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PERSPECTIVES SOCIALES DANS LE CONTEXTE ACTUEL

Publié le 24 mai 2009

Quelles perspectives dans le contexte social actuel ? Cette question récurrente, précise et vaste à la fois, mérite que l’on se penche sur le sens de certains mots et la signification particulière qu’ils prennent selon le contexte. Ces deux mots retiennent toute mon attention et me semblent devoir être compris pour bien appréhender le sujet. Tout d’abord : Perspective. Selon le dictionnaire, son sens exprime qu’il s’agit d’une vue, d’une vision de loin ; il concerne l’espérance ou la crainte d’événements considérés comme probables, possibles, quoique éloignés. Il prend toute sa signification lorsqu’on le replace dans un contexte social. Social : liens et rapports existant entre les individus, les individus et les groupes d’individus, et entre groupes d’individus.

Partant de là, la question m’entraîne dans une réflexion concernant l’avenir des rapports sociaux. La question sociale étant au centre de ma réflexion d’anarchosyndicaliste, elle reflète d’une façon plus large la question de la condition humaine, c’est-à-dire de la façon de vivre, de subsister, d’agir, de réagir, de penser, de se comporter et tout ce qui découle directement de l’existence en tant qu’être humain. Mais, même, comme cela, il me semble que le simple bon sens m’impose d’élargir la réflexion au-delà. Lorsque je parle de perspective, je me demande quelle visibilité il y a pour le mouvement social ; motivations, but, nature, force... Aujourd’hui, je constate, et non sans une certaine amertume, que l’horizon ne semble pas vraiment dégagé. Ce qui est constamment proposé c’est l’adhésion à un système qui n’en finit pas de prouver son iniquité, son inhumanité et son caractère résolument anti-social.

2 modèles seulement ?

On ne pourrait (paraît-il !) y opposer qu’un modèle totalitaire dont le plus explicite des exemples serait le modèle bolchevique. Comme par hasard, ce que l’on y critique ce n’est pas sa réalité, celle d’un Etat dictatorial et d’un capitalisme étatifié, ce sont les principes derrière lesquels il s’est caché pour prendre le pouvoir et qu’il s’est bien gardé ensuite de mettre en œuvre. Ce sont ces principes qui sont signalés comme rétrogrades, car véhiculant des idées à caractère collectif, déclarées dès lors utopiques au vu de l’histoire, de la supposée nature de l’homme et de sa tout autant supposée propension à la destruction. A côté de cela, on redessine et on embellit le seul modèle prétendument "viable" ; le modèle libéral qui sans être parfait serait (paraît-il aussi) le seul à garantir un maximum de justice et d’abondance car dénué de toute idéologie et exclusivement tourné vers le pragmatique. Cela revient à opposer deux notions, l’idéologie et le pragmatisme, pourtant complémentaires ; ce qui constitue en soi une aberration. Cet horizon capitaliste est montré comme "indépassable" et vécu comme tel par une bonne couche de la population. Cette société sans idéal s’efforce d’entretenir l’idée de suprématie en l’assimilant à une supériorité "naturelle". Et, elle est "indépassable", en effet, car pour aller au-delà, il s’avère nécessaire de se créer un projet, un idéal. Et, logiquement, cet idéal doit s’inscrire dans une perspective long terme, car il doit d’une part "recréer" un nouveau modèle anthropologique, et, ne peut, d’autre part, que remettre en cause les fondements de la société actuelle. En somme, cette perspective ne peut être que révolutionnaire et s’inscrire dans le long terme ; cela revient à dire qu’il faut s’atteler à la tâche dès maintenant car le futur ne se conjugue qu’au présent. Cet idéal, guide des perspectives immédiates et intermédiaires, ne jaillira pas du néant. Je vais essayer de montrer de quoi et comment il pourrait naître. Bien entendu ce n’est qu’un avis. Plus haut, j’ai parlé de modèle anthropologique et d’élargissement de la réflexion. Elargissement de la réflexion, oui, car il me semble qu’il faut être réaliste et partir de la situation présente avec tout ce qu’elle comporte. Ce sont les événements qui fourniront les opportunités, car ce sont eux qui font la réalité. Elargissement car l’individu (et le social) s’inscrit dans un cadre sociétal, qui est beaucoup plus large.

Ce mot (sociétal) est apparu, à ma connaissance depuis pas longtemps et je n’ai pas réussi à en trouver une définition dans le dictionnaire ou sur internet. Mais l’utilisation qui en est faite me laisse supposer son sens. Il me semble venir concurrencer quelque peu le mot social mais reste mal défini. Pour moi, il reflète le côté structurel de la société : les institutions, les structures administratives, juridiques, etc. et d’une manière générale la norme, tout ce qui encadre l’individu et les rapports sociaux, mais aussi tout ce qui contribue au contrôle social.

L’individu, qui vit dans une société, tend naturellement à l’influencer, mais, une société libérale, et "discrètement" autoritaire, lui impose par tous les moyens de se conformer à un modèle d’individu nécessaire à assurer sa continuité et impose de réprimer ses aspirations à tout un chacun. Au bout du compte, la société s’approprie l’individu et plus grave encore son esprit. Cette appropriation, je l’appelle le pouvoir. Mais, ici aussi, ce mot, souvent mal compris, mérite d’être repris. Il est souvent utilisé pour parler de gouvernement, c’est-à-dire du pouvoir politique. Mais, le pouvoir politique n’est pas le seul pouvoir. Il se décline en pouvoir financier, économique, répressif, médiatique, sans oublier le pouvoir éducatif ou religieux, et tous les moyens servant à canaliser la force de l’individu. Tous ces pouvoirs s’interpénètrent, se complètent, se soutiennent et forment un système qui va au-delà même du social et qui synthétise, concentre, son pouvoir contre l’individu. Ce pouvoir qui règne par la confusion et fonctionne par influence, c’est le pouvoir du système, et cet état de choses rend complexe toute analyse.

Aujourd’hui, de nombreux foyers de contestation et de révolte se développent. L’évidence du mensonge et de l’hypocrisie pour un nombre croissant d’individus qui se retrouvent abandonnés, sacrifiés par le système qu’ils adulaient il n’y a pas si longtemps encore n’est pas étranger à ce phénomène. Le système semble travailler à sa propre perte. Mais son pouvoir est bien réel, car il a investi les esprits et gouverne l’inconscient et donc, les fantasmes, les réflexes d’aversion, de rejet et d’adhésion, entre autres.

Drôle d’héritage

Cet "héritage" que chacun se trimballe est le plus sûr allié du système, et, c’est lui qui constitue le vrai pouvoir, car c’est sur lui que s’appuie le système et c’est par lui qu’il assure et garantit sa survie. Aussi, femmes et hommes s’indignent mais ne s’insurgent pas. Ils se plaignent mais réagissent à peine... ils attendent, ils espèrent... ils ne (re)prennent pas l’initiative, leur liberté. Pourquoi ? Le système les éduque à être ainsi. Ils sont persuadés que c’est de cette façon qu’il faut être. Il faut être figurant, spectateur. Applaudir ou siffler, peu importe, mais toujours être un bon citoyen. Car si l’individu répond aux sollicitations, stimulations et appels des appareils du système, c’est qu’il en possède les germes, profondément inculqués dans son inconscient.

Cette "société du spectacle", comme certains l’appellent, est en fait une société de l’image. Je pense que l’image "réelle" que l’individu peut avoir de lui-même est confuse, voire totalement faussée, par le biais de l’image du "comment il faut être" que lui renvoie, systématiquement, l’environnement sociétal.
Et de cette confusion, entre ses aspirations et ce harcèlement mental, émotionnel et matériel, naît un individu immature et incapable d’assumer son véritable rôle de moteur social, et même son simple sens des priorités, si tant est qu’il lui reste encore accessible. L’Etat a une place de choix dans ce système, et il gère au mieux de "ses intérêts" les remous sociaux en s’appuyant sur ces relais mentaux et inconscients qui sont en place dans la tête des gens. Entretenant au mieux la culpabilité des individus grâce à une espèce de mécanisation comportementale ; le système tire profit du manque de réflexion de l’homme moderne. Si malgré la trahison des syndicats et des "élites" de gauche, beaucoup de personnes finissent quand même par y revenir, c’est parce qu’elles croient que sans eux ce serait pire et qu’elles sont persuadés que seules ces structures institutionnalisées sont à même de prolonger un peu leurs illusions. Ce qu’il m’apparaît important de comprendre, c’est que le système a totalement intégré le syndicalisme - comme toutes les structures de contestation qui acceptent ne serait-ce qu’un début de dialogue avec lui, ne serait-ce qu’un début de participation à ces institutions [1] - et qu’il les instrumentalise. Toutes ces structures, supposées constituer des "contre-pouvoirs", voire le contester (et dont les membres peuvent penser qu’ils sont réellement dans la contestation), permettent au système d’être informé finement, en direct, de l’état d’esprit des opprimés et surtout lui donnent les moyens de les "influencer" discrètement. Il règne une espèce de fascination de la part de la population pour un système qui, il est organisé pour ça, lui en fout plein la vue.

Malgré cela, ce qui aujourd’hui m’interpelle, ce n’est pas seulement la multiplication des foyers de lutte, mais, leur nature. Honnêtement, je dirais qu’il y a un retour d’esprit dans la lutte. Ce qui a changé ? C’est la prise de conscience qui conduit inexorablement à faire preuve d’imagination. Certaines personnes réinventent la lutte autonome et solidaire, la désobéissance civile, les débrayages non conformes aux consignes syndicales, les occupations d’usine, etc. Cela veut dire, en bref, que si l’attitude et le comportement changent, défient les institutions et bousculent la norme, on peut, peut-être y voir le premier pas vers le retour à une lutte révolutionnaire. Et l’idéal révolutionnaire se construira au fur et à mesure que ces luttes se développeront. La société libre, égalitaire et juste ne naîtra que de la lutte qui s’organisera autour de ces valeurs. Mais elle nécessite aussi, surtout, une régénération morale et une évolution consciente dans la lutte contre l’état d’esprit que le système nous inculque. La meilleure arme dont dispose le pouvoir c’est la culture de l’espoir entendu comme un espoir dans le caractère perfectible (pour ne pas dire sons humanisation) du système. Celui-ci semble si évident, même parmi de nombreux militants, qu’il est compréhensible que de nombreux individus y adhèrent. Mais, il faut abandonner cet espoir là et cultiver le réalisme, le sens de l’organisation et la solidarité. Car cet espoir là met l’action potentielle de l’individu "en attente". Il faut abandonner l’espoir dans le système, reprendre confiance en nous et agir lucidement, sans espérer de miracle ni sans désespérer et en exploitant les événements, en auto-gérant la lutte. Il me semble important de préciser que l’idéal révolutionnaire ne représente qu’un point de rupture et que cette perspective appelle à être dépassée ; elle ne constituera nullement un point d’arrivée final, mais un début.

Pépito

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