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DU CAPITALISME VERT

Publié le 5 mars 2017

En ce début de XXI° siècle, l’Humanité se trouve confrontée à un certain nombre de crises écologiques majeures. Effondrement de la bio-diversité, bouleversements climatiques, empoisonnements des eaux, des sols, de l’atmosphère et des océans par une multitude de produits chimiques (engrais, pesticides, et autres polluants divers, etc.), altération et aliénation des sols, diminution très rapide des espaces sauvages. La liste très longue des catastrophes dont nous sommes menacés ne laisse pas augurer d’un avenir très reluisant pour les générations à venir. Si les problèmes sont multiples, l’origine est connue, c’est toujours la même : la course au profit, la volonté de gagner plus, d’être encore plus riche et plus puissant.

  Une Histoire de profit

Si des entreprises cherchent à vendre de plus en plus de biens et de services en diminuant au maximum leurs coûts de production sans trop se préoccuper des dégâts causés à l’environnement et aux populations, c’est bien par ce qu’elles cherchent à maximiser leurs profits pour la plus grande satisfaction de leurs propriétaires-actionnaires. Si des millions d’esclaves ont, au cours des siècles précédents, été contraints de travailler dans des conditions indignes, par exemple dans des mines ou des plantations, si le travail des enfants était généralisé dans les industries du XIX° siècle et si de jeunes enfants travaillent encore dans les entreprises de certains pays, si des forêts sont systématiquement rasées, si les océans sont littéralement pillés par la pêche industrielle et intensive, si les routes sont envahies de voitures polluantes, si les terres agricoles sont aliénées, c’est bien parce que les entreprises capitalistes veulent toujours faire plus de profits. Si les consommateurs achètent tous ces biens de consommation, c’est bien parce que, à grands renforts de publicité et de propagande, on ne leur laisse pas vraiment le choix, tout en leur faisant croire le contraire, et que l’on a induit chez eux l’envie de consommer et de correspondre à un modèle présenté comme idéal.

Rouler en 4 x 4, habiter en banlieue à des kilomètres de son lieu de travail, faire du shopping dans des centres commerciaux qui se ressemblent tous, tout cela n’est pas inscrit dans les gènes des êtres humains. C’est donc bien la nature même du système économique qui est en cause. Pour les économistes et politiciens s’inspirant des doctrines libérales, nous n’aurions pas d’autre choix que de faire confiance aux lois du marché car leur libre jeu, seul, permettrait la résolution de n’importe quelle crise et toute action allant à l’encontre du « cours naturel » des choses ne pourrait que faire empirer la situation. Ce qui est bon pour l’économie (il faut comprendre par là, bon pour les capitalistes) est, à les entendre, nécessairement bon pour la société, et, partant de là, nécessairement bon pour l’humanité.

Et, si ce qui est bon pour eux est bon pour l’humanité, il est clair qu’ils se considèrent au moins comme les représentants de cette humanité ; voire comme la seule vraie humanité à laquelle serait subordonnée une sous-humanité totalement à leur disposition. D’ailleurs, à les croire, quand il y a un problème, ce serait la faute des pauvres.

  Les pauvres, fautifs désignés

C’est ainsi que, au XIX° siècle, Malthus était persuadé que la population augmentait plus vite que les ressources et il voulait, par conséquent, supprimer, purement et simplement, les secours aux pauvres qui étaient « coupables » de faire trop d’enfants. En 1975, Crispen Tickell, chef de cabinet du président de la Commission européenne, étudiant les changements climatiques, affirmait que les gouvernements risquaient « d’endommager les délicats mécanismes de l’atmosphère » en répondant aux demandes exorbitantes « des affamés, des pauvres et des chômeurs ». C’est vrai que les ambitions des possédants sont toujours "raisonnables" ; la preuve se trouve dans la situation dans laquelle ils nous ont poussés. N’empêche que c’est cet aveuglement fanatique dans les supposées capacités auto-régulatrices du marché qui amène les dirigeants politiques à nier des évidences.

  Des questions

Mais le cynisme dont ils font preuve est-il vraiment dû à leur conviction que le marché peut tout résoudre, tous les problèmes autres que ceux liés à leurs ambitions ? Un exemple très significatif est celui de l’amiante. Ce dernier est utilisé dans l’industrie depuis très longtemps. Sa dangerosité est connue de tous depuis la fin du XIX° siècle (en France, dès le début des années 1900, un médecin avait signalé que les ouvrières d’un atelier tissant des tabliers de soudeurs en amiante mouraient en grand nombre pour cause ... d’amiante). Malgré sa dangerosité avérée, il ne sera interdit, en France, qu’en 1997. Dans le monde, de nombreux pays continuent de l’utiliser (en 2011, la production mondiale d’amiante s’est élevée à plus de deux millions de tonnes).

En France, ce "laxisme" aura, au total, coûté la vie à plusieurs millions de personnes. Nous laissons au lecteur le soin d’apprécier ce que cela peut représenter au niveau mondial. Pourquoi avoir attendu presque un siècle alors que l’on savait, que les dirigeants, les politiques et les industriels savaient à quoi s’en tenir ? La raison est exclusivement « économique » car l’amiante est un minéral isolant très bon marché et tant qu’il n’y a pas eu, de disponible sur le marché, un matériau avec des qualités et un prix de revient équivalents, l’amiante n’a pas été interdit pour ne pas pénaliser les industries capitalistes malgré les risques pour la santé.

Donc, le crime de masse lié à l’amiante s’est poursuivi en toute connaissance de cause. Ce n’est pas seulement pour satisfaire les demandes des populations scandalisées que la mesure d’interdiction totale de l’amiante a été prise et qu’elle a reçu l’approbation des industriels. C’est parce que cela a permis de faire croire que l’industrie capitaliste pouvait se soucier de la santé des travailleurs (une espèce d’opération "mani pulite") et, surtout, parce qu’elle a permis le développement du secteur industriel très profitable du désamiantage ! En d’autres termes, les capitalistes ont compris tout le parti qu’ils pouvaient tirer du problème : Recycler, reconstruire, défaire puis refaire … et tout ça, bien sûr, à nos dépens.

Autre exemple : Dans les années 1980, la communauté scientifique a découvert que les gaz CFC, utilisés dans les systèmes de réfrigération, étaient à l’origine d’un gigantesque trou dans la couche d’ozone. Suite à quoi, les gouvernements ont pris des mesures pour restreindre l’usage des gaz en question et les industriels ont mis sur le marché des produits adéquats pour les remplacer. Ces produits existaient déjà et leur coût de production était équivalent à celui des CFC. Le remplacement a donc pu s’opérer sans trop de problèmes puisque la logique de profit a pu continuer sans entrave.

  Plutôt un capitalisme vers …

Depuis quelques temps déjà, de nombreux scientifiques multiplient les publications et les alertes pour dénoncer les dangers liés à l’utilisation, à grande échelle, de nombreux produits industriels. Il en est ainsi, par exemple, des insecticides néonicotinoïdes qui détruisent les populations d’insectes pollinisateurs (dont les abeilles), de tous les perturbateurs endocriniens, des herbicides, et en particulier de ceux à base de glyphosate utilisés en particulier dans les cultures OGM, etc. Malgré les preuves qui s’accumulent, malgré les menaces qu’ils font peser sur la santé des populations, la production et l’utilisation de tous ces produits restent légales. Comme pour l’amiante auparavant, ils sont produits par de grands groupes industriels et ils génèrent énormément de chiffre d’affaire et de profits.

En revanche, ces financiers n’hésitent pas à dépenser des fortunes pour entretenir la confusion afin de pouvoir continuer à vendre leurs poisons. Parce que une part de plus en plus importante des populations, à juste titre inquiète par la dégradation de son cadre de vie et des retombées avérées sur la santé, manifeste son anxiété, le système a imaginé une solution permettant sa perpétuation : un capitalisme vert, une économie durable, équitable, respectueuse de la nature et des êtres humains. Tout cela, bien évidemment, s’est accompagné d’une saturation de l’espace public au moyen d’une propagande aux couleurs de la chlorophylle (Les cabinets de relations publiques et de communication sont là pour ça). Le système capitaliste prétend maintenant pouvoir se "moraliser" en se rénovant et en conciliant, bien sûr, ce qui constitue sa raison d’être, c’est-à-dire en conciliant l’exploitation de l’homme par l’homme avec les impératifs de l’écologie.

A croire les tenants du capitalisme, ce système qui au cours des siècles n’a pas hésité à exterminer des populations entières, à en réduire d’autres en esclavage, à transformer en désert des millions d’hectares de forêts ou de terres, à vider les mers et les océans de leur faune, à réduire la bio-diversité dans des proportions effroyables, deviendrait maintenant de façon miraculeuse un système vertueux, respectueux des équilibres écologiques et de la santé des populations. Les mêmes capitalistes qui aujourd’hui empoisonnent l’atmosphère et sont responsables de la mort prématurée de nombreuses personnes, celles qui aujourd’hui encore dépensent des fortunes – en lobbying - pour pouvoir continuer à vendre leurs produits toxiques en achetant généreusement le silence des politiciens (et pour cause), celles qui violent les lois et les règlements qui leur font obstacle, celles qui font preuve d’une imagination débordante pour payer moins d’impôts (paradis fiscaux, fraudes fiscales) seraient, tout d’un coup, devenus de gentils écologistes et de vertueux citoyens.

  … vers toujours plus de profit !

Si le moteur unique du capitalisme semble être l’appât du gain, n’oublions pas que derrière cela se cache une volonté conservatrice dont la logique intrinsèque est de toujours protéger, renforcer et augmenter les privilèges des détenteurs de fortunes, de capitaux et de patrimoines toujours plus colossaux. Le résultat recherché ne pourra être obtenu que par la mise en place d’un système total, de contrôle, de surveillance généralisée et de répression, qui n’aura rien à envier à ceux des pires régimes totalitaires des siècles passés. La perte de toute liberté, tel est, donc, le prix que nous aurions à payer. La « révolution écologique » aura donc, surtout, permis la création de nouveaux marchés (bio, équitables, durables) destinés, avant tout, à calmer les angoisses existentielles et à satisfaire les besoins d’empathie des consommateurs. Elle n’a en rien permis, ne serait-ce qu’un tant soit peu, de ralentir la dégradation des équilibres écologiques de la planète. Et, comme les capitalistes ne consentiront jamais à remettre en question le système dont ils se nourrissent, malgré le désastre à venir, ils ont décrété une autre solution : la nature et les sociétés humaines devront s’adapter !

  … vers toujours plus de chaos !

Dans les années 1970, des scientifiques ont commencé à évoquer la possibilité de modifications du climat dûes aux activités humaines capitalistes. Et, quarante ans plus tard, le réchauffement climatique global est devenu une évidence. Constatons que, dans ce domaine également rien ou presque n’a été entrepris pour stopper le processus. La réduction massive des émissions de gaz à effet de serre implique de changer l’organisation économique – soit de remettre en cause le bien-fondé du capitalisme - qui s’est bâtie sur les énergies fossiles. Cela aurait comme conséquence de remettre en question la toute puissance des multinationales de l’automobile, de la pétrochimie etc. N’oublions pas que pour un capitaliste, tout ce qui peut être exploité doit être exploité jusqu’au dernier centime ! Tel est son credo. Les sociétés humaines sont donc sommées de s’adapter aux énormes bouleversements prévisibles.
Loin d’effrayer les maîtres du monde (du moins ainsi se considèrent-ils), il semble plutôt que toutes ces prévisions les consolident dans leurs ambitions car ce sont des opportunités de profit formidables qui se profilent à l’horizon. En perspective, ce sont de gigantesques travaux de génie civil pour "protéger" les populations contre la montée des mers, la construction de villes nouvelles pour héberger les populations désormais obligées de fuir des territoires devenus invivables, l’exploitation des ressources minières fossiles des territoires actuellement sous les glaces, l’ouverture de nouvelles voies maritimes qui réduiront encore un peu plus les coûts liés au transport, etc.

Comme toujours, le capitalisme va faire preuve de résilience et il usera de sa capacité à tirer profit du chaos que lui-même engendre. Par ailleurs, les projets délirants des transhumanistes consistant à vouloir modifier les êtres humains (au moins les plus riches), pour les adapter à ce nouvel environnement fortement dégradé, prennent ici tout leur sens …. Qu’importe donc aux capitalistes la destruction des milieux naturels et sauvages, la souffrance des populations confrontées aux catastrophes (ouragans, sécheresses, épidémies ...), tant que le système capitaliste, lui, peut continuer de nourrir les ambitions des nantis, et c’est là son unique objectif.

La conclusion à tirer de tout ceci est simple. La solution ne viendra pas « d’en haut », elle ne passera ni par la bonne volonté des capitalistes, ni par une intervention divine, ni par les urnes. Si nous voulons changer nos vies, préparer un avenir émancipateur et sain à nos enfants, il n’y a que nous pour le faire. Mais cela ne se fera que par l’action collective bien comprise.

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