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DANGER, POLICE

Publié le 17 avril 2016

Lycéen pacifique frappé violemment en plein visage (Lycée Bergson), manifestants tout aussi pacifiques gazés sur le périphérique de la ville (Caen), hélicoptère et canons à eau (Nantes), tirs de grenades lacrymogènes pratiquement sur les manifestants (Toulouse), violences en série (« Beaucoup de jeunes se sont fait défoncer » - Marseille), tirs de flashball sur la foule (Lyon), réapparition dans diverses ville des sinistres « voltigeurs », sur leurs motos (supprimés par la droite après l’assassinat de Malik Oussékine, réintroduits par le gouvernement socialo-écologiste, tout un symbole)... les violences policières, loin d’être des épiphénomènes sont une constante en France, même si elles sont soigneusement occultées par le pouvoir.

C’est pourquoi la toute récente parution du rapport réalisé par l’Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT), association peu suspecte d’anarchisme, intitulé : « L’ordre et la force : enquête sur l’usage de la force par les représentants de la loi en France »*1 constitue un événement considérable car c’est une des premières fois que ce sujet est porté, globalement, à la connaissance du public. En préambule, les auteurs disent toutes les difficultés rencontrées pour le réaliser. « On sait bien peu de choses de l’usage de la force par nos policiers et nos gendarmes » écrivent-ils , «  parfois même, les donnée publiées par les institutions officielles sont largement minorées  »*2 quand elles ne passent pas directement à la trappe. On est loin de toute «  transparence ». Un « nécessaire état des lieux s’imposait » écrit l’ACAT.

Devant l’absence absolue de données globales officielles, l’ACAT a donc du réaliser un travail de fourmi. Elle a procédé à l’analyse minutieuse du peu de documentation disponible (vagues rapports institutionnels, associatifs et parlementaires, études sociologiques et médicales, décisions de justice, articles de presse, etc.). Entre autres choses, elle a réussi à réunir 89 situations bien documentées de violences policières survenues en France dans les années 2005-2015, ayant entraîné 26 décès, 29 blessures irréversibles et 22 blessures moins graves. Ces 89 situations constituent un échantillon, elles ne sont que la face émergée de l’iceberg : de nombreuses victimes ne portent pas plainte (ou sont dissuadées de le faire par ceux-là même qui sont chargés de les enregis-trer) et les médias sont en général très discrets sur les cas de violence policière.

La lecture du rapport est stupéfiante. Au-delà des 89 cas hyper-documentés, on apprend que les interventions des forces de l’ordre ont causé au minimum la mort de 109 personnes entre 2004 et 2014 et que l’on compte même en moyenne un décès par mois entre 2010 et 2014 (14 décès en 2014, 10 en 2013, 19 en 2012 et 9 en 2010 et 2011). Si le nombre des décès a tendance à diminuer par rapport à une époque révolue, le nombre des blessés, lui augmente significativement du fait de l’emploi d’armes intermédiaires, théoriquement non létales.

Les victimes sont majoritairement de sexe masculin, jeunes (sur les 89 situations examinées par l’ACAT de personnes blessées ou tuées dans le cadre d’intervention des forces du désordre, 14 ont moins de 18 ans (les plus jeunes n’ont que 8 et 9 ans !) et 20 entre 18 et 25 ans) et appartiennent à des «  minorités visibles ». De nombreux cas de violences policières ont pour origine des contrôles d’identité et des actes discriminatoires à l’encontre de membres de « minorités visibles ». Sur les 26 décès étudiés par l’ACAT, 22 concernaient des personnes issues de ces minorités.

L’ACAT ne donne pas de renseignements sur la position sociale des victimes mais tout laisse supposer que la probabilité d’être victime de violence policière est bien plus importante si l’on est pauvre. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a, parmi ces morts et ces blessés graves, aucun gangster fiscal, même s’il a escroqué à la collectivité des millions d’euros.

L’AUGMENTATION DES VIOLENCES POLICIERES, CONSEQUENCE DU CHANGEMENT DE DOCTRINE

De plus en plus d’actes de violence policière entraînant des blessures sont commis à l’occasion d’opérations de maintien de l’ordre (blesser gravement étant une conception très particulière de maintenir l’ordre, on nous permettra de le souligner).

Contrairement aux dires des policiers qui affirment que les manifestants sont de plus en plus violents, ce sont des changements dans la doctrine historique du maintien de l’ordre en France, consécutives à la mise en œuvre d’une nouvelle génération d’armes supposément non létales, qui expliquent cette évolution gravissime. Jusqu’alors, la doctrine était de maintenir à distance les manifestants pour éviter le plus possible de tuer et de blesser ; aujourd’hui la doctrine est de « taper dans la foule » avec des armes type flash-ball, taser, ou diverses grenades. Comme l’écrit D. Dufresne : « Tirer en l’air une grenade lacrymogène [ce qui était le cas avant] ou viser la foule à hauteur d’hommes [comme c’est de plus en plus le cas maintenant] ; c’est une différence majeure ». Cette évolution est criminelle. L’ACAT consacre un chapitre de son rapport à l’étude de cette nouvelle génération d’armes et montre que les lanceurs de balles de défense, les pistolets à impulsions électriques, les diverses grenades, sont à l’origine de blessures graves, souvent irréversibles voire même, dans plusieurs cas, de décès (entre 2004 et 20015 on comptabilise au minimum 1 mort et 39 blessés graves suite à des tirs de flashball ou de lanceurs de balle ; 30 % des victimes étant des enfants au sens juridique du terme). Les opérations dites de maintien de l’ordre relèvent, du moins contre certains adversaires, de la rhétorique guerrière. Ainsi à Sivens, en l’espace d’à peine 3 heures, 237 grenades lacrymogène, 38 grenades GLI F4 et 23 grenades offensives (dont celle qui a tué Rémi Fraisse) ont été tirées ainsi que 41 balles de défense avec lanceur de 40X46mm. Les forces de l’ordre ont dépensé à Sivens beaucoup d’énergie pour défendre une cabane de chantier  ! Dans d’autres cas, pourtant, elles laissent faire. Par exemple, même les bâtiments administratifs ne sont pas protégés à une condition : il faut que les casseurs soient des industriels agricoles (rappelons que, lors d’une de leurs manifestations, la préfecture de Morlaix a ainsi été détruite).

Les violences policières ne s’exercent pas que sur la voie publique, nombre de personnes se plaignent à juste titre, de mauvais traitements subis lors de transports ou lors d’interrogatoires dans des locaux de police. L’ACAT a comptabilisé 2 décès survenus dans ces circonstances.

Enfin, pour parachever son enquête, l’ACAT a voulu savoir quelles sanctions encouraient les policiers ou les gendarmes qui violaient la loi et les règlements qu’ils ont charge de défendre. La réponse est accablante : « Les faits illégaux d’usage de la force par les forces de l’ordre sont au final rarement et faiblement sanctionnés. Là encore, l’opacité règne ». Policiers et gendarmes bénéficient d’une quasi-impunité de fait.

Pourtant plusieurs instances sont chargées de veiller au respect des règlements. Trois types de contrôle sont en principe prévus : internes, externes et judiciaires. Au total, ces contrôles sont une sinistre comédie et n’aboutissent à rien, en particulier ceux qui sont effectués par des fonctionnaires appartenant au même corps que les suspectés, «  contrôles  » effectués par des copains donc. Ainsi, en 2014, l’IGPN a reçu 5 178 signalements de particuliers et n’a procédé qu’à 32 enquêtes... La Cour des comptes elle-même, dans un rapport de juillet 2010, en arrive à mettre en cause l’impartialité de ces services… sans aucune conséquence pour ces derniers. Un exemple : dans le rapport d’enquête administrative réalisé après le décès de Rémi Fraisse, alors que plusieurs avocats, associations et collectifs de citoyens avaient alerté sur le nombre de plaintes pour violences policières qui étaient déposées, l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale) se permet d’écrire que « avant le décès de Rémi Fraisse, le bilan particulièrement réduit des blessures dans les rangs des manifestants depuis la fin du mois d’août, malgré la violence des confrontations, démontre que les forces de l’ordre (…) ont rempli leur mission avec professionnalisme et retenue ».

L’inspection est en revanche très précise sur le nombre de faits commis à l’encontre des gendarmes : « 11 gendarmes ont déposé plainte pour des violences exercées par des opposants », car, quand il s’agit de gendarmes, la moindre égratignure est comptée. Etre juge et partie, ça facilite toujours les choses.

Quand au Défenseur des droits qui peut effectuer les contrôles externes, il est, nous dit l’ACAT, rarement écouté et ses pouvoirs sont faibles pour ne pas dire nuls.

Par ailleurs, les victimes éprouvent beaucoup de difficultés pour porter plainte, et quand elles y parviennent, quand, par l’accumulation de preuves irrécusables, elles démontrent qu’elles ont raison, les jugements rendus sont d’une remarquable clémence à l’endroit des policiers coupables.

Établi par l’ACAT, un tableau comparatif est très éloquent : d’un coté des condamnations à de la prison avec sursis ou des acquittements à l’encontre de policiers ayant commis des actes entraînant un décès ou des blessures graves, de l’autre des condamnations à de la prison ferme pour des jets de cailloux.

Quelques exemples : Serge Partouche, handicapé autiste, âgé de 48 ans se promène dans son quartier. Suite à l’appel d’une voisine qui le trouvait menaçant, 3 policiers interviennent et le plaquent au sol après que, inapte à comprendre ce qui lui arrivait, il ait tenté de s’opposer à son interpellation. Les policiers, manifestement incapables de faire la différence entre un handicapé et un truand, lui font une clé d’étranglement. Quand, 10 minutes après, le père de Serge intervient, il est trop tard. Les 3 policiers reconnus coupables d’homicide involontaire n’ont été condamnés qu’à 6 mois de prison avec sursis. Autre exemple, Sékou (14 ans). Il perd un œil suite à un tir de flashball, le policier coupable est condamné à 6 mois de prison avec sursis, et, la peine n’étant pas inscrite dans son casier judiciaire, il peut continuer à « exercer ». Le rapport est plein d’exemples similaires.

En conclusion, la lecture de ce long rapport, que nous recommandons à tous, montre le vrai visage de l’Etat : fort et violent avec les faibles, faible et clément avec les forts. Et ce ne sont pas les projets législatifs du gouvernement français d’instaurer un régime d’irresponsabilité pénale pour les policiers qui vont améliorer la donne.

_1.- Le rapport de l’ACAT est consultable gratuitement sur internet (site:https:// www.acatfrance.fr) _2.- Ainsi, le rapport conjoint de l’IGPN et de l’IGGN, suite au décès de Rémi Fraisse, présente des chiffres très largement inférieurs à ceux recensés par l’ACAT.

ET COMME SI CELA N’ETAIT PAS ASSEZ,...

Et, comme si cela ne suffisait pas, fleurissent les sociétés privées de vigiles, qui deviennent des sortes de supplétifs de police au service de qui les paye. L’université de sciences humaines, dite Jean-Jaurès (Toulouse-Le-Mirail) se présente comme une université «  pauvre  » n’ayant pas de moyens pour faire l’indispensable. Tellement, que, bien que dirigée par des « syndicalistes » de « gauche  », elle a été dans la douloureuse obligation d’offrir ses charmes au privé pour assurer sa reconstruction (heureusement, elle a trouvé pour cela un grand «  humaniste », Vinci). Cette université si fauchée n’a pas hésité, une fois de plus, à payer un nombre impressionnant de vigiles afin de mettre à la rue les étudiants qui occupaient fort pacifiquement leurs locaux le 7 avril. C’est bien la peine d’être bourré de sociologues et autres spécialistes des sciences de l’éducation ou de la communication pour ne connaître en pratique que le bâton. Un peu primaire, tout de même, non ?

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