LA FICTION AU POUVOIR
Publié le 5 mars 2017
Le spectacle électoral vient-il de commencer sur les chapeaux de roues qu’il éclabousse déjà la classe politique. Les anarchistes le répètent depuis fort longtemps, le pouvoir corrompt. Dans les années 1970, le Canard Enchaîné avait, déjà, réactualisé cet aphorisme au cours de l’affaire Aranda en écrivant que « le Pouvoir est toujours de boue ». Quelques décennies de scandales plus tard, essayons d’aller au delà du simple calembour pour tenter de comprendre les soubassements idéologiques d’un scandale permanent. Qu’est-ce qui fait que tant de boue tienne toujours debout ?
Nous avons bien entendu que si le pouvoir est toujours debout, c’est parce que nous restons à genoux. Mais c’est que l’affaire du travail fictif de Pénélope nous renvoie à autre chose. Ce pouvoir de boue ne serait-il debout que parce que la majorité le considère comme tel ?
En effet, toute institution est imaginaire et, à ce titre, il est logique qu’elle produise un travail fictif. Pour être précis, si nous parlons de travail à son sujet, nous commettons un abus de langage. L’idéologie dominante a clairement récupéré, à son profit, tout le capital symbolique du mot. En effet, une institution ne travaille pas, elle fonctionne … quand fonctionne la croyance à sa fiction. Dans ce schéma, ce sont les croyants qui paient. En effet, l’institution, que ce soit l’Église ou l’État, a introduit l’idée qu’elle effectue une action éminemment utile et nécessaire, comme "travailler" pour que nos âmes aillent au paradis ou pour relancer l’économie ; ce qui par conséquent compterait plus que le travail réel. Comme souvent en matière d’exploitation des hommes, les choses se font petit a petit, mais toujours dans le même sens. Ainsi, au départ, les indemnités parlementaires étaient-elles bien plus modestes car justifiées par l’intention de permettre aux ouvriers d’exercer les fonctions électives.
Aujourd’hui, combien d’ouvriers à l’assemblée ou au sénat ? Concrètement, ces indemnités et leurs attributs successifs sont devenus des sources d’enrichissement pour une caste sociale. Voilà pourquoi le travail des politiciens, si fictif soit-il, paie bien plus que le travail productif des travailleurs, aussi réel soit-il !
Comme par hasard, dans des discours pleins de promesses, il a beaucoup été question de travail, ou plutôt de non-travail, de la part de gens qui font de leur non-travail une source d’enrichissement ; ce qui n’est pas étonnant. A les écouter, il semblerait que le travail tende à disparaître. Certes, les délocalisations dont ils sont directement responsables, d’un côté, et l’augmentation de la productivité à laquelle ils sont totalement étrangers, de l’autre, ont fait œuvre de mutations. Mais, il n’en reste pas moins que des millions de tâches pénibles ont toujours besoin de main-d’œuvre et, dans certains domaines comme celui de la santé ou de l’accompagnement des anciens, ces besoins sont en réelle augmentation. Bien entendu, les personnes employées a ces travaux réels ont été invisibilisées par le pouvoir. Mais ce n’est pas parce que les politiciens nous méprisent que nous n’existons pas.
Alors est réapparue, chez certains des candidats à la roue de la fortune, cette vieille rengaine du revenu universel, couplée a celle du robotisme. Résumons cette pensée si peu complexe qu’elle en paraît, elle aussi, fictive ou, plutôt, science-fictive. Les robots (Et qui les fabriquera ? Et qui les entretiendra ?) travaillerons à notre place et nous recevrons alors un revenu universel.
En fait, ce sera un revenu de survie minable et financé par cette automatisation généralisée. Mais les Pénélopes, et il faut en parler au pluriel car il serait injuste de laisser au singulier celle par qui la toile s’est déchirée, nous disent tout autre chose. Elles disent clairement à tout le monde (et même aux croyants) que, pour le politicien, blablater et tenir salon légitimerait un "travail" ; et, ce travail, certes intangible selon l’expression hardie de l’avocat du couple Féllon, mériterait d’être grassement rétribué. Dans un tel contexte idéologique où ceux qui proposent de mettre un terme à toute perspective d’emploi, pour une grande partie de la population en lui distribuant quelques miettes, sont aussi ceux qui profitent de tels privilèges. En définitive, le concept de revenu universel nous renvoie non pas à l’avenir mais au passé. Un passé qui a transformé, en pierre, la boue du pouvoir. A l’époque, il y avait les aristocrates, les esclaves et la plèbe. Aujourd’hui, il y a les Pénélopes, les robots et … le reste.