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La foi électorale :

Publié le 28 avril 2017

Bien souvent, il est accordé à la démocratie un fondement rationnel. Or, tout bien considéré, n’y a-t-il pas dans le fait même de la représentation démocratique un arrière fond religieux ?

Le "tribun du peuple", notamment, est censé incarner les espérances populaires. Il serait un véritable héros des temps modernes dont on attend de lui qu’il réalise des prouesses, des miracles. Il est le porteur de tous les espoirs et il serait à même, et à lui seul, de réaliser le grand chambardement tant attendu ; mais attention ! en respectant le cadre légal (un bien difficile challenge). La démocratie représentative a habitué le citoyen à toujours "déléguer", à ne jamais affronter directement les problèmes qu’il rencontre, à toujours passer par un médiateur. L’« ELU » qui, dès lors, se trouve paré de pouvoirs et de vertus sortant de l’ordinaire, tant et tant, que nous pourrions nous demander s’il n’aurait pas un coté éminemment christique ; celui du nouveau messie.

Comment cette croyance en un possible changement par les urnes se maintient-elle, malgré la longue succession d’échecs de tous les projets réformistes ? Les expériences amères des lendemains qui déchantent ont beau se répéter à travers l’histoire et sous toutes les latitudes, le mirage d’une refonte de la société par le biais des élections continue, encore et toujours, à susciter l’enthousiasme d’une partie encore trop importante de la population ; heureusement, des personnes de plus en plus nombreuses refusent d’adhérer à cette croyance et se tiennent maintenant loin des urnes.

Croire que le système peut être transformé radicalement par le simple jeu des élections, c’est croire que ce système fondamentalement injuste, inégalitaire et violent, basé sur la domination sans partage d’une classe de richissimes capitalistes qui exploitent et volent la grande majorité des populations, mettrait de sa propre initiative à la disposition des classes exploitées un moyen pour le renverser.
Comment imaginer un seul instant qu’un système aussi tyrannique que le capitalisme pourrait organiser son propre suicide ? Comment continuer à croire que l’on pourrait tout changer sans rien changer ? Comment l’absurdité d’une telle proposition n’apparaît-elle pas dans toute son évidence ? Comment interpréter la longévité de cette croyance irrationnelle ?

C’est, sans aucun doute, parce que, justement, les dévôts du réformisme sont prisonniers d’une croyance, qu’il leur est toujours extrêmement difficile de se libérer et de s’affranchir d’une illusion en exerçant une raison critique qui semble leur faire défaut. Se défaire de cette illusion est d’autant plus difficile que le système de la démocratie représentative entretient, et à grand frais, cette conviction qui laisse croire au citoyen qu’il est réellement actif et qu’il capable d’influer sur les destinées de la société dont il est membre. A chaque élection, c’est une énorme machine de propagande qui se met en place. Elle occupe tout l’espace médiatique et les résultats même de la consultation électorale font l’objet d’une dramatisation qui vise à ne laisser personne indifférent. Tous les moyens sont utilisés pour passionner et aveugler les citoyens en entretenant le suspense jusqu’au dénouement.
Comme lors des jeux du cirque dans la Rome antique, la plèbe est invitée à statuer sur le sort des candidats « combattant », à décider de la vie ou de la mort politique des gladiateurs électoraux : le bon peuple, rendu particulièrement crédule, doit au sortir du spectacle être persuadé qu’il détient et qu’il a, réellement, exercé un pouvoir décisif.

Les candidats sont bien sûr tenus de contribuer autant que possible à faire vivre la flamme de la foi électorale et ils le font en endossant des "habits de lumière". A la suite d’un rituel quasi-magique, les voici redevenus d’une innocente virginité. Pour calmer le mécontentement et la colère populaires, pour faire oublier les difficultés de la vie quotidienne, pour faire croire en des lendemains qui chantent, il faut absolument du nouveau. Qu’à cela ne tienne, et à l’encontre de toute rationalité, les candidats n’hésitent pas à se présenter comme des femmes ou des hommes absolument nouveaux.

La grande messe électorale a besoin d’illusionnistes, de prestidigitateurs capables de faire disparaître la réalité et de faire rêver, le temps d’une campagne. Le tour de passe-passe favori de tous les candidats consiste à faire oublier aux électeurs leur propre passé (même très récent). Pour la plupart, ils ont déjà été hommes ou femmes de pouvoir, ministres, sénateurs, députés ou grands cadres de banque ; tous ont à cœur de décrier le "système" dont ils ont pourtant si longtemps bénéficié et dont ils comptent bien continuer à profiter. Les voilà, tous, soudainement touchés par la grâce, pleins "d’idées" magnifiques pour améliorer notre sort. Que n’ont-ils mis en œuvre toutes ces mesures alors qu’ils en avaient la possibilité. Les voilà, tous, qui se proclament en rupture avec un système qui les a grassement nourris et qui continuera de les nourrir ; pas de spectacle d’illusions sans illusionnistes, pas de religion sans prêtres ou prophètes.

Dans ce concours à la "nouveauté", cette année, la palme de l’audace, le pompon de l’effronterie, est, sans conteste aucun, revenu au tribun du peuple Janus Lucius Melenchonus qui, lui, carrément prétend à l’insoumission. Trente années au parti socialiste, ministre, sénateur pendant dix ans, et présentement député européen, c’est sans aucun doute possible la trajectoire-type d’un insoumis. Qu’on se le dise ! Comme toutes les religions, l’électoralisme repose sur des croyances et des manipulations de l’Histoire et de la réalité présente. Le simple bon sens, la réflexion rationnelle et l’esprit critique permettent de mettre en évidence son caractère mensonger et fallacieux. De la même manière que, en ce début de vingt et unième siècle, nous constatons un retour de l’intégrisme religieux, nous nous apercevons aussi de la permanence de croyances tout aussi religieuses et nous voyons bien que la foi dans les urnes (savamment entretenue par la propagande d’État) semble encore avoir, au moins, quelques beaux jours devant elle.

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