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Wissam : Manipulation & autres traîtrises

Publié le 20 mai 2012

A la suite de la « bavure » sur Wissam El-Yamni par la police nationale le 31 décembre 2011 dans le quartier de la Gauthière à Clermont-Ferrand [1], un comité s’est spontanément créé à l’initiative de ses amis proches afin d’obtenir « Justice et Vérité » sur ce drame. Inexpérimenté mais lucide (« Pas de partis, pas de syndicats »), motivé («  On ne lâchera pas ») et dynamique (création d’un journal, d’un film, achat d’une caravane pour installer un « QG », impression de t-shirts et d’autocollants, banderoles...), ce comité organisa des actions fréquemment (au moins une fois par semaine), actions qui ont été très suivies (la deuxième marche a rassemblé près de 6 000 personnes), notamment par les habitants des quartiers populaires.

La technique avouée était de maintenir une pression populaire constante sur la justice, en particulier le procureur, et d’autre part, d’élargir géographiquement le mouvement. D’où l’idée d’acheter un bus ; de la même manière que la caravane (qui avait brûlé accidentellement). Cela aurait permis d’aller dans tous les quartiers clermontois («  Et pourquoi pas un tour de France  ?  » renchérissait B., trésorier du comité), afin d’informer, de sensibiliser et également d’inciter partout à la création de « Comités de vigilance » avant une nouvelle bavure.

Pendant 10 jours, la Gauthière a été en état de guerre ! En effet, ce quartier, dont on fait le tour en moins d’un quart d’heure à pied, était assiégé par 420 CRS et autres chiens de garde étatiques avec le bruit constant des palmes des hélicoptères de la gendarmerie, hélicoptères munis de caméras et de puissants projecteurs, plus pour éblouir les témoins filmant à leur fenêtre que pour repérer des émeutiers inexistants. De plus, les réseaux internet et téléphoniques étaient coupés (une peur des «  révolutionnaires arabes  »  ?). Test-exercice ou provocation du nouveau et très droitier préfet Lamy sur un quartier qui n’a jamais été connu pour son grand nombre de voitures brûlées  ? La municipalité socialo-écolo-trotskiste n’a pas aidé les amis de Wissan, pour rien au monde. Suite à la demande de prêt d’une salle au «  Pôle associatif l’Écluse  » afin d’y tenir ses réunions que lui fait le comité, la dite mairie décide... de fermer entièrement le lieu. A l’heure où nous écrivons, la salle n’a toujours pas été rouverte, ce qui coûte également aux salarié-es des associations qui se servaient du lieu... Motif invoqué : des employé-es municipaux auraient été menacé-es... Étant l’unique lieu associatif du quartier, il n’y a donc plus, depuis 4 mois, ni soutien scolaire, ni activité sportive et culturelle, ni permanences des associations de quartiers (dont certaines facilitaient les démarches administratives)... Les habitant-es se sentent complètement abandonné-es.

Bien évidemment, c’est sans compter le fait que la presse locale, fidèle à l’image de la presse nationale, n’est pas en reste, loin de là. Wissam y fut d’abord décrit comme un « drogué » («  La Montagne » du 10 janvier 2012, le lendemain de sa mort...), « information » démentie par la suite. Puis, cette même presse évoque une déformation osseuse au niveau des conduits auditifs qui aurait accéléré sa mort, analyse médicale dédouanant ainsi la responsabilité des policiers (« La Montagne » du 25 janvier 2012)... liste non exhaustive. Citons également Claude Guéant : «  Si l’intervention fut difficile, ce n’est pas le fait des policiers  » [2].

Malgré tout cela, le comité reste dynamique, motivé et plus que jamais lucide (on se souvient de ce projet d’occuper « La Montagne » pour exiger un traitement juste du meurtre de Wissam, pratique on ne peut plus anarchosyndicaliste)... jusqu’au 1er mars 2012. Ce jour-là, à 16 h, C. (secrétaire du comité, qui n’a jamais pu devenir une association légale, la préfecture ne l’ayant jamais enregistré...) m’appelle et insiste sur la réunion qui se tient dans moins de 3 heures (!), réunion regroupant toutes les organisations [3](!!). Le «  Ni partis, ni syndicats » ne serait-il plus de rigueur  ? Nous-même, l’Union Locale CNT-AIT 63, n’avons participé et aidé le comité qu’à titre individuel... Je me rends donc à la réunion. Le tour de table, habituel et rébarbatif de présentations de personnes, assos, partis qui n’ont, pour la plupart, jamais participé à ce combat, finit par Farid (frère de Wissam) et S. (proche de la famille mais aussi très proche du PS et éducateur spécialisé en lien avec le service pénitentiaire) qui ont une nouvelle très importante à nous communiquer. M. (président en titre), C. et B. décident donc de laisser l’honneur de commencer au frère du défunt. Coup de théâtre : celui-ci déclare que sa famille ne désire plus la présence de ces derniers dans le comité ! Il évoque des décisions prises à la hâte, des rumeurs, des on-dit qui saliraient la mémoire de son frère,... et S. renchérit en reprochant à M. d’être trop radical, trop « proche du NPA  » (?) et rappelle ses déboires juridiques antérieurs avec la mairie (celle-ci a pourtant perdu 4 fois contre lui...). La salle est bouche bée. Je suis moi-même scié devant cette décision injuste d’évincer ainsi les plus dévoués, qui sont également, au passage, initiateurs de ce comité. M., dépité, essaie de se défendre, s’excuse de certaines précipitations «  qui ne se renouvelleront plus  »... Mais il est interrompu par la déléguée de l’association France-Palestine qui lui reproche d’être « soûlant » et de «  ne pas parler convenablement ». Propos réfutés par une jeune du quartier, par moi-même puis d’autres : la salle finira par être coupée en deux. Celles et ceux qui parlent « le convenablement » (France-Palestine, Front de Gauche, Verts et autres associations citoyennistes) et les autres, nous, le peuple, qui ne parle pas convenablement, qui dans le contexte appelle un flic un assassin potentiel et le préfet le commanditaire. Devant l’impossibilité de continuer la réunion dans de telles conditions, celle-ci est ajournée à la semaine suivante.

Cette fois-ci, nous nous y rendons à quatre, certain-es que le moment est décisif. L’honneur est redonné à Farid d’ouvrir la réunion. Celui-ci réitère les mêmes reproches, s’énerve tout seul et furieux, quitte la salle, injuriant au passage certaines avec des propos sexistes... Nouveau coup de théâtre  : dix minutes plus tard surgit S. qui, étonnamment, ne participait pas à cette réunion-AG. Lui qui a toujours été présent, qui a toujours été si peiné, qui s’est tant dévoué (dit-il : « J’ai mis ma carrière en danger dans cette affaire »), mais surtout qui, dès le début insistait tant sur l’importance primordiale d’aller voter (brandissant sa carte électorale à chaque discours comme si sa vie - ou sa carrière - en dépendait), qui répétait qu’il faut absolument rester citoyen-nes et républicain-nes [4]... Il s’adresse donc à la salle, nous engueulant littéralement, nous rappelant que «  Cela fait deux fois qu’[il] récupère [5] le petit » (c’est-à-dire Farid, 24 ans...) en pleurs dans ses bras ». M., C. et B. démissionnent définitivement du comité, pliant devant l’argument implacable : « C’est le choix de la famille ».

La technique du dorénavant «  Collectif pour la Justice et la Vérité  » [6] est à l’opposé du comité «  putsché » [7] : il n’est plus question de parler de bavures (on parle désormais de « violences policières illégitimes » car, nous le savons bien, il y a une violence policière légitime...), la police est soudainement devenu un instrument républicain entaché par les mauvaises décisions d’une minorité en son sein, la justice fera son travail, et surtout, il faut absolument aller voter  ! Ses rares actions sont très symboliques, très peu suivies, et ne mobilisent plus du tout les quartiers populaires. A noter que les anciens du comité, mais néanmoins amis très proches du défunt, n’y participent même pas...

Restait alors à évincer les anarchistes. Ce fut fait à la dernière action à laquelle nous sommes allé-es. Après l’insistance de l’orateur sur l’absolue nécessité d’aller voter, après avoir réitéré que la police est républicaine [8], celui-ci déclare par deux fois dans notre direction (nous étions une dizaine) : « Dorénavant nous ne procéderons pas comme des anarchistes qui descendent dans la rue avec des couteaux entre les dents ». Heureusement, une compagne lui a pris le micro afin de rectifier cette définition faussée de l’anarchie, puis nous sommes parti-es.

Par contre, nous serons là, dans 2 ou 3 ans, quand les policiers seront «  blanchis  » ou écoperont d’une condamnation aussi symbolique que light par un éventuel procès, afin de rappeler à toutes et tous les responsables de cet échec : médias, justice, omerta policière, et surtout les politicards et leurs manigances [9]. Leur rappeler qu’avec la stratégie du comité première version, la lutte aurait certainement abouti à une condamnation, probablement minime vis-à-vis des faits, mais suffisamment crédible pour faire jurisprudence. Bien plus encore, l’élargissement du collectif aurait certainement imposé un débat public sur le rôle de la police.

Dernière info, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le corps de Wissam El-Yamni, subissant une contre-expertise, n’est toujours pas rendu à la famille, 5 mois après sa mort...

4 mai 2012, Le Dénouement Fatidique,

compagnon de l’UL CNT-AIT 63, avec l’aide de compagnes-ons

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