la violence, celle de l’État. Dans la guerre sociale qui se déroule (avec des intensités variables d’une zone géographique à l’autre), il ne peut être question de paix. Il nous faut privilégier, autant que possible, la non-violence, mais en aucun cas, il ne faut enterrer le conflit ; ce serait absurde. Face à un État décomplexé, qui a par là-même pris l’initiative, il faut également bannir la crainte et la culpabilité qui ne peuvent être que des entraves à l’action et à la lutte, sans pour autant verser dans la violence. Difficile équilibre certes, mais qu’il faut continuer à construire pour inverser le rapport de forces. La lutte doit maintenant être décomplexée et déculpabilisée. Il faut se débarrasser des vieux préjugés, réhabilités et maquillés au goût du jour par l’idéologie postmoderne et prendre conscience que tout nous rapproche et que seuls les préjugés nous séparent. L’ambiguïté entre pacifisme et non-violence est une passerelle entre des courants et des aspirations qui peuvent converger sur certaines questions, mais finalement s’opposer sur d’autres de façon déstructurante pour une dynamique sociale.

Autre type de confusion à signaler : celle que nous offre, par exemple, confortablement dissimulée derrière son image de victime du racisme (ce qui est une façon de sous-entendre qu’elle serait obligatoirement du côté des défavorisés), la ministre de la justice, garde des sceaux. Elle a, dans ses fonctions, la direction du ministère public (c’est-à-dire du Parquet). Elle est donc la personne qui donne les consignes d’intransigeance, de répression, à ce même ministère public. La magistrature debout (le Parquet) est tenue directement par la ministre de la justice. La magistrature assise, celle qui prononce les condamnations, soi-disant indépendante, est aux ordres et suit le mouvement, car bien des moyens indirects de pression existent pour la convaincre si nécessaire. Cela aboutit à des condamnations aussi injustes qu’arbitraires. Violences policières et répression judiciaire ne sauraient être utiles au pouvoir sans fonctionner ensemble. Un exemple quasi-similaire de confusion entretenue, plus pervers même puisqu’à double coup, nous vient d’outre-Atlantique et démontre que les confusions sont les mêmes partout puisque les États véhiculent tous cette pensée unique : le postmodernisme.

Premier coup : Le traitement médiatique concernant la révolte légitime contre la décision de l’administration américaine de relaxer le policier meurtrier d’un jeune garçon, à Fergusson dans le Missouri, réduit cette affaire à une ambivalence entre la lutte contre une délinquance inévitable et une vague interrogation sur un excès de zèle policier motivé par le racisme. En réalité, la presse escamote soigneusement la question sociale. Rien, non plus, ne remet en cause le postulat que le communautarisme est quelque chose d’indépassable, et surtout, que celui-ci est une gestion capitaliste de la société, que le racisme qu’il contribue à entretenir n’est pas la cause, mais la conséquence de cet état de fait.

Deuxième coup : Obama, lui aussi « nécessairement » contre le racisme puisqu’il est noir, condamne fermement les débordements, signifiant ainsi que, finalement, le mouvement de contestation qui n’était déjà pas « social » n’est même pas « anti-raciste », bref, qu’il s’agit simplement d’une révolte de voyous, première victime incluse.

L’extension de la révolte aux États-Unis, comme en France, montre que les crimes partout se ressemblent, que les réactions sont identiques, et que les méthodes de dénigrement et le mépris des États sont les mêmes partout.

En bref, nous pouvons constater, au regard des mobilisations contre les violences policières et les grands projets mégalos, qu’un saut qualitatif est nécessaire et susceptible de se produire, et qu’une bonne analyse de l’idéologie dominante et de ses méthodes ne peut qu’y contribuer.

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