QUE S’EST-IL PASSE ?

Publié le 22 novembre 2010

L’histoire est simple : une nouvelle
attaque contre les travailleurs.
Une de plus. Une propagande mensongère,
savamment distillée dans les
médias pendant des années (sur le
thème : « de plus en plus de retraités, de
moins en moins d’actif » [1]) avait
convaincu l’opinion qu’on ne couperait
pas à une « réforme ». Le projet
de loi était donc censé passer comme
une lettre à la poste.
Pour la forme, les centrales syndicales,
réunies en intersyndicale,
avaient prévu d’accompagner mollement
le débat parlementaire de
quelques « journées d’action » [2],
façon subtile d’éviter une grève générale,
et plus encore de se donner les
moyens de sa réussite [3]. Dans ces
conditions, les cortèges de ce printemps
ne pouvaient pas avoir grand
esprit combatif et avaient même
quelque chose de mortifère.

ANTICIPATION D’UN RETOURNEMENT DE SITUATION

Contente de tant d’inutilité, et
pensant avoir donné le change, l’intersyndicale
appelait pour le 7 septembre
(date du début de la discussion
parlementaire) à une journée de
manifestation qu’elle espérait bien
être, sinon la dernière, du moins tout
aussi vaine que les précédentes.
C’était compter sans une vilaine
affaire...

Cette affaire, c’est bien sûr le dossier
Woerth-Bettencourt, une affaire
d’Etat, qui débute fin juin et met à nu
la servilité du personnel politique visà-
vis des magnats du capitalisme.
Deux ans à peine après le « casse du
siècle » qu’est la crise bancaire de
2008, ça fait beaucoup, surtout quand
on constate que, comme par hasard,
le même Woerth était aux commandes
d’un budget consacré principalement
à enrichir les financiers et à
endetter les autres.

En concomitance éclate toute une
série de révélations dévoilant les
appétits de luxe et les pratiques malhonnêtes
de divers ministres ; l’on
apprend également que le frère du
président de la république est à la tête
d’un énorme groupe spécialisé dans
le business de la retraite par capitalisation
(groupe Malakoff-Médéric)...
Le Pouvoir, qui s’y connaît en
matière de manipulation de l’opinion,
comprend qu’il lui faut allumer des
contre-feux, et là, c’est un festival :
« déchéance de la nationalité », discours
vichyste contre les roms... C’est sordide.
Mais ça ne marche pas : la violence
du mensonge institutionnel se
heurte à l’écœurement croissant de la
population.

Pour nous, il devient dès lors évident
que la « réforme des retraites »
pouvait cristalliser cette révolte sourde
causée par tant de corruption et de
manipulation, favoriser une (re)prise
de conscience de l’exploitation, et
prendre des proportions exceptionnelles [4].

C’est à quoi nous consacrions nos
travaux d’été, lors du camping CNTAIT,
qui réunit chaque année des
compagnons venus d’un peu partout [5].

Un numéro spécial
d’Anar6chosyndicalisme ! y était collectivement
élaboré, en prévision de la
rentrée sociale, envoyé à tous les
groupes libertaires du territoire, avec
une version destinée à être massivement
et gratuitement distribuée pendant
les manifs du 7 septembre.

L’ASSEMBLEE POPULAIRE PONZAN

Sur Toulouse, dès le premier septembre
nous lancions des réunions
avec des militants révolutionnaires,
qui allaient nous permettre de développer
ce point de vue et mettre en
place une stratégie pour inter venir au
cours des journées d’action. En principe,
la manifestation du 7 septembre
ne devait pas échapper à la règle classique
 : beaucoup de monde, peu de
résultat !

Cependant, ce qui allait contribuer
à faire bouger les lignes, c’est
que dès ce jour des militants de la
CNT-AIT et d’autres révolutionnaires
non organisés ont mis à profit
cette manifestation pour appeler par
voie de divers tracts intitulés « Pour la
déchéance de l’Etat et du capitalisme
 » à
une assemblée populaire le dimanche
suivant, 12 septembre.

Ce jour là, à Toulouse, s’est donc
tenu une première assemblée populaire.
Une trentaine de personnes
d’horizons différents, réunies en plein
air dans le square Ponzan (du nom
d’un compagnon de la CNT- AIT,
fusillé en 1944 par les nazis pour faits
de Résistance), ont alors appelé à
tenir dans tout le pays des assemblées
de base. L’idée étant de libérer la
parole populaire du carcan construit
par les centrales syndicales et la propagande
institutionnelle.

Un communiqué était rapidement
rédigé et diffusé sur les sites internet
pour encourager à l’auto-organisation
dans toute la France. En voici l’essentiel
 : « ... Nous étions une trentaine ce
dimanche après-midi à nous réunir pour
affirme au grand jour notre détermination
 : nous ne voulons plus de ce pouvoir
corrompu et de ses lois scélérates ! Nous
appelons à ce que partout en France s’ouvrent
des lieux publics pour accueillir la
colère qui gronde dans ce pays :
Assemblées populaires, Assemblées générales,
Collectifs Interluttes, etc.
 », suivait
un appel à une nouvelle Assemblée
populaire le dimanche suivant, afin de
discuter collectivement des modalités
d’action de la journée du 23 septembre.

Peu à peu, au fil de différentes
Assemblées qui vont se tenir en ce
lieu chaque semaine, se précise l’idée
d’organiser à la fin de chaque manifestation
une Assemblée populaire
pour discuter de l’attitude à tenir
faces aux attaques de l’État et du capital,
préparer des ripostes.

Voici un extrait du témoignage
d’un participant : « 23 septembre. 3
millions de manifestants dans les rues ! Le
mouvement enfle donc encore. Pour la première
fois, les cortèges hésitent à se disperser.
Plus exactement, dans de nombreuses
villes, quelques dizaines de personnes par-ci,
quelques centaines par-là, restent discuter
à la fin de la manifestation. Des tracts
d’interprofessionnelles commencent à
appeler à la prise en main des luttes par
les ouvriers eux-mêmes. Dans quelques
villes, la CNT-AIT organise des
Assemblées Populaires pour "libérer la
parole" (le CCI se joindra ensuite à cette
excellente initiative). A partir de ce
moment, ces assemblées de rue auront un
succès certain, parvenant à regrouper
chaque semaine plusieurs dizaines de participants,
notamment à Toulouse.
 »

L’opération fut ensuite répétée à
chaque fin de manifestation. Malgré
les attaques des flics et du service
d’ordre des syndicats, la motivation
populaire n’a pas faibli.

De 50 personnes le 23 septembre,
l’Assemblée populaire de fin de manifestation
a compté jusqu’à environ 1
000 personnes le 19 octobre dernier !
Ce jour là, les discussions furent
riches au sein d’une assemblée polymorphe
(personnes « inorganisées »,
syndicalistes de base, militants
divers...) décision fut collectivement
prise d’aller soutenir les ouvriers d’un
dépôt de carburant situé en périphérie
de la ville. Cet acte de solidarité fut
parfaitement réussi car ni la distance
de plusieurs kilomètres, ni la provocation
des flics, ni la « fougue » de certains
ne purent entamer la détermination
des manifestants à faire ce qu’ils
avaient décidé eux-mêmes, pas plus,
pas moins.

EPILOGUE PROVISOIRE

Pour les militants et sympathisants de
la CNT- AIT, à partir de cette date, il
était clair que nous avions franchi un
premier pas dans un long processus,
celui de l’expérience à la prise de
parole publique par tous et de l’élaboration
de la décision collective, et cela
constitue une satisfaction importante.
Mais nous commencions également
à sentir les obstacles grandissant
 : en prenant très rapidement de
l’ampleur, l’auto-organisation devenait
plus fragile, et cela pour deux raisons.
D’abord parce que cette
ampleur était aussi due au fait que des
syndicalistes l’ont intégrée avec leur
état d’esprit, c’est-à-dire en y imprimant
avec plus ou moins d’arrières
pensées [6] une accélération en matière
d’actions, d’où l’épuisement rapide de
forces encore faibles. Ensuite parce
que, corrélativement, l’axe principal
de la contre-attaque idéologique, qui
était celui de la mis en évidence de
l’opposition du Peuple face au
Pouvoir, était perdu de vue dans ce
foisonnement d’actions.

Or, dans un tel contexte, ce qui est
réellement positif, car cela accélère la
maturation idéologique des participants,
c’est, plus que l’action en soi, le
fait qu’elle soit réfléchie, discutée, élaborée
collectivement dans une perspective
stratégique globale (et pas
seulement limitée aux « retraites »).

Ce constat nous amène à deux
réflexions. La première, c’est que le
rôle dans un contexte un peu « chaud
 » d’une organisation anarchosyndicaliste,
son articulation avec le mouvement
populaire doit continuer à être
creusée et précisée. La seconde, c’est
qu’en laissant mettre comme objet
central de la mobilisation la réforme
des retraites (qui n’aurait du en constituer
que le catalyseur) le mouvement
social a rendu sa dynamique du
moment dépendante des tribulations
de cette réforme et a perdu ainsi une
possibilité d’extension.

CNT-AIT TOULOUSE

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