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FUKUSHIMA : UNE CATASTROPHE INFINIMENT DURABLE

Publié le 6 octobre 2013

C’était il y a un peu plus de deux ans, le 11 mars 2011. « L’Île du Bonheur » (Fukushima en Japonais) se transformait en univers cauchemardesque.

Après un séisme particulièrement violent suivi d’un raz-de-marée dévastateur, les réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima-Daini explosent les uns à la suite des autres, libérant dans l’atmosphère des nuages de vapeur et de particules radioactives atteignant, selon le Dr Tatsuhiko Komada (directeur du centre de traitement isotopique de l’université de Tokyo), 29,4 fois la quantité de radionucléides libérés à Hiroshima.

Aujourd’hui, les joyeux bricoleurs de TEPCO (Tokyo Electric Power Company) concèdent qu’il y a bien quelques fuites d’eau hautement radioactive. Des petits trous, encore des petits trous, toujours des petits trous. Selon les premières estimations, 300 m3 d’eau (c’est-à-dire 300 000 litres) s’échapperaient quotidiennement de la centrale. Depuis mai 2011 TEPCO a laissé filer en mer, entre autres particules radioactives, vingt mille milliards de becquerels de césium 137 (le rejet « autorisé » pour une année est de 220 milliards). Les quantités d’eau rejetées, leur haute teneur radioactive, leur toxicité disent assez que nous sommes face à une pollution nucléaire marine de très grande ampleur dont les conséquences sont irrémédiables, irréversibles.
Mais, comment la centrale passoire de Fukushima fonctionne-t-elle ? Dans un premier temps, TEPCO a stocké l’eau de mer utilisée pour refroidir les réacteurs en fusion dans des galeries souterraines, puis dans des tranchées creusées à cet effet sous les bâtiments : 94 500 m3 d’eau ont été ainsi injectés dans les sous-sols. « Excellente idée », n’est-il pas ? Bien évidemment, ces tranchées et galeries s’avèrent assez peu étanches. De plus, les eaux souterraines de ruissellement, qui descendent naturellement des hauteurs vers la mer, se mêlent aux eaux contaminées. Dans un second temps, TEPCO construisit des bassins de rétention en surface pour recueillir les eaux de refroidissement : on compte aujourd’hui plus de mille bassins, chacun de la taille d’une piscine olympique (port d’un maillot de bain intégral en plomb vivement conseillé !). La dimension même de l’installation, la longueur de tuyaux qu’elle implique, la corrosion qu’elle subit immanquablement, font que ce complexe ne peut évidemment pas être étanche. Chaque semaine, la mise en place d’une nouvelle cuve est nécessaire. Question : combien faudra-t-il de cuves de rétention dans les 20 ou 30 prochaines années (temps théoriquement nécessaire au refroidissement relatif d’un réacteur en fusion), 20 ou 30 000 ?

« Que d’eau, que d’eau » pourraient s’exclamer les experts de TEPCO comme le fit ce sinistre crétin de Mac-Mahon [1]. Dès lors, la solution magique de la « décontamination » s’est imposée à ces esprits surchauffés.

Le concept de « décontamination » est un des oxymores principaux de la propagande nucléariste. La croyance en cette décontamination est absolument indispensable pour reconquérir une opinion traumatisée. C’est évidemment une tragique plaisanterie : on se souvient des bulldozers russes enlevant, à Tchernobyl, des couches de terre contaminée, qu’ils enfouissaient quelques kilomètres plus loin, des sols lavés à grande eau, des forêts rasées et enterrées… Tout cela ne faisant que disséminer les contaminations. Car, enfouis ou pas, des déchets radioactifs restent radioactifs. Cependant la grande prêtrise internationale du nucléaire campe fièrement sur ses positions et soutient fanatiquement que l’on peut, qu’il faut, décontaminer.

A Fukushima-Daini, les sorcières AREVA et VEOLIA-WATER, le mage TOSHIBA (constructeur, avec HITACHI, de la centrale) se sont penchés sur le problème de l’eau. Mais, malgré force incantations, malgré les « abracadabra », malgré toutes les formules mises en œuvre, le mauvais sort n’a pas été levé et la station de décontamination des eaux n’a obtenu aucun résultat probant. Mais on peut anticiper l’arnaque à venir. D’ici quelques temps, on ne saura plus ou installer les fameuses cuves de rétention, et donc « filtrée » (par de la terre [2]) ou pas, on rejettera à la mer des eaux déclarées « propres »… surtout si l’on modifie les normes !

La bataille pour la « liquidation » (concept auquel tout le clergé nucléaire adhère) des accidents nucléaires doit être gagnée, non pas réellement, physiquement (ce qui est tout bonnement impossible), mais idéologiquement. Il s’agit de convaincre les opinions publiques que la pollution radioactive peut se combatte, qu’elle n’a rien d’irrémédiable, rien de définitif. La propagande nucléariste assène sans discontinuer et sans complexe son discours lénifiant.

Après nous avoir assuré pendant quelques décennies qu’un accident nucléaire « ça ne peut pas arriver » (voir la propagande d’EDF de l’époque), voici que les mêmes (ou leurs fils spirituels) nous assènent maintenant, avec la même arrogance, que les accidents nucléaires, bien qu’extrêmement fâcheux, se gèrent finalement comme tout « banal » accident industriel (pour autant qu’un accident « banalement » industriel puisse se gérer ; l’accident majeur d’AZF, pas si ancien que ça, étant là pour rappeler qu’en fait de gestion on a été plutôt dans une cascade de mesurettes prises au petit bonheur la chance). Bref, pour les nucléocrates, tout finit par rentrer dans l’ordre au bout d’un certain temps. Le tout étant de ne pas se poser de question sur ce «  certain temps », car il est de l’ordre de 300 000 ans puisque c’est la durée de vie du césium 137, un des radios éléments lâchés dans la nature.

Voici un petit exemple de cette criminelle propagande. Ce mardi 10 septembre 2013, un expert du C.E.A., interrogé par un journaliste de France Culture n’éprouvait apparemment aucune honte à soutenir que la mer diluerait toute cette radioactivité sans problème étant donné son immensité. Il n’y a pas que la mer qui soit immense, la sottise diplômée aussi.

Ce crédo de la dilution entonné à pleine voix par un nucléocrate reste bien dans la ligne générale suivie par toute la secte : il faut à tout prix diluer la catastrophe, la maquiller, la camoufler.

Le très gros avantage de la pollution nucléaire, c’est qu’elle tue assez peu de monde sur le coup (mais énormément plus au bout d’un certain temps). Cet «  effet retard », cette non-immédiateté de la dangerosité nucléaire permet aux propagandistes étatico-nucléaristes de minimiser l’ampleur des dégâts, de réduire les proportions du désastre, de la confiner dans un sarcophage de mensonges.

Bien sûr, dans la bataille pour « l’éradication » de la catastrophe, pour sa «  liquidation », il y a, comme dans toute bataille, d’un côté les stratèges planqués à l’arrière comme d’habitude et de l’autre côté le menu fretin, la piétaille qui monte en première ligne à l’abattoir.

A Tchernobyl, la bureaucratie soviétique avait mobilisé (sacrifié) plus de 800 000 « liquidateurs » pour remporter la « victoire sur la catastrophe ». Combien sont morts dans les mois, les années qui ont suivi ? Aucun décompte n’a été entrepris. Bien évidemment.

A Fukushima-Daini, la bataille anti-catastrophe tient plus de l’opération de maintenance « à la libérale » que de la «  mobilisation patriotique » d’un peuple. Depuis plus de deux ans, près de 12 000 liquidateurs ont été engagés pour tenter de refroidir le cœur des réacteurs en fusion. Dès les premiers jours, les recruteurs (tels les sergents-recruteurs de l’ancien régime) embauchent en priorité des SDF des grandes villes et des Burakumins, groupe social discriminé à la façon de la caste des intouchables indiens, affectés à toutes les tâches liées à la mort, au sang et à l’impureté. Ce sous-prolétariat totalement marginalisé dans la société japonaise présente, pour les exploiteurs, l’avantage énorme de ne pas être vraiment recensé. Si – par le plus malencontreux des hasards bien sûr – un certain nombre d’entre eux viennent à être tués par la radioactivité, leur disparition passera inaperçue : ils sauteront directement de la case « morts socialement » à la case « morts pour de bon », tout simplement.

Ce sont donc ces parias, sous-payés, sous-équipés, que l’on envoie en première ligne avec des bottes de caoutchouc et des lances d’arrosage, essayer de refroidir les réacteurs en fusion et se battre contre cette chose effrayante qu’est le corium, c’est-à-dire le magma résultant de la fusion du réacteur. Extrêmement radioactif, extrêmement dense, extrêmement volumineux (Three Mile Island : 20 tonnes ; Tchernobyl 50 à 80 tonnes ; Fukushima : 257 tonnes), extrêmement chaud (2 500 à 3 000 degrés, alors que la lave d’un volcan n’atteint que 700 à 1 200 degrés), ce corium, une fois constitué, s’enfonce lentement mais inexorablement dans le sol, polluant tout sur son passage y compris les eaux souterraines et les nappes phréatiques.

Ce sont ces travailleurs qui vont devoir construire un gigantesque mur d’acier de 22 mètres de profondeur et d’un kilomètre et demi de long pour tenter de contenir les fuites d’eau contaminée vers l’océan. Toujours très inventif, l’état-major de TEPCO qui anticipe déjà que ce mur pourrait être contourné par les eaux souterraines, envisage de geler artificiellement les sols en y injectant on ne sait quel cocktail chimique.

3 000 travailleurs, précaires pour la plupart, sont présents sur le site quotidiennement. Ils mettent en œuvre, au péril de leur vie, les idées supposées astucieuses de l’état-major. Combien d’entre eux, parmi les 18 000 qui y ont travaillé sont déjà morts, combien ont contracté un cancer ? Combien vont en développer un ? Il n’y a personne pour le dire. Pourtant, si la radioactivité tue en quelques heures ceux qui sont exposés à de très fortes doses, elle assassine insidieusement, en quelques mois ou quelques années (4 ou 5 ans pour un cancer de la thyroïde) ceux qui ont subi de faibles expositions.

La population de Fukushima et des régions avoisinantes, moins directement exposée que les « liquidateurs », vit elle-même dans un environnement très largement contaminé depuis les premiers rejets de l’atmosphère en mars 2011. Fort opportunément la dose de radioactivité réglementairement autorisée a fait un bond, passant de 20 à 250 millisieverts (mSv). Rien sur le plan scientifique ne permet cette extension : les doses dangereuses en 2010 (supérieures à 20 mSv) le sont tout autant en 2013 ! Mais ce tour de passe-passe bureaucratique, pour criminel qu’il soit, permet aux autorités de garder (momentanément) la tête haute et de ne pas évacuer les centaines de milliers de personnes (voire les millions) qui sont exposées. Reculant devant cette impossible évacuation, les autorités jouent la carte de la banalisation au mépris de la santé de toute une population. Elles n’hésitent pas à masquer la démesure de la catastrophe, son infinie dangerosité, en lançant quelques mesures individuelles, partant du principe que l’on a moins peur de ce que l’on peut mesurer. Aussi ont-elles distribué à chacun un dosimètre (appareil qui ne fait que quantifier globalement les radiations reçues), le rendant, par un tour de passe-passe crapuleux, seul responsable de sa santé, puisque, s’il tombe malade un jour, ce sera parce qu’il n’aura pas bien respecté les processus de mesure, aussi innombrables qu’inutiles dans la situation.

La gestion de Fukushima – comme celle de bien des accidents industriels – s’est faite en trois phases. Après le déni (« Il n’y a pas de catastrophe ») puis le cri de victoire (« Nous avons résolu le problème de la centrale ») voici la phase de la banalisation : « Bien oui, il reste quelques nuisances, mais on peut vivre avec, il suffit de faire attention ».

Au Japon, en Ukraine et partout dans le monde, l’Etat et ses prêtres nucléaristes n’hésite pas à sacrifier la vie de millions d’êtres humains (et aussi, massivement, d’animaux marins ou terrestres) sur l’autel d’une pseudo-modernité criminelle. Leur folie condamne les générations futures à vivre sur une planète irrémédiablement polluée.

Garga

Sources : site l’ACROnique de Fukushima, le Blog de Fukushima, divers articles de presse (Libé). « Oublier Fukushima » d’Arkadi Filine, Editions du Bout de la ville.

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