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LYCEENS DE BANLIEUE : DEPOLITISES ? VRAIMENT ?

Publié le 17 avril 2016

On entend régulièrement un vilain petit refrain à propos des lycéens de la banlieue parisienne : les jeunes qui manifestent, qui « brûlent des poubelles » ne sauraient pas pourquoi ils le font, si ce n’est pour le plaisir de mettre le bazar… car ils seraient « dépolitisés ».

Lors des révoltes de banlieue de 2005, nous avions déjà entendu cette triste rengaine de la « dépolitisation », chantée par pratiquement tous les « responsables » politiques et syndicaux, par tous les « experts » télévisuels et autres imbéciles patentés (et surtout subventionnés) de l’extrême-droite à l’extrême-gauche (y compris par certains « libertaires », par exemple, ceux d’A.L.).

Ceux qui du haut de leur « savoir » nous tiennent, aujourd’hui comme hier, des propos aussi méprisants que péremptoires feraient bien de regarder la réalité en face plutôt que de s’obstiner à fixer leur nombril.

La réalité, c’est que beaucoup des lycéens de banlieue, beaucoup de ceux qui manifestent voient, souvent depuis leur naissance, leurs parents galérer pour boucler les fins de mois. Ils savent, parce que c’est le quotidien chez eux et autour d’eux, ce que c’est que le « rapport au travail » dans notre société, ils savent ce que c’est que des mères obligées de travailler la nuit au « nettoyage des bureaux » pour trois euros six sous, ce que c’est que des pères qui passent aux agences d’intérim pour rien ou pour des boulots précaires, dangereux et mal payés. Ce que c’est que des frères, des sœurs obligés de s’humilier en « justifiant » des recherches de travail alors que tout le monde sait qu’il n’y en a pas. Ils savent tout ça. Ils savent, parce que beaucoup d’entre eux en sont, qu’il y a des masses d’enfants pauvres en France (2,4 millions en 2011, probablement bien plus en 2016 !)*1. Ils savent, par expérience, que des centaines de milliers d’enfants et d’adolescents ne mangent pas tous les jours à leur faim*2, dans une indifférence quasi générale. Et, pour les plus pauvres, ils vivent, parfois depuis des années, dans des « hôtels sociaux » et autres taudis… Et tous ces jeunes-là n’auraient aucune raison de se révolter ? Croyez-vous que, quand ils entendent tout le charabia El-Khomryesque, ils ne comprennent pas, on pourrait dire « instinctivement », que cela va être encore pire ? Même pas pour leur « avenir », mais déjà pour leur quotidien !

Oui, leur perception du fonctionnement de la société est confuse, oui, ils sont pris dans de pénibles contradictions (mais ce ne sont pas les seuls), oui ils font les rêves dont les médias les nourrissent (gagner plein de thunes, vite fait), oui, ils sont travaillés par des idéologies réactionnaires, par des croyances complotistes,… Oui, mais, il y a aussi beaucoup de choses « politiques » qu’ils vivent au quotidien et qu’ils comprennent, parfois « en profondeur », même s’ils n’ont pas les « bons mots » à mettre dessus. « Il est monstrueux de prétendre, argumentait André Gide dans un meeting antifasciste en 1933, que ceux qui n’ont pas parlé sont ceux qui n’avaient rien à dire »*3 car tout comme nos lycéens de banlieue ceux qui ne « parlent pas » sont souvent ceux qui auraient le plus à dire, même s’ils n’ont pas les « moyens » de le faire.

D’ailleurs, sur tout ce qu’on peut relever de « négatif » chez les lycéens de banlieue, la différence n’est peut-être pas si grande avec les lycéens de centre ville (eux aussi travaillés par le complotisme, par les idéologies réactionnaires…). Or le discours dominant ne taxe pas ces derniers de « paumés dépolitisés ». Une telle différence de traitement entre les uns et les autres interroge. Il y a, bien sûr, diverses raisons à cela. La plus importante est probablement que le pouvoir n’a pas du tout envie qu’une jonction s’opère entre ces deux mondes, que les lycéens de banlieue « descendent » à Paris. Le discours dénigrant dont ils sont la cible a pour fonction de les clouer sur place, de les tenir éloignés de la capitale.
cnt-ait-paris-banlieue@riseup.net p

_1.- Chiffres du rapport 2011-2012 de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale _2.- Avant de nous taxer de misérabilisme, que chacun médite cette interview d’un responsable du Secours populaire :
« Chaque année, nous permettons à des enfants, issus de familles ayant des difficultés financières, de partir en vacances. Lorsqu’ils reviennent, nous leur demandons ce qu’ils ont le plus aimé… La couleur de la mer Méditerranée ou la hauteur de la tour Eiffel qu’ils n’ont jamais vue ? Non, beaucoup d’entre eux nous disent qu’ils ont été marqués par le fait qu’ils ont eu trois repas par jour ! Ce manque de nourriture au quotidien est un constat alarmant ! » référence : http://education.francetv.fr/matiere/actualite/ce2/article/en-france-des-millions-d-enfants-ne-mangent-pas-tous-les-jours-a-leur-faim _3.- André Gide, Littérature engagée, textes réunis par Yvonne Davet, NRF Gallimard, 1950.

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