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Morale d’une crise endémique

Publié le 25 mars 2018

Si le capitalisme est tant glorifié par le discours dominant, c’est parce qu’il serait, selon les bourgeois, ce qui se serait fait de mieux jusqu’à présent. Certes, depuis plusieurs décennies, une croissance est au rendez-vous. C’est celle des inégalités sociales qui augmentent dans un monde livré à la cupidité des élites. Notre pouvoir d’achat baisse, nos impôts grimpent et les États endettés se sont mis à la merci des agences de notation qui disposent d’un véritable pouvoir de vie et de mort sur eux, sans que cela ne nous soit profitable en quoi que ce soit. Malgré la crise des années 2007-2008, la finance a continué de grossir et de prospérer en distribuant des bonus et des gratifications toujours plus obscènes à ceux qui la servent. Alors qu’ils en avaient l’occasion, les États ont fait en sorte de ne rien changer et ont tenté de nous vendre des chimères ; promesses de régulation-moralisation… promesses creuses et mensongères. C’est en faisant l’éloge de leur morale que les dirigeants ont fait passer cette pilule amère.

Lors de cette crise, les dirigeants politiques de tous les pays capitalistes avaient fait mine de s’élever contre les excès du capitalisme, se joignant, à demie voix, à ceux qui réclamaient le scalp des banquiers et, ce, afin d’apaiser la colère des populations. Ce krach a, d’ailleurs, plongé le monde dans un marasme tel que nous sommes, encore maintenant, en train d’en subir les conséquences. Pourtant, les tenants du néo-libéralisme qui, jusqu’alors, prônaient le retrait de l’État ont, unanimement, imploré ce dernier de sauver la finance et l’économie en déroute. Une fois l’orage passé, ils ont abandonné cette position en faisant le chemin inverse, sans peur des contradictions. Hier, il était vulgaire de critiquer la dérégulation, laquelle s’est imposée depuis plusieurs décennies sous le vocable de « mondialisation ». Aujourd’hui, il serait, à les entendre, indécent de douter que ceux qui en étaient les auteurs ont su remettre en ordre le chaos qu’ils ont créé. Cela signifie qu’ils feignent de ne pas comprendre quelles sont les causes réelles de cette crise historique.

Après la II° guerre mondiale, la menace d’un affrontement entre l’est et l’ouest occupait les esprits et le rapport de forces semblait favorable à la classe ouvrière. Cela imposait aux accapareurs de composer avec l’ambiance générale afin d’avoir le temps de porter un coup d’arrêt au développement des idées socialistes. A cette fin, ils acceptèrent de limiter leurs appétits de profit et ils acceptèrent de financer le développement d’un volet social (sécurité sociale, etc). Le système bancaire et le crédit étaient, alors, au service des politiques économiques et sociales des États. Cette situation paradoxale fut d’une durée suffisamment longue pour qu’elle put apparaître comme définitive. D’autant plus que la reconstruction d’après-guerre contribuait à faciliter les choses et à brouiller les cartes. La collusion entre État et capital fut telle que ce dernier fut amené à ne plus fixer à l’économie des finalités et des limites. Cela se traduit, dans les faits, par une volonté de laisser la finance redevenir le maître de l’économie. Celle-ci n’étant plus bridée, elle n’est plus, à l’évidence, l’instrument d’une logique de renforcement de l’État (qui se recentre d’autant plus dans ses fonctions coercitives – et pour cause), et surtout elle cesse de devoir se justifier d’une quelconque utilité. L’économie, alors subordonnée à la seule idée de profit, ne fonctionne plus qu’en se conformant à l’idéologie marchande. Si les États ont été sommés de mettre leurs moyens au service de la libéralisation des échanges, il faut clairement reconnaître qu’ils ne se sont pas trop faits priés pour le faire.

A l’origine, il s’agissait de mettre en application la théorie libérale d’Adam Smith. Prenons un exemple succin pour en illustrer l’esprit et la morale : « Ce n’est pas de la bienveillance du boulanger que nous attendons notre pain, mais bien du soin qu’il apporte à ses intérêts. Nous ne nous adressons pas à son humanité, mais à son égoïsme ». Ce sophisme suppose que l’économie trouve en elle-même sa justification morale. En bref, la moralité collective naîtrait de l’immoralité individuelle. Cela justifierait que les marchés n’aient d’autre règle à respecter que la leur – l’appât du gain – rendant ainsi inutile le fait d’être gouvernés et contrôlés. La réalité a démenti le postulat du marché vertueux dont la main invisible réglerait tout. Ce ne sont pas quelques faillites (rançon du système) et des condamnations sacrifiant quelques individus avides et cupides qui peuvent effacer le réel. Celui-ci ayant mis en défaut les émules d’Adam Smith, ces derniers ont tenté, par ce biais, de faire passer les marchés pour les victimes de quelques banquiers et traders indélicats afin d’entretenir le mythe de l’infaillible marché. Même ses partisans les plus farouches auraient dû avouer que le marché livré à lui même a produit le contraire de ce qu’ils proclamaient et qu’il n’est en rien vertueux. En définitive, le dogme de l’infaillibilité du marché a servi à mettre en place des mécanismes structurels et permanents qui contredisent toutes les promesses sur lesquelles il repose.

Une récupération de ce pouvoir par les États n’y changerait absolument rien car ce serait leur transmettre le mandat pour poursuivre dans la même voie, car ils ne sont que des instruments au service du capitalisme.

Depuis lors, c’est une véritable industrie financière qui s’est installée au pouvoir ; les États se réduisant sciemment au rôle complice d’exécutants. S’ils n’interviennent pas, c’est parce que l’interventionnisme a perdu toute légitimité et c’est, principalement, sur les marchés que tous les projets économiques doivent se financer. Comme tout investissement repose sur une contrepartie, c’est sur la spéculation et les critères propres à la finance – telle la rentabilité – que reposent les choix. Ce sont, donc, les intérêts du marché qui prévalent ; et c’est lui seul qui décide de ses intérêts et des moyens nécessaires à leur satisfaction, avec la complicité des États.

Comme le voulait la doxa libérale, les États laissent les marchés gouverner à leur place. Pour ce faire, toute l’invraisemblable machinerie de la mondialisation économique et financière libère les forces scélérates qui sont d’autant moins contrôlées qu’elles en font l’inavouable prospérité. Le système financier mondial auquel les États ont délégué leur pouvoir de régulation a inventé un « nouveau » concept de gouvernement à l’échelle planétaire : l’anomie. L’anomie est, à la fois, matrice et motrice d’une dynamique de destruction et elle est devenue la condition essentielle de son propre développement.

L’anomie ; cela ne vous rappelle-t-il rien ? En effet, il est souvent parlé de l’anarchisme (on utilise plus souvent le terme anarchie) comme d’un courant dangereux pour la société car laissant libre cours au instincts les plus bas ; un enfer où les prédateurs s’attaqueraient impunément aux honnêtes gens. Cette caricature doit être démentie. C’est l’anarchisme qui, à tort, est accusé de cette anomie qui est l’apanage « exclusif » du capitalisme dans sa plus pure expression. En revanche, l’anarchisme (dans lequel s’inscrit l’anarchosyndicalisme) plébiscite la liberté totale de l’individu et revendique sa participation directe aux prises de décision qui impactent sur son existence et son bien-être ; c’est un de ses fondements. L’anarchisme est la plus haute expression de l’ordre. Si l’individu est libre, la propriété privée est abolie et l’administration des choses et des biens y est strictement encadrée par la collectivité concernée, au profit de tous. Les rapports politico-sociaux sont basés sur la solidarité et l’entraide, sans idée de profit ou de marché, sans qu’ils soient brouillés par des mythes salvateurs et transcendants. L’universalité des besoins y est reconnue et leur satisfaction est la priorité. Il n’y a que dans ces conditions que l’individu pourra s’émanciper et échapper aux comportements névrotiques – qui se retrouvent d’abord dans les sphères du pouvoir – qui se consolident dans un cercle vicieux.

Depuis qu’il existe, le capitalisme a largement démontré son pouvoir de nuisance, mais cela n’a jamais suffi pour qu’il s’effondre. Seules des forces sociales révolutionnaires sont à même de proposer une véritable « alternative » au capitalisme. Sans ça, les crises succéderont aux crises ; et, la prochaine est déjà annoncée comme plus terrible que la précédente.

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