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Ça Bouge, mais vers où ?

Publié le 13 mars 2011

La situation de plusieurs pays arabes excite les neurones journalistiques.
Spécialistes, experts, conseillers et politiciens envahissent les médias de
leurs cogitations. D’après eux, les situations tunisienne et égyptienne étaient
imprévisibles. On se demande quelles qualités justifient cette caste grassement
rétribuée, si bien formée et informée qu’elle ne voit rien venir. Que
peut-elle dire, redire, médire où prédire : des banalités, des propos fallacieux
et des élucubrations. La révolution fait vendre du discours, mais elle reste
avant tout un mot chargé d’histoire, de passion, de désir, de crainte, d’ambiguïté
ou de répulsion. On se distrait, s’effraie avec, mais le vocable doit être
vidé de son sens par un traitement émollient. La révolution serait donc orange,
velours, papyrus, jasmin, etc. Elle sera demain abricot, olive, muscat,
huile essentielle et lait de coco... Dans ce poético-esthestico-cucul, osons
dire cornichon, patate, piquette, rance, ersatz, ces révolutions étant des pièges
à... Notre Révolution, à nous, est astringente et ses appellations sont
claires : des exploités, des opprimés, de la faim, socialiste, prolétarienne, antiprivilèges,
anti-capitaliste, prise de la Bastille, du palais d’hiver, Commune de
Paris, révolution espagnole ou autres. Spartakistes, mutins, émeutiers, insurrections,
égalité... tels sont les mots de notre révolution !

Monarchie, ploutocratie, oligarchie,
capitalisme, bourgeoisie, autocratie,
dictature, technostructure, corruption,
parlementarisme, république
sont le multiple de la réalité des systèmes
de classes (exploités, opprimés).

Les différences de système ne sont
pas de nature, mais portent sur le taux
d’exploitation que s’autorise une
clique au pouvoir en fonction du
contexte. Si la population est dangereuse,
insoumise, subversive, ingérable
et que le système ne veut ou ne peut
concéder, la force est utilisée par des
factions despotiques pour défendre
leurs privilèges. Si la contestation est
modérée (mots d’ordres acceptables,
aménagements sociaux, revendications
concédables par le système), le
pouvoir augmente la part distribuée
des richesses et de la participation
institutionnelle. Les divers traitements
ne clivent pas les factions, quand leurs
intérêts sont préservés, elles s’accommodent
de toutes les situations.

Rappelons-nous, que ceux qui
défendent, la république, le parlement,
etc., surent applaudir la dictature et
vice-versa. En la matière, l’opportunisme
est la règle et dictature ou pseudodémocratie
dite parlementaire sont les
tranchants de la même lame à décapiter
la justice, la démocratie, l’égalité.

Une révolution sociale implique
qu’un corpus idéologique change profondément
les cadres : politique, économique
et culturel. « Révolution »,
sans but sociétal, n’a pas de sens, et ne
renseigne pas sur les visées des acteurs
et leurs récupérations. On confond le
but (la révolution) et les moyens :
émeute, insurrection, putsch, grève
générale, révolte, votation, etc. Il suffit
de scander insurrection pour se penser
révolutionnaire et unis par ce
moyen qui ignorerait les divergences.
Ces moyens sont le commun de finalités
différentes ou opposées, voire les
tactiques d’un même but. Combien
d’insurrections furent de droite ou
d’extrême droite, de grèves générales
réactionnaires ? Vérifions le passé :
luttes d’indépendance et révolutions
nationales, émeutes populaires et
révolutions bourgeoises, votations et
révolutions dictatoriales, révoltes et
révolutions théocratiques.

Rompons avec les contorsions
sémantiques, appelons les choses telles
qu’elles sont, ne confondons pas
tactique et stratégie. Il est facile de
s’enthousiasmer ou de critiquer, deux
manières d’exiger des autres ce qu’on
ne fait pas soi-même : la révolution.
Celle-ci nécessite certains facteurs :
qu’une partie de la population ait les
moyens d’imposer son idéologie, que
l’appareil répressif et les centres de
pouvoir soient fragilisés (inactifs,
détruits, divisés, paralysés, etc.). Est-ce
la situation en Tunisie et en Égypte ?
Les couches sociales (moyenne, pauvre,
prolétarienne, salariale...) sont elles
organisées, ont elles leur propre agencement
 : tactique, stratégique, idéologique
 ? Il semble qu’aucune de ces
catégories sociales ne possède ni puisse
instituer un autre projet pour l’instant.
On dénonce, conspue, chasse, les
dirigeants auto-désignés, les privilégies,
les corrompus, etc. On demande
des élections, une meilleure répartition
du pouvoir et des richesses, mais on
conserve l’État, les inégalités, les classes
sociales, le capitalisme ; on veut
des réformes allant vers le modèle
plus où moins occidental, toutes choses
que la gouvernance mondiale est
en mesure de concéder, car il vaut
mieux céder un peu et ainsi continuer
son business.

Reste à poser quelques questions.
Les capitalistes ont-ils les capitaux
(prêts, investissements, subventions,
etc.) pour développer économiquement
ces pays ? Quels sont les moyens
de ceux, bien implantés, qui projettent
une révolution islamiste ? Quelle situation
géopolitique : pétrole, canal de
Suez, Israël, monde Arabe, méditerranée
(Nord et Sud) ? Si les réformes ou
leurs absences continuent de dégrader
la situation, les capitalistes et les États
dont les intérêts dépendent de l’équilibre
de la région opteront pour des
régimes dictatoriaux, pousseront l’armée
à réprimer les populations. On
verra des alliances avec l’ennemi
d’hier. En effet, les tensions entre les
privilégiés (politiques, idéologiques,
gouvernementales, étatiques, impérialistes)
disparaîtront face à la rébellion
généralisée. Ce que craignent tous les
gouvernements du monde, c’est cette
constance historique qu’ils pensaient
avoir éradiqué. La misère, l’exploitation,
l’oppression, la corruption, produisent
de la conflictualité sociale : la
lutte des classes. La mauvaise situation
économique, la croissance des inégalités,
le peu de liberté, les guerres, la
paupérisation, se généralisent au
niveau mondial. La défiance, l’hostilité,
le rejet, contre les dirigeants (élus
ou pas, partis, syndicats, castes) et les
divers systèmes politiques et économiques
deviennent massif. Les modes
opératoires de la contestation
renouent avec l’action et la démocratie
directe, l’assembléisme, l’auto-organisation.
Cette résistance populaire
autonome est nécessaire pour rompre
avec l’emprise de de l’idéologie dominante et l’élaboration d’une autre. Si, ici ou là, les gens en lutte
ne sont pas au stade révolutionnaire parce qu’ils croient aux
réformes, n’ont pas le rapport de force, ou simplement
demandent de petites améliorations, nous devons les soutenir.
Parce que, même confus ou instrumentalisés ou
détournés, les mots justice, démocratie, gênent les exploiteurs
et motivent les foules. Ces mots mènent la bataille des
idées et questionnent les idéologies. L’anarchosyndicalisme
possède un corpus non négligeable : égalité des droits,
démocratie directe, fédéralisme en réseau, socialisation des
entités économiques fondamentales, libertés individuelles
et collectives, lutte de classes, anti-capitalisme, communisme
libertaire, etc.

Caen le 12/02/2011. Jean Picard

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