De la contestation dans l’air...
Publié le 18 juillet 2011
Depuis plusieurs semaines, et suite aux soulèvements dans la région
arabe, des milliers de personnes occupent les principales places
d’Espagne jour et nuit, contestant à la fois une classe politique corrompue
et des conditions de vie toujours plus difficiles.
Ce mouvement populaire massif
n’est encadré par aucune organisation
politique ou syndicale. On
assiste à lutte spontanée, né d’un
ras-le-bol diffus, qui semble être
en mesure de se propager (en
Grèce, au Portugal,... en France ?).
Les médias font diversion, préférant
s’attarder sur le misérable
feuilleton pré-électoral, les faits
divers en tout genre, ou encore des
histoires de concombres malades...
Quelques éléments d’informations
et d’analyses sur le mouvement
en cours.
« Démocratie réelle » ?
Démocratie réelle fut le nom
donné au mouvement espagnol, et
repris ici également. Les différences,
parfois énormes, dans le
contenu de cette « revendication »
prouvent son ambiguïté. Si le foisonnement
de propositions
concrètes à ce sujet est la preuve
d’une certaine vigueur du débat, il
convient de différencier deux
grandes tendances.
D’un côté, certains critiquent
les partis principaux actuels, le système
représentatif dans sa forme
actuelle, et proposent donc des
revendications du genre « une nouvelle
constitution », des dirigeants
moins corrompus, moins injustes,
mais des dirigeants quand même.
D’autre part, un mouvement se
dégage, qui est lisible dans la
forme même de l’organisation de
la lutte. Celle-ci se construit hors
des partis politiques (voire contre
eux), du système parlementaire. Le
mouvement se structure sous la
forme d’Assemblées populaires,
ouvertes, quotidiennes. Ces assemblées
sont souveraines (elles décident
pour elles-mêmes, ne représentent
qu’elles-mêmes) et autonomes.
C’est une application de la
démocratie directe. Dans cette
conception, la « démocratie réelle »,
c’est celle qui est mise en place par
les personnes en lutte, qui disent
alors « la démocratie c’est nous ». Plus
de dirigeants, c’est le peuple qui
gouverne.
On constate, en Espagne et
ailleurs, que la forme assembléiste
surgit parfois de manière quasispontanée
en période de lutte,
comme forme naturelle d’organisation
contestataire démocratique.
Il est intéressant de voir la capacité
qu’ont les gens à prendre en
mains leurs affaires collectives, à faire preuve d’une extraordinaire intelligence,
lorsque le désir de liberté
resurgit, et se fait plus fort que la résignation.
Et cela malgré un système qui
quotidiennement institutionnalise la
passivité, la délégation, l’obéissance
aveugle et l’individualisme. Comme
quoi, rien n’est jamais joué... La démocratie
réelle, finalement, pourrait bien
être cette forme d’organisation politique
de la société, qui n’existe pour
l’instant qu’en tant que contestation
sporadique.
Parallèlement au mot d’ordre
« démocratie réelle », le contenu des
messages des révoltés concerne les
conditions de vie et des revendications
plus économiques. Chômage élevé,
précarité généralisée, difficultés d’accès
au logement, à la nourriture, aux soins.
La situation d’injustice est de plus en
plus criante, la bourgeoisie encaisse des
sommes considérables, et exige des
classes populaires qu’elles se serrent
toujours plus la ceinture ( plans d’austérité
en pagaille, stagnation voire baisse
des salaires, diminution des minima
sociaux, …). Les gens n’en peuvent
plus ; on a pu constater ces dernières
années une amplification du sentiment
de révolte au travers des diverses luttes
(en France : CPE/CNE, réforme des
retraites…) dont les revendications
officielles n’étaient qu’un prétexte pour
exprimer un ras-le-bol général.
Contestation politique et contestation économique : même combat !
L’existence parallèle de ces deux
« types » de revendications n’est pas
sans intérêt et cela prouve une certaine
lucidité des gens en lutte : le système
parlementaire et le système capitaliste
sont intimement liés, ils forment une
seule et même chose. L’illusion, longtemps
entretenue, qu’il suffisait de
voter pour un autre parti ou candidat
pour changer réellement la situation,
pour enfin vivre mieux, est en train de
s’effondrer ! Les politiciens, quels qu’ils
soient et quoi qu’ils disent, sont les défenseurs
de l’injustice sociale et de l’exploitation
capitaliste. En conséquence de quoi
les opprimés ne peuvent compter que sur
eux-mêmes pour améliorer leurs conditions
de vie, et pour transformer vraiment/
radicalement la société. Et ce, en
contestant à la fois l’exploitation économique
capitaliste et la domination politique
de l’État, les deux faces d’une même
médaille mortifère.
Aller plus loin ...
Si les mouvements actuels présentent
nombre d’aspects intéressants, il
est néanmoins essentiel d’en chercher
les limites, les contradictions éventuelles
; et ce dans l’unique but de les voir
se poursuivre avec toujours de lucidité,
pour plus d’efficacité.
La principale modalité d’action
consiste en l’occupation des principales
places des villes. Cela permet une
évidente visibilité, une réappropriation
politique de l’espace public, un lieu de
lutte permanent. On y discute, échange,
partage, mange, élabore, s‘y
réunit… Mais si le mouvement se restreint
à cette forme, des limites apparaîtront
rapidement. D’abord, sur la
durée, de telles occupations engendreront
vite l’accumulation de fatigue et
de lassitude pour les gens présents. Or
jouer l’épuisement est précisément une
des tactiques préférés du pouvoir, lorsqu’il
ne peut se permettre une répression
trop directe.
Ensuite, si la contestation se réduit
à n’exister que sur la place publique,
elle ne peut s’étendre au lieu fondamental
du système capitaliste : la sphère
de la production. Donc, on conteste
les conditions de vie, mais on ne se
donne pas les moyens d’attaquer à la
racine de l’existence de telles conditions.
La marchandisation du monde
est bel est bien présente dans les critiques,
mais ni les lieux de sa production
ni ceux de sa circulation ne sont
pris comme cibles. La machine capitaliste
est au centre des critiques, mais
elle continue bel et bien de tourner...
Et maintenant ?
Que ce soit en Espagne, en Grèce,
en Égypte, ou n’importe où, c’est bien
le même système capitaliste qui astreint
nos vies à n’être qu’au service de l’enrichissement
et du pouvoir de quelques
exploiteurs. On peut changer la nature
du régime, on n’éliminera pas l’exploitation
et la misère pour autant. Nous
n’avons rien à attendre d’une quelconque
élection, d’un changement de
constitution. Nous seuls avons le pouvoir
de changer les choses. Dès lors,
partout où nous pouvons, il nous faut
discuter, débattre, nous organiser en
vue de nous réapproprier nos vies, la
politique, la production. Pour ce faire,
débarrassons-nous des leaders,
pseudo-représentants, de tout ceux qui
utilisent notre révolte pour leur carrière
et leurs ambitions.
La démocratie, c’est nous !
Organisons partout où c’est possible
des Assemblées Populaires, sur nos
lieux de vie, de travail… Construisons
la résistance populaire autonome !
L’émancipation des travailleurs sera
l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes !
R, CNT-AIT Caen