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L’étrange aveuglement de la République, sur les sévices soufferts par ses enfants.

Publié le 27 avril

"Après deux ans et demi de travaux, la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église1 a remis son rapport, le 5 octobre 2021, à Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, et à Sœur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France."

Le 5 octobre 2021, soit il y a plus de quatre ans. La CIASE y concluait à un nombre de victimes d’abus sexuels d’environ 330 000 personnes depuis 1950, et à un risque systémique, notamment dans l’enseignement catholique [1] (pour environ un quart des victimes ? [2]). Le Béarn, géographiquement, fait partie des zones à forte tradition catholique qui pouvaient légitimement poser souci. Aussi, au-delà du cas du citoyen-ministre F. Bayrou qui ment effrontément en plein Assemblée Nationale, qui bégaye des circonlocutions oiseuses autour d’un drame touchant des enfants, il faut s’interroger sur cette étrange faillite de l’État qui n’a que la Sécurité à la bouche, mais qui se garde bien de mettre en sûreté [3] pendant quatre ans des personnes exposées à un "risque systémique" [4], comme le rappelle la recommandation n°24 de la CIASE :

Recommandation n° 24 : Reconnaître la responsabilité systémique de l’Église. À ce titre, examiner les facteurs qui ont contribué à sa défaillance institutionnelle. Reconnaître que le rôle social et spirituel de l’Église fait peser sur elle une responsabilité particulière au sein de la société dont elle est partie prenante.

Rappelons quelques points :

Article L111-1 du Code de l’Éducation :

"Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le service public de l’éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité. Par son organisation et ses méthodes, comme par la formation des maîtres qui y enseignent, il favorise la coopération entre les élèves.
Dans l’exercice de leurs fonctions, les personnels mettent en œuvre ces valeurs."

Article L111-2 du Code de l’Éducation :

"L’État garantit le respect de la personnalité de l’enfant et de l’action éducative des familles."

Il y a visiblement faillite : l’État de droit n’est pas assuré, de manière assourdissante, par l’État-même. À tout le moins, il faut interroger cette étrange pusillanimité de la République qui ferme les yeux sur un système de maltraitance caractérisée. Que se passe-t-il ?

Un premier élément de réponse serait politique et idéologique : dans le cadre d’un cohabitation "sereine" et d’une laïcité "molle", la République ferme les yeux sur les pratiques éducatives destructrices de l’Enseignement Catholique, qui tire finalement profit et confort de la Loi de 1905, avec un pré carré protégé de tout regard inquisiteur, surtout depuis que l’échec de la Loi Savary de 1984 a refroidi les velléités militantes d’une arrière-garde affublée du terme "laïcarde" et trop vite mise au rancart.

Un deuxième élément serait sociologique et anthropologique : nombre des cadres de cette "République" sont issus de cet enseignement catholique et sont enclins à fermer les yeux sur des pratiques qu’ils ont eux-mêmes subies (ou non), mais qui font partie d’une initiation malsaine à l’âge adulte. Ceci entrerait dans le cadre d’une reproduction sociale.

Un troisième élément serait lié à la nature même de l’État qui est empreinte d’irrationalité et de sacralité. En effet, pour que l’État "vive" et garde une continuité, comme un être vivant, il a besoin de la fiction d’organes qui lui donnent vie, par exemple la démocratie représentative qui lui donne une voix actuelle, la Police un œil et un bras, la "Justice" un jugement etc. Un autre organe serait celui qui lui donne naissance, à savoir l’acte constitutif, qui lui donne sa loi fondamentale (en 1958 pour la France). Mais, pour que cette loi fondamentale soit pérenne, il faudrait logiquement que chaque génération de citoyens valide cette loi émise par la génération précédente. Au lieu de cela, la Constitution, l’ossature de L’État, est là une fois pour toute, comme les lois une fois votées. On peut dire que la notion de loi en elle-même est imposée à la population comme un élément sacré, transcendant le temps et les générations, de manière totalement irrationnelle. Si vous êtes nés plus tard, tant pis pour vous !

Cela nous rappelle le débat jamais proposé sur le Contrat social, virtuellement contracté par tous et jamais débattu par aucun.

Enfin, il faut encore pousser l’analyse un peu plus loin : cette transcendance ne vient pas de rien. L’État a au début été une théocratie, avec un roi-prêtre, thaumaturge, mais qui a fini par couper, au propre et au figuré, ce lien. Cependant, l’obéissance à cet État a gardé cet aspect du culte du sacré qu’est le nationalisme et la Raison d’État. C’est pourquoi j’affirme que l’État moderne est l’hypostase laïque du pouvoir divin à son origine. L’essence de l’État est en partie religieuse, et ses servants, mêmes laïques, ressentent une étrange proximité avec les servants religieux de l’Église catholique. Entre étatistes irrationalistes, on se comprend.

Voici, avec un peu de recul et en délaissant le pantin pantelant Bayrou et son culte du très détesté Henri IV, ce qu’on peut peut-être avancer pour donner des pistes à l’étrange aveuglement de la République sur les sévices soufferts par ses enfants. Heureusement que les victimes se rebiffent et prennent la parole :

"Le père m’a entraîné vers sa tente, qu’il a fermée, il m’a serré contre lui, il sentait le cigare froid (il fumait des cigarillos), je détestais cette odeur, je tentais de me dégager, mais il a serré encore plus fort et il a commencé à m’embrasser sur la bouche en y mettant la langue, il me dégoûtait. Il continuait à me caresser, j’étais complètement tétanisé. (…) Je ne connaissais rien de tout cela et ce soir-là, il m’a appris des mots et des actes que je ne connaissais pas de la sexualité ! Fellation, masturbation, etc. Je suis retourné dans ma tente pour me coucher en me disant que cela était peut-être normal, il était le père ***, il avait autorité, il fallait le respecter, il était prêtre. Je ne savais plus que penser, surtout que mes parents le considéraient tellement."

Témoignage 08 : les mots et leur définition
"De victimes à témoins"
Témoignages rassemblés par la CIASE, page 26

Lisez ces témoignagesI [5] : ils sont bouleversants, tragiques, révoltants, édifiants et souvent admirables d’humanité et de dignité.