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Du choix de la critique dépend le profit que l’on peut tirer de l’expérience

Publié le 14 mars 2012

Le collectif Smolny a organisé le 3 décembre dernier à Toulouse une soirée
sur « La révolution espagnole de 1936 ». Contrairement à ce que laissait entendre ce titre, nous n’avons eu droit qu’à une vision partielle des choses, puisque l’ensemble des interventions programmées n’a finalement concerné, pour l’essentiel, que les événements survenus à Barcelone.

Cette démarche est étonnante
quand on sait que le collectif Smolny
se réclame du marxisme, et donc d’une
conception matérialiste de l’histoire,
laquelle aurait dû impliquer une analyse
minimale du contexte général de
cette révolution, avec ses particularités
idéologiques, sociales et géographiques.
Elle est moins surprenante si
on constate qu’à la suite de François
Godicheau toute une école d’universitaires
français, qui se veut proche des
milieux libertaires, a systématiquement
réduit l’étude de la révolution espagnole
aux faits qui se sont déroulés dans la
capitale catalane [1]. Ce réductionnisme
induit une partialité qui serait bien
anecdotique, si cette tendance à faire
l’impasse sur les tenants et les aboutissants
de l’action des anarchosyndicalistes
catalans, ne vidait de toute sa substance
les enseignements que les militants
révolutionnaires d’aujourd’hui
pourraient tirer de cette période.

Pourtant… Dans le long film de
présentation projeté lors de cette soirée
(un film évoquant la vie de Munis ,
dirigeant du microscopique groupe
Bolchévique Léniniste espagnol, qui ne
comptait pas plus d‘une quinzaine
d’adhérents) , des vieux militants de la
gauche communiste signalaient à plusieurs
reprises un élément général
d’importance cruciale : entre 1917 et
1936, il y a eu un saut idéologique, en
ce sens qu’en 1917 les masses russes
réagissaient contre la guerre alors
qu’en 1936 le prolétariat espagnol agissait
pour la révolution sociale. Ce
constat explique la détermination criminelle
de la bourgeoisie espagnole,
qui se savait menacée par la montée
des luttes sociales en Espagne. C’est
cette peur qui a inspiré et fomenté un
soulèvement militaire dont l’objectif
était une guerre d’extermination d’ouvriers
et de paysans dont la conscience émancipatrice, forgée au travers de
décennies de luttes et de réflexions collectives,
s’élevait chaque jour.
Telle est aussi la thèse défendue par
l’historien britannique Paul Preston
(par ailleurs peu suspect de sympathies
anarchistes) : celui-ci rapporte, au
début d’un récent ouvrage qu’il n’a pas
hésité à intituler « L’holocauste espagnol »
l’épisode suivant qui illustre parfaitement
le caractère sans pitié de la réaction
factieuse : « Recevant la nouvelle du
soulèvement militaire au Maroc, en juillet
1936, un grand propriétaire terrien de la province
de Salamanque, si l’on en croit ses propres
dires, fit aligner ses journaliers et en sélectionna
six pour les faire aussitôt fusiller à
titre d’exemple... » [2].

Telles étaient les tragiques circonstances
dans lesquelles durent se mouvoir
les compagnons de la CNT-AIT.
L’organisation anarchosyndicaliste
incarnait alors, par son développement,
ce haut niveau idéologique du
prolétariat qui faisait trembler le pouvoir
et l’avait conduit à de si terribles
résolutions.

Comprendre les raisons pour lesquelles à un moment donné la classe dirigeante d’un pays décide purement et simplement le massacre
d’une partie de sa population, comprendre les moyens qu’elle se
donne pour y parvenir, aurait pu sembler de bon sens. Cela aurait
permis l’évocation de mécanismes d ’ a u t o d é f e n s e populaire que nous
savons à l’ordre du jour de l’actualité mondiale. Ces mois derniers, en Libye ou en Syrie, nous avons vu de tels faits se produire, et nous savons que demain, ils se reproduiront dans d’autres zones où des mouvements viendraient à menacer les pouvoirs en place.

Mais visiblement, cette compréhension
n’intéresse pas encore le milieu
marxiste et les conséquences la
remarque faite dans le film par leurs
camarades proches de Munis n’a pas
ébranlé le moins du monde les certitudes
toutes faites. Celles-ci sont revenues
au galop, sous la forme d’un
exposé lapidaire effectué par un de ces
nombreux « doctorants », mi chercheurs,
mi militants, dont le secret de
production appartient au gauchisme
hexagonal. C’est dans un tel exposé
que le public de la salle du Sénéchal a
pu entendre que la CNT a non seulement
permis la survie de l’Etat républicain,
mais qu’elle lui a fourni les cadres
de sa reconstruction. Cette énormité
est la conséquence de l’extrapolation
qui consiste, en partant de la situation
barcelonaise, à suggérer la conclusion -
pourtant parfaitement ridicule - que la
CNT était la seule force sociale, politique
et militaire de toute l’Espagne
républicaine !

En réalité, la guerre d’anéantissement
qui était menée par les militaires
factieux contre le peuple ne laissait
qu’une très faible marge de manœuvre.
Camillo Berneri, le 14 avril 1937 a ainsi
dessiné les termes de ce choix stratégique
 : « Le dilemme guerre ou révolution n’a plus de sens. Le seul dilemme est celui-ci : ou la victoire sur Franco grâce à la guerre révolutionnaire, ou la défaite. » [3].
Il résulte
de cette analyse que la principale
erreur commise fut de s’être laissé
entraîner dans une guerre classique,
sous le drapeau confus de l‘antifascisme.
Cependant, il resterait encore à
concrétiser ce qu’aurait pu être une
telle guerre révolutionnaire sur des
positions de lutte de classes. Il semble
d’ailleurs que ce soit sur cette piste
qu’ait voulu se lancer Augustin
Guillamon [4], troisième et dernier
conférencier de la soirée. Hélas, privé
de ce fil conducteur, son propos s’est
noyé dans l’incohérence qui le précédait,
tant on comprenait mal comment
dans cette même CNT, soi-disant
pilier de l’état républicain et donc de
l’armée républicaine , il aurait pu également
germer une armée révolutionnaire.

Par rapport à bien d’autres milieux,
celui que forment les anarchosyndicalistes
a au moins une caractéristique,
c’est qu’il est ouvert – et plutôt largement

  • à la critique et à l’autocritique.
    Mais il en va des critiques comme de
    l’ensemble des productions de la pensée.
    Il y en a des bonnes - même si
    elles peuvent être vives et douloureuse
  • car elles font avancer, il y en a des
    moins bonnes et des vraiment pas
    bonnes du tout parce qu’elles neutralisent
    la réflexion et empêchent de tirer
    des événements du passé les leçons
    qui pourraient être utiles dans le combat
    d’aujourd’hui. Les événements de
    1936 méritaient vraiment autre chose
    que cette soirée...

B.

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