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ALGÉRIE : 2001 -201 9

Publié le 9 octobre 2019

Depuis le 22 février 2019, Alger, comme des dizaines d’autres villes du pays, vit au rythme d’une contestation dont le point d’orgue sont les manifestations massives chaque vendredi. Ce mouvement d’une ampleur inédite frappe par ses aspects massifs, bons-enfants et moqueurs, mais surtout par son auto-organisation.

  Sommaire  

  Qualitativement.

• Le mouvement de 2001 a des revendications sociales, culturelles, identitaires et aussi l’établissement d’un état de droit. Il est issu de la désignation de délégués parles villages et en reflète la composition sociologique. À ce titre les femmes en sont presque totalement absentes. Les présidences du mouvement - tournantes et révocables - dûment mandatées, sont exclusivement masculines.

• Celui de 2019 a d’emblée des revendications exclusivement politiques : elles évoluent et se radicalisent au fil des semaines en termes politiques, de l’arrêt du 5emandat de Bouteflika, à un « dégagisme » de tous les représentants du pouvoir d’État, jusqu’à la suppression du système lui-même. Il n’y a aucun délégué. Aucune représentation. Les discussions se nourrissent de semaine en semaine, sur les marches des théâtres, dans les jardins publics, dans des appartements devenus les lieux de « think thank ». Cette absence est sans doute une force (les délégués des’arouchs avaient fini par être compromis), elle peut aussi à moyen terme être un frein aux décisions.

Les femmes sont très présentes dans la rue et dans les espaces de discussion. Les féministes forment parfois des « carrés » (Alger, Oran) et poussent les revendications pour un code civil égalitaire (abrogation du code de la famille).La différence est enfin, évidemment, le niveau de violence entre les deux époques sans doute dû à l’importance des marcheurs ( jusqu’à 25 millions de marcheurs dans toute l’Algérie ! )...

Comme on le voit ces insurrections ont de quoi nourrir notre réflexion et notre solidarité, car elles sont indiscutablement porteuses d’une dimension libertaire.Pour autant on ne peut pas dire — pour l’instant — que le Hirak du 22 février soit révolutionnaire. Il est inter-classiste — c’est pourquoi j’utilise le mot de « populaire » —, et démocratique, en ce qu’il définit l’exigence d’un mode de gestion « juste »de la société capitaliste. Dehors les mafieux et les gangs (au sens strict du terme)qui ont fait main basse sur la société, fait un hold-up sur l’indépendance, et dérobé des centaines de milliards de dollars qu’ils ont mis dans les banques étrangère(d’ailleurs on ferait bien de veiller, ici, à faire rendre gorge aux receleurs, banquiers et autres, qui planquent l’argent volé). La population demande un véritable service de l’éducation, de la santé (avec des hôpitaux qui ne soient pas des mouroirs), de la propreté des villes (non plus des dépotoirs), de l’entretien du bâti (des maisons s’écroulent sur les gens, la Casbah tombe en ruine), la restitution des espaces volés(les plages du Club des Pins), la liberté associative, une « juste répartition des richesses », des lois égalitaires, l’arrêt de la corruption ... et de véritables « dirigeants ». L’armée est même appelée en appui, pour autant qu’on lui demande ensuite de rentrer dans les casernes. C’est pourquoi, tout en valorisant la grande qualité de ces mouvements, qui changeront durablement les mentalités pour l’avenir (ne serait-ce que la dignité retrouvée, la fierté d’être Algérien, le regard changé sur la jeunesse et les femmes, la réconciliation avec son histoire) je ne parle pas de mouvement révolutionnaire. Car ce n’est pas un mouvement anti-capitaliste. Il porte en germe d’autres conflits.

Les couches moyennes émergentes, les cadres formés, frustrés d’être exclus des centres de décisions — actuellement voués à l’incompétence — en descendant dans la rue à côté des prolétaires et de la jeunesse exclue, ne demandent pas forcement la même chose qu’eux et ne donnent pas aux mots de liberté et de justice le même contenu. Ils demandent — implicitement pour eux — l’accession au pouvoir par le jeu d’élections classiques non truquées. La Constituante demandée ouvrira le champ à des élections présidentielles classiques. Ce sera une révolution bourgeoise. La glorification de certains capitaines d’industrie « honnêtes » est à cet égard significative.

Dans une société économiquement fragilisée, sur laquelle le FMI pose son regard prédateur, lorsque des efforts seront demandés aux travailleurs et aux classes populaires, dans une vision capitaliste et marchande classique, avec la complicité objective des démocrates de gauche (« il faut savoir attendre », « il ne faut pas désespérer Billancourt ») on verra comment le passage de témoin entre la revendication démocratique et la revendication de classe se fera et si l’ardent esprit libertaire du Hirak aura marqué les esprits.

Georges Riviére,

Alger, le 8 mai 2019.

Télécharger la brochure : CNT-AIT_BROCHURE_ALGERIE

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