Accueil > Luttes > Conditions de travail > RETRIBUTION AU MERITE

RETRIBUTION AU MERITE

Publié le 5 mars 2006

Afin d’encourager à la servitude les plus talentueux lécheurs de bottes, les mieux dotés des champions en arrivisme, il est de bon ton aujourd’hui -chez les justiciers d’élite sarkozyste qui peuplent les cercles bien pensants du Medef et de quelques syndicats, qui bien que dits de travailleurs, épousent la même "philosophie" d’arrière-boutique usuraire - de vanter les mérites... de la rétribution au mérite. Cette drogue idéologique n’est pas nouvelle.

Il y a longtemps qu’elle traîne dans le coffre à moisissures des plus nauséabondes morales religieuses. Elle est l’une des bases culturelles du dressage à la soumission.

Un vieil adage décrit la plus sûre, la plus économique, la meilleure technique de domination sociale : diviser pour régner. Voilà désignée la tâche principale que se doivent d’assurer les oligarchies qui aspirent à perdurer. C’est pourquoi inculquer l’esprit de compétition aux foules opprimées est l’objet de tant de soins. Dressant les individus les uns contre les autres, l’établissement de règles de compétition revient à mettre sur pied un état de guerre, à tout le moins larvée, dont le but n’est autre que celui de créer une situation anti-égalitaire, les vainqueurs étant récompensés par un droit d’entrée dans le cercle étroit des élites, ouvrant l’accession au prestige et aux diverses rentes pouvant s’y attacher. C’est ainsi qu’émergent les cadres de la longue chaîne hiérarchique qui permet de maintenir dans les fossés de la misère et des frustrations les foules dépossédées.

Le seul terme de rétribution porte déjà en lui un profond mépris du phénomène d’humanisation qui, sans les penchants de l’espèce à la coopération, n’aurait jamais pu se produire. Le salaire opère une amputation de l’individu. Il le détourne du plaisir direct à vivre le plaisir des jeux du travail libre pour lui substituer la médiation de l’argent-survie. Ce plaisir on peut le constater chez les jeunes enfants que la notion de récompense n’a pas encore éloignés du plaisir de faire. L’exploitation du travail, dont le salariat reste la forme historique la plus moderne, transforme le jeu créatif en corvée, chassant le plaisir pour faire place à la contrainte.

La rétribution au mérite, que les chantres du Darwinisme social présentent comme un outil de justice et de progrès, est un frein au développement de la conscience, un élément obscurantiste et donc régressif. En isolant l’individu de ses semblables pour lui attribuer tout le mérite de son savoir et de son action, le concept de rétribution au mérite nie ce que chacun doit aux autres, aux contemporains comme à ceux qui nous ont précédés. Le mensonge libéral est à l’œuvre, masquant les processus de constitution et de développement de l’humanité. Le langage, sans lequel nous serions encore dans l’animalité la plus totale, n’aurait absolument pas pu être le fruit de la concurrence. C’est de la coopération qu’il est issu, c’est dans l’échange qu’il a pu s’affiner. L’idéologie de la concurrence masque le jeu des relations dialectiques qui unissent l’individu humain et le corps social. Il y a réciprocité entre la force et la santé de l’individu et celles de la société. L’individu et le groupe sont réciproquement influencés, protégés. Sans un minimum d’entraide, aucun ensemble humain ne saurait subsister. C’est cette entraide, naturelle entre la plupart de ses membres, qui permet que reste debout une société constamment déchirée par l’agressivité que produit l’échange marchand, la seule loi objective des mouvements de valeurs du marché étant toujours de produire des gagnants d’un côté et des perdants de l’autre.

Les interactions sont si imbriquées les unes dans les autres, d’une génération à l’autre même, qu’il est aussi impossible d’établir une grille des mérites dans la production des biens que de fixer un prix juste pour des objets produits. On sait que l’activité économique est régie par les mouvements spéculatifs que détermine l’appât du gain. C’est une foutaise inventée par les nantis à l’usage des dépossédés que de prétendre y déceler la moindre once de justice.

Adoptées et défendues par les maquignons syndicaux, les grilles des salaires qui établissent un éventail très hiérarchisé des rémunérations sont un élément de division entre tous ceux qui triment quand ils ont un emploi ou qui galèrent quand ils n’en ont pas. Ces grilles reposent depuis leur origine sur les prétendus mérites de chaque catégorie de travailleurs. Cela donne à voir la profondeur de l’observation et l’ampleur des réformes envisagées par ceux qui tout-à-coup se mettent à prôner la rémunération au mérite. Cela donne à voir la même chose du côté de ceux qui ne s’insurgent contre le bâton-carotte que lorsqu’il est nommé comme tel, mais qui s’accommodent de la violence qu’ils doivent se faire chaque matin parce qu’ils espèrent se hisser de leurs petites pattes vers le haut de la grille. Il est chaque jour plus clair qu’il n’est dans ce monde d’avenir possible ni individuellement ni collectivement pour ceux qui pensent que sans dignité il n’est pas de vie humaine qui vaille.

Les jeunes incendiaires de voitures qui se sont manifestés ces derniers temps et se manifesteront tant que perdureront, avec le monde marchand, l’injustice et l’indignité, n’ont peut être pas raison de faire ce qu’ils font mais ils ont mille et une raisons de le faire. C’est la manière qu’ils ont trouvée pour l’instant de lancer un cri d’alarme aux humains. Il appartient à tous ceux qui condamnent ce monde de se mettre en mouvement. Si les religieux de toutes confessions ont le vent en poupe, c’est en grande partie parce que les révolutionnaires de conviction profonde ou se rêvant comme tels, donnent un peu trop et depuis trop longtemps dans le nombrilisme des chapelles au lieu de se mêler au monde pour y chercher les moyens de changer la vie.

Michel Garonne
Article du Bulletin d’information

Contact


Envoyer un message