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Analyse anarchosyndicaliste du fait nucléaire

Publié le 9 mai 2011

L’émotion collective suscitée par la catastrophe
nucléaire nippone obéit à un sentiment parfaitement
légitime d’insécurité face à ce mode de
production d’énergie. Constatons que l’État, par la
voix de son sinistre Besson, a tout fait pour se montrer
rassurant, rappelant ce nuage radioactif venant
d’Ukraine et déclinant poliment son identité à la
douane française en 1986 pour se voir interdire le
survol de l’espace aérien hexagonal.

Dans cette actualité dramatique (parmi d’autres), nous
souhaiterions ici analyser plus avant la question nucléaire,
d’un point de vue anarchiste. Pour cela - question de vocabulaire
nécessaire -, nous appellerons nucléarisme la pensée
favorable à la production d’énergie nucléaire, pour ensuite en
décliner les différents aspects.

I. Le nucléarisme est un étatisme

L’État-Nation, sous le prétexte (entre autres) d’indépendance
énergétique, a imposé cette solution de production
d’électricité dans les années 70. Il n’y a pas eu de débat
démocratique et la violence [1] de la Raison d’État a balayé les
révoltes nées de cet arbitraire. Cet arbitraire d’État concerne
deux nucléarismes : militaire et civil. Pour le
nucléaire militaire, l’inscription de la nation
France dans le champ de la « dissuasion »
témoigne de son agressivité foncière vis-à-vis des
autres nations, une attitude séculaire de militarisme
et d’impérialisme colonial que le simple
humanisme déplore, quant l’internationalisme
doit le combattre résolument. La république ne
fait ici que reprendre, en plus dangereux, la
théorie du « pré-carré » de Louis XIV, Vauban et Louvois.

À cette agressivité militaire répond l’outrance de
l’équipement civil, avec 58 réacteurs nucléaires produisant
plus des 3/4 de l’électricité en France (un taux unique en
Europe et dans le monde). L’État possède également la mainmise
sur le marché britannique (British Energy), 4 réacteurs
en Allemagne (EnBW), et 7 réacteurs en Belgique (Electrabel,
filiale de GDF) [2]. Nous pouvons donc parler ici d’un projet
étatique dépassant largement le cadre de l’autosuffisance
énergétique pour apparaître plutôt comme un instrument
d’extension de l’influence de l’État.

Deuxième appendice de l’étatisme, le Secret d’État, ou
Mensonge d’État, est à l’oeuvre en la matière : soi-disant
garant de la sûreté des dispositifs techniques, l’État ne considère
que le sentiment de sécurité ou d’insécurité (notions subjectives
aux « citoyens », et non objectives, liées aux faits et
risques, comme la sûreté [3]). Sa propagande créera donc de
l’insécurité dans la ruelle de banlieue et de la sécurité dans les
centrales nucléaires (La manipulation des sentiments et des
émotions est utilisée pour contrôler la population, vers les fins voulues par l’État). Le secret d’État couvre ses crimes :
contamination des ouvriers dans le désert algérien, accidents
répétés dans les centrales, assassinat du Rainbow Warrior...
Par ailleurs, la logique de la Raison d’État permet de s’acoquiner
avec les tyrans les plus sanguinaires (le Shah, Saddam
Hussein, l’Afrique du Sud au temps de l’Apartheid,
Kadhafi,...)

II. Le nucléarisme est un capitalisme

Avec notamment ces deux mastodontes que sont EDF et
AREVA [4], le nucléaire constitue un exemple important du
capitalisme, avec toutes les caractéristiques afférentes : utilisation
vorace et destructrice de biens publics gratuits tels que
l’eau et l’air, exposition des salariés à des conditions de travail
dangereuses [5], incapacité foncière à envisager les risques pour
la population ou les générations futures. Nous avons là un
résumé des tares du capitalisme.
Sur la question des biens publics, le nucléarisme a pour
caractéristique de ne pas payer les coûts réels de sa production
en profitant à outrance des biens publics et en amassant
une dette en termes de coûts de pollutions qu’il souhaite faire
payer aux générations futures. Ce transfert du coût donne l’illusion
aux générations présentes que cette technique de production
d’énergie
est valable
et moins
coûteuse.
Ceci repose
en fait sur
une imposture
comptable
 : les financiers
ne
confondent pas le principal et l’intérêt dans leurs comptes,
mais quand il s’agit de la nature, patrimoine commun dont
nous ne sommes que les usufruitiers, cette confusion scandaleuse
opère sans beaucoup de contestation.

Autre caractéristique du capitalisme : son absolue cécité
face à la nécessité éthique (celle qui ne rapporte jamais rien)
et à la corruption politique qui en découle. L’exploitation de
l’uranium par Areva à Arlit et Akouta au Niger a produit des
dommages écologiques considérables, et constitue par ailleurs
une caricature du post colonialisme de la France au Niger.
Au niveau de la théorie anarchosyndicaliste, on perçoit
bien ici la différence entre un syndicalisme révolutionnaire
qui considère le syndicat comme le centre décisionnel après la
Révolution, et l’anarchosyndicalisme qui prévoit la dissolution
du syndicat à ce moment : en effet, comment empêcher une
prise de pouvoir, si on laisse un groupe de personnes décider
seul des destinées d’un lieu aussi important qu’une centrale
nucléaire ?

III. Le nucléarisme est un scientisme

Nous appelons scientisme la confusion opérée entre le
progrès humain et le progrès technique, ou plus précisément
l’identification de ces deux progrès. Le scientisme a une conséquence
politique : ses tenants refusent que les scientifiques
répondent de leurs actes devant la communauté, au non de
l’expertise, qui ne pourrait obéir à l’ignorance.
L’aventure du nucléarisme en France répond parfaitement
à ce schéma, avec un lobby de scientifiques (CEA :
Commissariat à l’énergie atomique, EDF...) qui obtient l’oreille
de l’État et impose ses vues sans qu’une quelconque consultation
de la population ait lieu. Il faut donc ici rappeler qu’il
n’existe pas d’élite pouvant se permettre de confisquer le
débat politique, quelles que soient ses compétences (scientifiques,
militaires, oratoires...). La science permet le progrès
technique (ce n’est pas uniquement son objet), mais doit de ce
point de vue répondre démocratiquement de ses avancées [6]
devant l’assemblée générale.

Face à la catastrophe se pose la question d’un optimisme
forcené basé sur les possibilités de la technique. Celle-ci pourrait
en effet tout résoudre et garantir à la communauté des
hommes une énergie infinie et une sûreté face aux
phénomènes naturels. Cette croyance est en partie née d’un
autre tremblement de terre, celui de Lisbonne (1755), qui a vu
l’émergence de nouvelles disciplines scientifiques comme la
sismologie, laissant espérer que la prévision permettrait
d’éviter « le mal ». Le débat initial de Voltaire [7] et de Rousseau
à ce sujet n’est pas clos, mais nous pouvons considérer à juste
titre que la conjonction des catastrophes naturelle et nucléaire
balaye l’optimisme forcené de ceux qui croient que la technique
peut tout résoudre.

Le scientisme s’accompagne généralement d’un tel mépris
du bon sens qu’il nous permet cet aparté. Il repose en effet
sur un mythe du progrès technique que l’on pourrait qualifier
de prométhéen. Que penser en effet de cette catastrophe au
Japon, où l’on a construit des centrales nucléaires « sur un volcan
 ». « Le dragon s’est réveillé » aurait-on pu entendre dans
un conte traditionnel. Quel échec en tout cas de l’entendement
humain et de la raison, au non de la rationalité et de la
Science (en apparence...). La politique consiste donc aussi à
connaître les mythes agissants dans le monde, avec une sympathie
pour l’expérience des hommes du passé (les habitants
de Pompéi ne nous sont plus aussi lointains ces derniers
jours...).

IV. Le nucléarisme est un élément
particulièrement probant de la
nocivité du Contrat Social

Le Contrat social, ou pacte social est une théorie politique
qui considère que les individus, à un moment donné de leur
histoire, ont passé un pacte mutuel et transféré leur souveraineté
à l’État, afin de gagner plus de liberté, en tant que
groupe, qu’en tant qu’individus isolés face à la nature. Cette
théorie est née au XVIIIe siècle, avec Hugo Grotius, et
surtout Jean-Jacques Rousseau [8].

Cette théorie était en rupture avec les considérations traditionnelles
sur la monarchie, l’État de droit divin ; aussi estelle
souvent présentée comme une idée progressiste, ancrée
dans la philosophie des Lumières, présentée comme un bloc
positif dans les manuels. Cependant, Le contrat social est
plutôt à considérer comme une justification laïcisée de l’existence
de l’État et de la souveraineté nationale. S’ils sont en
rupture avec la monarchie absolue, les révolutionnaires de
1791 n’en sont pas moins des tenants de l’État central, détenteur
d’une souveraineté nationale transcendante par rapport
aux individus. Cette théorie est en rupture avec le libéralisme
politique, notamment hérité de John Locke.
Pourquoi évoquer ici cet aspect de l’histoire des idées politiques
 ? Tout simplement parce que l’obligation faite aux
générations futures de gérer les déchets nucléaires, la servitude
imposée à ces personnes non encore nées est l’expression
parfaite de l’arbitraire des décisions « démocratiques »
reposant sur le contrat social. Ces personnes à naître ne peuvent
être consultées, mais elles sont déjà liées, parce que les
générations antérieures considèrent qu’elles doivent se
soumettre aux décisions antérieures justifiées par la souveraineté
nationale, qui n’est d’aucun temps, comme l’État.

Nous ne pouvons que refuser ce « serf-arbitre », en reprenant
les arguments de Thomas Paine en 1791 :
« Il n’exista, n’existera et ne pourra jamais exister de parlement,
ou des hommes d’aucune sorte ou d’aucune génération,
dans aucun pays, possédant le droit ou le pouvoir de lier et de
dominer leur postérité jusqu’à la "fin des temps", ou celui de
commander à jamais comment le monde doit être gouverné, ou
qui doit le gouverner ; par conséquent, toutes les clauses, actes
et déclarations produites par leurs initiateurs pour essayer ce
qu’ils n’ont, ni le droit, ni le pouvoir de faire ou d’exécuter,
sont en elles-mêmes nulles et vides.
Chaque âge et génération doit être aussi libre d’agir pour
lui-même dans tous les cas que les générations qui l’ont précédé.
La vanité et la présomption de gouverner depuis la tombe est la
plus ridicule et la plus insolente de toutes les tyrannies.
L’homme n’à aucune propriété sur l’homme, pas plus qu’aucune
génération n’a de propriété sur celles qui suivent.
 » [9]

Dans les faits, nous constatons ici que, de manière caricaturale,
la théorie du Contrat Social, et l’État pseudo-démocratique
qui en dérive, n’est qu’une continuité « laïque » des États
de monarchie de droit divin. Ici le roi avait deux corps [10], l’un
physique et périssable, l’autre immortel, et au décès d’un roi,
le « mort saisissait le vif » (le successeur, avec l’expression
convenue, le « Roi est mort, Vive le Roi ! »), là un État crée un
phénomène physique polluant et dangereux qui saisit les
générations à venir d’une main de fer. Tyrannie insolente,
contradictoire avec ses principes démocratiques apparents,
mais ô combien cohérente avec l’essence-même de l’État et
de la souveraineté nationale qui a pour projet de perdurer à
jamais.

Conclusion : l’éthique doit être au
cœur du projet politique anarchiste !

L’anarchisme n’est pas un léninisme, qui asservit les
moyens aux fins : il doit subordonner l’action à la réflexion
éthique. De ce point de vue, il ne m’apparaît pas possible de
défendre un projet nucléariste, expression de la raison d’État,
capitaliste et scientiste, subordonnant les moyens d’actions
aux fins envisagées. Une assemblée générale ne peut envisager
de produire une électricité qui empêcherait de manière
irréversible les assemblées générales à venir de choisir elles-mêmes
leur propre destin. Et cela simplement parce qu’elle
n’en n’a pas le droit. Non pas le droit bourgeois, mais l’impératif
moral créé par le souci de ne pas imposer la souveraineté
des vivants à celle des hommes à naître. Aussi faut-il
certainement envisager une économie moins gourmande en
électricité, et cela est notre problème, qui est d’ailleurs plus
une question de sobriété que de survie.

Citons en guise de
conclusion un passage éclairant de Rudolf Rocker, critique de
Rousseau : « C’est un phénomène étrange que le même homme, qui prétendument
dédaignait la culture et prônait le retour à la nature, l’homme
pour qui la sensibilité rejetait le monument de la pensée intellectuelle des
encyclopédistes ; et dont les écrits éveillèrent chez ses contemporains un si
profond désir de retourner à une vie simple et naturelle, il est étrange que
ce même homme, en tant que théoricien de l’État, ait administré la
nature de bien pire façon que le plus cruel des despotes et mis tout en
place pour la réduire au diapason de la loi.
 » [11]
Il me semble que l’électricité nucléaire est un diapason
supplémentaire de l’activité humaine que nous devons
refuser.

SIA 32 CNT-AIT

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