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QUEL SYNDICALISME ?

Publié le 26 juin 2016

Ces derniers temps, dans différents rassemblements, dans nos tables de presse, nous avons eu de nombreuses discussions, tant avec des travailleurs inorganisés qu’avec des adhérents ou militants de syndicats institutionnels sur, justement, le syndicalisme. Voici quelques éléments qui sont ressortis de ces échanges.

Les syndicats sont des groupements de personnes constitués pour la défense de leurs intérêts professionnels communs. Historiquement, les syndicats de salariés défendent deux types de revendications_ : en premier lieu, des revendication ayant trait à l’amélioration des conditions de travail, des rémunérations, des retraites, etc. en bref tout ce qui a trait à la défense des intérêts immédiats des travailleurs_ ; en second lieu, des revendications remettant en cause l’organisation de la société. Puisque les travailleurs n’ont rien à attendre du système économique actuel, car il est basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme, sur la domination d’une classe sociale sur les autres, ils revendiquent la transformation révolutionnaire de ce système qui seule permettra leur réelle émancipation.
On peut donc distinguer les organisations syndicales de salariés en fonction du type de revendications qu’elles choisissent de privilégier. Certaines défendent exclusivement les intérêts immédiats des travailleurs, soit parce qu’elles considèrent que le système économique actuel est le seul et le meilleur possible, soit parce qu’elles estiment que la transformation de ce système n’est pas de leur ressort. Ainsi, les marxistes considèrent que les syndicats doivent limiter leur action à la défense des intérêts immédiats, la transformation de la société étant du ressort des partis politiques. Pour les marxistes en effet, il y a une contradiction entre le fait de revendiquer des améliorations matérielles, ce que l’on peut exprimer par « _vouloir plus_ » et le fait de revendiquer la transformation radicale des bases de la société, ce que l’on peut exprimer par « _vouloir tout_ ». Un simple coup d’œil sur le mouvement syndical européen permet de constater que la quasi-totalité des organisations syndicales de masse, en réalité, limitent leurs revendications à la défense des intérêts immédiats et ont remisé aux oubliettes toute perspective de transformation révolutionnaire de la société.

On peut dire la même chose des syndicats français, bien qu’ils se référent à la Charte d’Amiens (1906), qui affirme_ : « _ le syndicat poursuit simultanément deux objectifs_ : d’une part, la défense des intérêts immédiats des travailleurs et d’autre part prépare leur émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste_ ».
Pour assumer ce choix idéologique et stratégique, les syndicats vont adopter les structures, les formes d’organisation et d’action qui leur semblent les plus efficaces. Or, vouloir améliorer la condition des travailleurs dans l’entreprise sans remettre en cause le pouvoir des patrons et de l’Etat, c’est accepter de s’asseoir à leur table, discuter avec eux, signer des accords, se confronter au droit et accepter de s’y plier. Par souci d’efficacité, ces syndicats vont faire appel à des spécialistes (spécialistes du droit, de l’organisation, de la gestion des conflits, etc.) et embaucher des professionnels. En France tous les syndicats confondus disposent de plusieurs dizaines de milliers de permanents dont 28 000 détachés de la fonction publique. D’autre part, ils vont recruter des militants qu’ils vont former pour représenter le syndicat dans l’entreprise et dans les institutions mises en place par l’Etat pour encadrer les activités syndicales (délégués du personnel, CHSCT, prud’hommes, etc.). Au final, on constate que ces syndicats sont structurés en couches : les sympathisants (travailleurs non syndiqués qui votent pour le syndicat), les adhérents (qui payent une cotisation et achètent ainsi le droit d’être défendus par le syndicat), des militants (souvent défendant les intérêts du syndicat au sein d’une institution représentative du personnel) et enfin des permanents. Et, pour compléter le tableau, dans les entreprises, une forte proportion de travailleurs indifférents.

Cent-dix ans après l’adoption de la Charte d’Amiens, on doit se poser des questions_ ; et d’abord pour quelles raisons les intérêts des différentes couches constituant les syndicats devraient-elles coïncider_ ? Ensuite, on doit s’interroger sur la perception que les travailleurs ont du syndicat. Fort de ses permanents et de ses militants, le syndicat est perçu par les travailleurs comme un bouclier protecteur qui s’interpose entre eux et les patrons, une sorte « _d’entreprise de services_ » chargée de les défendre. Il participe donc au développement d’une mentalité d’assisté_ : « _Je vais voir le syndicat pour qu’il résolve mon problème_ » est une expression courante. En participant aux institutions représentatives du personnel, le syndicat développe chez les travailleurs une image fausse de ces institutions_ ; ils les voient comme des institutions neutres entre eux et les patrons, alors qu’elles ont été créées pour donner au système une apparence de justice et masquer le vol de la plus-value que les patrons font sur le dos des travailleurs. Ainsi, beaucoup pensent par exemple que les prud’hommes protègent les travailleurs alors qu’ils les jugent en appliquant la loi. Également, en se limitant exclusivement à la défense du « _vouloir plus_ », les syndicats ont participé à la promotion d’un consumérisme irréfléchi comme but ultime de la vie. Pour toutes ces raisons, ce type de syndicats est donc un rouage essentiel du capitalisme.

A l’opposé de ce modèle, l’histoire nous montre que des organisations de masse ont existé qui ont réussi à faire vivre ensemble ces deux objectifs_ : défendre les intérêts immédiats des travailleurs et maintenir vivante la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société. Ainsi, créée en 1910, la CNT espagnole est parvenue à regrouper en 1936 deux millions de syndiqués. Elle refusait les permanents (un seul permanent technique en 1936) tout comme elle refusait de siéger dans les instances participatives mises en place par l’Etat. Elle ne s’est jamais non plus considérée comme un partenaire social qui discute avec les patrons dans le but d’obtenir des améliorations pour les travailleurs, son but ultime était la révolution sociale, l’abolition de la société capitaliste et la construction du communisme libertaire. Son modèle organisationnel, ses formes d’action et ses structures étaient cohérentes avec ce but. Tous les syndiqués étaient égaux et chaque syndicat était autonome et la démocratie directe était le mode de gestion du syndicat_ ; le mode d’action exclusif était l’action directe, la CNT luttait avec les travailleurs mais jamais à leur place car elle ne se considérait pas comme une avant-garde.

Pour parvenir au but poursuivi, elle privilégiait l’éducation, car pour les anarchistes, une révolution communiste libertaire n’est concevable que si elle est souhaitée par une majorité. Les cénétistes espagnols réfugiés en France après la victoire de Franco expliquaient leur échec par le fait que la révolution était arrivée trop tôt_ ; ils n’y avait pas assez de militants conscients en 1936, il leur aurait fallu plus de temps (à cette époque l’organisation connaissait un développement rapide). Cette priorité accordée à l’éducation se retrouve partout, par exemple dans les slogans pour la campagne pour les 8 heures_ ; « _8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures pour se cultiver_ » était le mot d’ordre de la CNT. En France, le mot d’ordre de la CGT était « _8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures de loisirs_ ». La différence donne à réfléchir. Les luttes pour la défense des intérêts immédiats des travailleurs étaient considérées comme accessoires, subsidiaires par rapport au but final, un outil au service de l’éducation des travailleurs, permettant de populariser les pratiques d’action directe, de solidarité et d’entraide. Pourtant, les militants de la CNT firent reculer le patronat espagnol dans une multitude de conflits et conquirent énormément d’avantages sociaux. Et ce sont ces mêmes militants conscients qui, en juillet 1936, firent échec au coup d’état militaire de Franco dans plus de la moitié de l’Espagne, résistèrent ensuite pendant trois ans aux forces conjuguées des fascismes, espagnols, allemands , italiens et portugais, et dans l’intervalle de ces trois années, prirent en mains et autogérèrent villes, villages, champs et usines dans une grande partie de l’Espagne. A l’inverse, six millions de syndicalistes allemands qui faisaient confiance aux partis de la classe ouvrière, n’ont opposé presque aucune résistance à la prise de pouvoir des nazis en Allemagne en 1933.

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