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GRECE : VERS UN MOUVEMENT EN PROFONDEUR ?

Publié le 6 mars 2009

En décembre dernier, le vent de l’insurrection a éclaté de façon soudaine, massive et sauvage en Grèce. L’assassinat par la police d’un lycéen de 15 ans, Alexis Grigoropoulos, mettait le feu aux poudres. Bien qu’en France les médias oublient maintenant systématiquement d’en parler, ce mouvement a évolué graduellement vers des actes moins violents, plus imaginatifs et plus sociaux. Même si la participation est moindre qu’au coeur de l’explosion, ce mouvement nous semble porteur à la fois d’espérances et de questionnements. Retour donc sur la situation en Grèce [1], avec, à la fois des résumés d’un texte rédigé par des anarchistes grecs (sertis d’un filet noir latéral) et, à titre de dialogue, des commentaires de militants de la CNT-AIT en France.

Qui sont les révoltés ? Que peuvent-ils faire ?

Sociologiquement, si la rébellion est partie des lycéens et des étudiants, elle a également reposé sur d’autres jeunes, chômeurs ou salariés précaires de secteurs aussi divers que l’enseignement, le bâtiment, le tourisme, le spectacle, les transports, et même les médias... dont pas mal "d’immigrés de seconde génération" (principalement et massivement des Albanais), bien qu’il y ait eu d’autres nationalités. Enfin, à tous ces jeunes, il convient d’ajouter des travailleurs âgés, ayant des emplois plus ou moins stables.

Sur un plan plus général, la rébellion a trouvé beaucoup de sympathie dans la population, ou pour le dire mieux, dans la classe ouvrière dans son ensemble. Et cela non seulement parce que c’étaient ses enfants qui se battaient, mais aussi parce qu’elle sentait que c’était une lutte juste. Ainsi, les incendies de banques ont été très populaires (surtout auprès des centaines de milliers de personnes profondément enfoncées dans la dette). Les pillages par contre n’ont pas été acceptés par la population, du moins pas ouvertement. D’une façon générale donc, les couches exploitées ont manifesté beaucoup de sympathie et d’intérêt pour les insurgés, mais sans que cela se traduise par une participation active. Cette carence est encore plus vraie en ce qui concerne les ouvriers d’usine. Il est possible que certains se soient joints aux émeutes, mais globalement, il n’y a pas eu de répercussion significative sur leurs lieux de travail. Par exemple, aucune grève (à une paire d’exception près) n’a eu lieu. L’occupation du bâtiment de la centrale syndicale GSEE, n’a pas débouché du fait des différences de point de vue, sur une démarche de mobilisation ouvrière, bien que des actions de solidarité aient été organisées à la suite de l’agression subie par Constantina Kuneva [2]. De plus, les deux grandes confédérations syndicales (la GSEE et l’ADEDY) ont maintenu un "cordon sanitaire" autour de leurs troupes, allant même jusqu’à annuler leurs manifestations les plus traditionnelles (contre le budget de l’Etat,...) pour éviter tout contact.

Au total, et contrairement à l’image qui en a été donnée en France, la violente rébellion de décembre n’a pas été un mouvement limité à la jeunesse scolaire ou étudiante mais un mouvement sensiblement plus large qui a trouvé une audience populaire et a compris une frange prolétarienne. Cependant, l’absence de participation active de la population, pourtant grandement en accord avec les révoltés, et plus encore la carence totale de travailleurs industriels dans le mouvement, constituent une limite essentielle pour qui se situe dans une perspective révolutionnaire. Les éléments explicatifs sont nombreux (jeu des institutions étatiques dont les médias,...), mais deux leviers sont accessibles sur le plan militant.

Le premier levier est une simple décision à prendre. En Grèce comme en France, les syndicats institutionnels sont les chiens de garde du capital. S’ils mènent au quotidien ça et là de menues escarmouches, c’est pour conserver des troupes. Mais il y a longtemps que leur rôle essentiel, est d’accompagner le capitalisme dans ses évolutions (autrement dit, faire avaler au bon peuple, toutes les pilules les unes après les autres). D’ailleurs, le comportement de la GSEE et l’ADEDY n’étonnera pas ceux qui ont connu Mai 68 (ou d’autres expériences du même ordre*3). Ces deux confédérations ont appliqué la stratégie de la CGT en 68 : mettre des cloisons étanches dans la classe ouvrière pour déminer le terrain social. En Grèce comme partout, chaque fois que la situation risque de basculer, les confédérations institutionnelles constituent un des plus fermes piliers du pouvoir. Le constat est connu ; il ne saurait suffire. Car, au moins en France (il semble en être différemment en Grèce), la majorité des anarchistes est syndiquée à la CGT, à la CFDT, à FO, à l’UNSA, à la FSU... ou dans des syndicats prétendument révolutionnaires qui collaborent régulièrement avec toutes les centrales précédemment citées (en signant des appels, des tracts ou des affiches en commun, en menant des actions communes...). Ce faisant, ils ne font qu’une chose : contribuer à donner à ces centrales une "image de marque" acceptable... ce qui leur permet de conserver les moyens d’agir contre le peuple chaque fois que c’est nécessaire au capital. Il ne faut pas avoir fait Polytechnique pour comprendre que renforcer un ennemi, c’est se tirer une balle dans le pied. Une politique de rupture totale et définitive s’impose. C’est simple et cela ne coûte rien. C’est une question d’intelligence de la lutte. Et de volonté.

Le deuxième point est illustré par les tergiversations des occupants du bâtiment de la GSEE : certains voulaient "aller distribuer des tracts aux portes des usines", d’autres étaient résolument contre. Dans le fond, la question était celle de la jonction avec les ouvriers industriels. Et c’est une vraie question. Sur ce plan, on peut affirmer que, s’il est nécessaire de rompre tout lien avec les centrales de collaboration de classe, ce n’est pas non plus suffisant. Cela reviendrait à laisser tout ce secteur enfermé comme dans une citadelle dont les réformistes détiendraient à tout jamais la clef. Tout groupement anarchiste devrait au moins débattre de l’intérêt de faire tomber les murs de cette citadelle et, si la réponse est positive, chercher à s’en donner les moyens : travail d’explication, de sensibilisation mais aussi d’appui pratique à des luttes (y compris des mini-luttes) hors cadre institutionnel... un travail militant qu’il faut alimenter au quotidien, et dont certaines évolutions en Grèce ne nous semblent pas fondamentalement éloignées, même, si, comme le soulignent les compagnons grecs ci-dessous, la portée en reste encore aléatoire :

Quelles sont les évolutions actuelles ?

Graduellement, la violence des premiers jours est devenue plus créative, comme si elle avait été le préalable nécessaire à des actions plus imaginatives et plus organisées qui ont pris principalement la forme d’occupations : de multiples lieux d’éducation bien entendu, mais aussi hôtels de ville (faubourg Dimitrios à Athènes, Salonique, faubourg ouvrier de Sykies), bureau d’information du ministère de l’intérieur (Chalandri, autre faubourg athénien), bibliothèque (Anno Poli, quartier de Thessalonique)... Ces dernières occupations, sur l’initiative de groupes anarchistes locaux se sont faites parfois avec la participation des employés concernés (par exemple, à Dimitrios, les "cols bleus" de la mairie). Elles ont constitué autant de lieux où s’organisaient les assemblées populaires et les manifestations, avec une nouvelle caractéristique commune : la tentative d’ouvrir la rébellion vers le quartier, parfois même celle de faire fonctionner certains services municipaux sans la médiation des autorités. Ces assemblées étaient comprises comme des "assemblées de lutte de quartier" ou des "assemblées du peuple", comme elles s’appelaient d’ailleurs elles-mêmes. Au début, les assemblées ont semblé plutôt innovatrices et animées. Il n’y avait pas une procédure formelle quant aux processus de prise de décision, ni de règle de majorité et les initiatives étaient encouragées. Après un temps de fonctionnement cependant, et plus particulièrement quand la révolte s’est apaisée, des tendances distinctes sont apparues dans ces espaces “d’ouverture sociale” : les uns voulaient organiser une communauté de lutte en élargissant les questions de la révolte, les autres préféraient un type d’activité plus orienté vers le traitement des questions locales. Fin janvier, les occupations des bâtiments - qu’ils soient publics, syndicaux ou municipaux - se sont arrêtées et il n’est pas clair si un nouveau mouvement va émerger de cette pratique intéressante malgré sa courte durée.

Quel est le contenu du mouvement ?

A en juger par les slogans et les attaques contre la police, c’est massivement un sentiment anti-policier qui aurait dominé la rébellion. Le policier représente le pouvoir et particulièrement la brutalité et l’arrogance de celui-ci. Néanmoins, d’autres symboles du pouvoir d’imposer l’exploitation, comme les grands magasins, les banques, des bâtiments de l’Etat... ont été attaqués, incendiés ou occupés. Ainsi, au-delà du sentiment anti-policier dominant et très répandu, nous pouvons parler d’un fort sentiment anti-Etat et anti-capitaliste. Au cours des premiers jours de la révolte, chacun pouvait presque palper tous ces sentiments dans l’air. De nombreux textes, articles, tracts, écrits à la fois par les insurgés, les sympathisants et les commentateurs ont mis en relief qu’il y avait effectivement quelque chose de plus profond que l’irritation anti-policière. Cette "chose plus profonde" dont tout le monde discutait, c’était la nécessité de surmonter l’isolement individuel à partir de la vie réelle et collective. Tout cela a donné une insurrection spontanée et incontrôlable, d’où l’absence des propositions politiques habituelles ainsi que le rejet explicite des organisations politiques. Les gauchistes ont amené des revendications pratiques ("démission du gouvernement", "abrogation de la loi anti-terroriste", "désarmement des policiers"...) mais, pour les gens dans la rue, l’essentiel n’était pas là.

Le fait qu’au fond il n’y ait pas eu dans ce mouvement de revendication (au sens mesquin qu’a ce terme habituellement), pour paradoxal que cela puisse paraître, nous semble essentiel et prometteur. En effet, une contestation qui se serait enfermée dans des revendications raisonnables (comme celles avancées par les gauchistes) aurait de fortes probabilités de se couper elle-même l’herbe sous les pieds. Que coûte en effet à un gouvernement, l’abrogation de telle ou telle loi ? Il sait pertinemment qu’il republiera la même une fois qu’il aura calmé les manifestants en la retirant (de ce point de vue, en France, les retraits successifs depuis trente ans de lois concernant l’université suivis de promulgations de lois qui font la même chose en pire est un exemple cuisant, de même le retrait d’Edwige et son remplacement par un texte identique [3].

Cette chose "plus profonde" que soulignent les compagnons grecs, si elle est nourrie par de la réflexion, du débat, des apports (historiques, théoriques...) peut déboucher sur la seule revendication qui vaille : changer radicalement la vie !

Des militants de Grèce et de France

_3.-Voir sur le jeu des syndicats lors de la "transition" espagnole l’article sur Luis-Andres Edo

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