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L’école du contrôle

Publié le 29 octobre

Ils sont surveillants, assistants d’éducation, CPE contractuels. Dans l’ombre des classes, ils sont en première ligne, garants de la discipline, des absences, des retards, de la sécurité. Pourtant, ils ne sont ni reconnus, ni protégés. L’État, tout en exigeant d’eux un engagement sans faille, les condamne à la précarité et à la docilité. Derrière le vernis de la mission éducative, se cache une réalité brutale : celle d’une main d’œuvre corvéable, bon marché, jetable. Ce texte est un cri. Un refus. Celui de voir l’école devenir un espace de gestion, d’obsession sécuritaire et de précarisation des métiers de l’encadrement. Car l’encadrement scolaire n’est pas un outil de domination, mais devrait être un levier d’émancipation. À condition, enfin, de s’en donner les moyens.

Cet encadrement invisible, mais essentiel fait tenir debout une institution à bout de souffle. Sur l’épaule des AED et des CPE reposent la mission supposément éducative de l’État. En réalité, ils sont les petites mains d’une machine disciplinaire et coercitive, bras armé du système scolaire qui sert à soumettre, trier et surveiller.
Et quand ils tentent de résister, en se syndiquant, en dénonçant, en démissionnant, l’institution les rappelle à l’ordre. Car l’école républicaine n’a rien d’un sanctuaire neutre : elle est le laboratoire quotidien de l’autorité, de la hiérarchie, et de la docilité imposée. Il est temps d’arracher le masque de l’idéologie républicaine pour révéler la nature profondément autoritaire de l’Éducation Nationale. Il est temps de crier que nous ne voulons plus servir.

Le meurtre d’une assistante d’éducation dans un collège de Nogent en Haute-Marne, mortellement poignardée par un élève de 14 ans lors d’un contrôle de sacs à l’entrée de l’établissement, est un drame. Cette tragédie ne doit pas être instrumentalisée pour renforcer encore la logique sécuritaire et autoritaire dans l’école. Le meurtre de cette AED révèle non pas un « besoin de plus de police », mais l’échec profond d’un système basé sur la hiérarchie, la surveillance et l’obéissance. Ce ne sont pas des patrouilles armées ou des portiques qui empêcheront la violence, mais l’abolition des rapports de domination, l’autogestion des établissements par des élèves, les personnels et les familles, ainsi qu’une éducation fondée sur la confiance, la coopération et la justice sociale. Ce n’est pas plus d’ordre qu’il nous faut, mais plus de liberté et de soin collectif.

Loin du mythe d’une école bienveillante, la réalité de l’établissement scolaire est celle d’un système panoptique. À chaque heure de la journée, les corps des élèves sont rangés, observés, classés. Derrière les sonneries et les emplois du temps se cache une logique carcérale. Le rôle des AED ? Circuler dans les couloirs, repérer les écarts, punir les retards, consigner les absents. Celui du CPE contractuel ? Gérer les flux, maintenir l’ordre, faire exister une discipline qui ne dit pas son nom.

Les AED incarnent à la perfection la logique néolibérale de l’école : flexibles, corvéables, temporaires. Recrutés pour six années maximum, sans grand espoir de titularisation, ils sont les nouveaux prolétaires de l’Éducation Nationale.

Leur quotidien ? Être partout à la fois : à l’entrée du collège ou du lycée, dans les couloirs, en permanence, aux exclusions de cours, à l’appel des absents. Ils sont les gendarmes de l’école républicaine, sans formation, sans reconnaissance, et au SMIC.

Ce que le pouvoir attend d’eux, ce n’est pas qu’ils pensent ou qu’ils créent du lien. C’est qu’ils appliquent des règles absurdes sans discuter. Qu’ils fassent taire. Qu’ils obéissent. L’encadrement devient gestion des corps, gestion de la peur, gestion du silence.

Les CPE contractuels sont une variable d’ajustement cynique. On ne crée plus de postes statutaires ? Qu’importe. On sous-paye des jeunes diplômés pour assurer la continuité disciplinaire. Formés sur le tas, placés en position hiérarchique sans réel pouvoir, ils sont pris entre deux feux : la hiérarchie qui exige des résultats, et les élèves qui ressentent leur impuissance. Ils doivent incarner l’autorité, sans en avoir ni les outils ni la légitimité.

Là encore, l’État organise sciemment leur fragilité pour garantir leur obéissance. Une fois usés, ils seront remplacés. Et la machine continue de tourner.

Il faut le dire, ce que vivent les personnels de vie scolaire n’est pas une simple « difficulté professionnelle », c’est une violence politique. Les professeurs contractuels aussi. Une domination structurée. Une organisation hiérarchique rigide, qui punit toute dissidence. Un système qui ne supporte ni le doute, ni la désobéissance.
À travers l’école, l’État impose son autorité. Il forme les dominés à leur poste et les encadrants à leur rôle de relais du pouvoir. Les élèves doivent obéir, les AED doivent contrôler, les CPE doivent punir.

Il ne s’agit pas seulement de « mauvais management », mais bien d’un projet politique : maintenir l’ordre social par l’école, par la peur, par l’habitude. Tout cela sous couvert de mission éducative.

Face à cela, nous devons refuser. Refuser de devenir les agents d’une école de la soumission. Refuser d’obéir aveuglément. Refuser de participer à un système qui piétine les plus fragiles, élèves comme personnels.
Nous ne voulons pas d’une école gérée comme une entreprise. Nous ne voulons pas d’une éducation où le respect est unidirectionnel. Nous voulons une école libre, horizontale, autogérée, où les élèves sont acteurs, où les personnels ne sont pas des surveillants, mais des compagnons de route.

Cela suppose une rupture radicale avec le modèle actuel. Cela suppose d’en finir avec la précarité, avec la hiérarchie, avec l’idéologie méritocratique.

Il existe tout de même des poches de résistance. Dans cet univers de contrôle, tout n’est pas uniformément noir. Partout, dans les interstices du système, des femmes et des hommes, refusent de se contenter du rôle qu’on leur assigne. Des AED qui dialoguent avec les élèves, des CPE contractuels qui détournent leur pouvoir pour accompagner plutôt que surveiller. Des équipes qui coopèrent avec respect, dans un esprit de solidarité plutôt que de hiérarchie. Ces tentatives sont fragiles, souvent clandestines. Elles vont à rebours des injonctions institutionnelles, et exposent parfois leurs auteurs à l’hostilité des directions ou à l’isolement. Mais elles existent. Et elles montrent une chose : que même au sein d’une institution conçue pour dominer, il est possible de désobéir, de créer, de semer.

Il y a ceux qui organisent des espaces d’écoute au sein des établissements. Ceux qui refusent les exclusions systématiques. Ceux qui questionnent la verticalité, qui parlent en « je », qui regardent les élèves comme des égaux. Ceux qui s’auto-forment, qui militent, qui écrivent, qui luttent. Ceux qui rappellent que l’éducation peut être un acte d’amour et de confiance, pas une administration de la peur.

Ces gestes sont précieux. Mais ils ne suffisent pas. Ils ne feront pas tomber l’institution. Mais ils ouvrent des brèches. Et dans chaque brèche, une possibilité.

Jusqu’ici, c’est la professionnelle qui s’exprime. L’exemple qui suit vient illustrer en partie ce texte.
C’est le coup de gueule d’une maman qui en a assez de voir l’école devenir un espace de dressage plutôt que d’épanouissement. Je vais utiliser le « je ». Récemment, j’ai refusé auprès du collège, par mail, que mon enfant participe au parcours « jeunes en uniforme », ce que je considère comme une tentative de militariser l’école sous couvert de citoyenneté, une manœuvre idéologique visant à banaliser l’ordre, la hiérarchie et la militarisation. La réponse ne s’est pas fait attendre : la CPE a menacé mon enfant de l’enfermer en permanence pendant quatre heures, seul, comme une punition pour un choix parental. Le code de l’éducation est très clair en la matière : ce type de « parcours » facultatif n’est en aucun cas obligatoire et est soumis à l’autorisation parentale. J’ai tenté à plusieurs reprises de joindre la CPE, sans jamais obtenir de réponse. Pour éviter que mon enfant subisse une sanction déguisée, j’ai dû faire appel à un membre de ma famille pour venir le récupérer. Et comme si cela ne suffisait pas, je dénonce aussi les conditions de vie au sein de l’établissement : des toilettes qui n’ont pas de verrous, sans assurer une intimité donc, où les enfants se retiennent toute la journée par honte ou par inconfort, au point de mettre leur santé en danger. Pour venir saupoudrer le tout, il est interdit pour les élèves de se rendre aux toilettes pendant les heures de cours et pendant les interclasses, mais uniquement aux récréations et à la pause méridienne. Les élèves n’ont pas le droit de boire de l’eau en cours. Cette école n’a plus rien d’un lieu d’apprentissage émancipateur, mais tout d’un espace de soumission, où l’on dresse les corps et les esprits à obéir, à taire leurs besoins, à marcher au pas. Et quand ils ont l’audace de dénoncer ces privations, ils se font cataloguer d’insubordonnés. Nos enfants ne sont pas des soldats en devenir, mais des individus libres en construction. Les parents « résistants » sont catalogués eux aussi. Ils sont surveillés, parfois même marginalisés. Cette école n’enseigne plus l’autonomie ni la pensée critique. L’institution ne supporte plus la contestation et tente d’éteindre toute forme de désaccord. Mais moi, comme d’autres, je continuerai à dire non, pour défendre une école de la liberté.

L’école telle qu’elle fonctionne aujourd’hui est une forteresse : close, verticale, autoritaire. Mais aucune forteresse n’est totalement étanche. Dans les couloirs, dans les salles de permanence, dans les interstices de la routine, des résistances s’inventent. Des liens se tissent. Des AED, des CPE, des profs refusent de devenir des rouages. Ils désobéissent à leur manière. Et ce faisant, rappellent une chose essentielle : que l’autorité n’est pas une fatalité, et que l’éducation véritable commence là où finit la peur.

C’est dans ces gestes que réside l’espoir. Non pas d’une réforme venue d’en haut, mais d’un soulèvement venu d’en bas. Horizontal, collectif, indocile. Car éduquer, c’est peut-être cela, au fond : refuser de dominer. Et apprendre à se libérer ensemble.

Maya