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SUR LA QUESTION DE L’IMMIGRATION

Publié le 11 janvier 2014

1. Nous avons assisté récemment à plusieurs luttes de sans-papiers en France. Ces luttes sont des moyens de faire pression sur l’État pour obtenir papiers et logements pour ces personnes en difficulté. Il est évident que l’on ne peut rester insensible à la situation de ces familles se retrouvant à la rue sans logement. Certaines associations font un travail juridique quotidien utile pour les revendications des sans-papiers ; cependant, le relais est parfois pris par certaines organisations politiques qui se sont investies spécifiquement sur ces luttes. Nous ne remettons pas en cause les motivations humanitaires de certains militants mais nous nous interrogeons sur l’investissement spécifique de certaines organisations politiques sur ce type de luttes (et pas sur d’autres).

Nous sommes sceptiques sur ces luttes menées de façon sectorielle : en séparant les problématiques les unes des autres, elles créent des clivages et opposent des personnes qui auraient intérêt à développer des solidarités (demandeurs de logement en général, travailleurs précaires avec ou sans papiers, ...). D’autre part, la médiatisation recherchée par ces organisations peut être intéressante pour la lutte mais peut aussi leur échapper et contribuer à une stigmatisation des immigrés (cas des Roms). Nous constatons quotidiennement que les idées d’extrême-droite progressent dans un contexte de division. Enfin, nous nous interrogeons sur les motivations de certaines organisations, qui par intervalles de quelques mois, s’investissent sur une lutte puis une autre ; peut être en espérant y voir l’étincelle d’un mouvement social d’ampleur.

Or les motivations de ces militants politiques ne sont peut être pas les mêmes que celles des sans-papiers, d’où l’intérêt de bien comprendre les phénomènes de migration et de les recontextualiser dans le cadre du capitalisme/impérialisme mondial.

2. Plusieurs facteurs peuvent expliquer les phénomènes migratoires, comme la tradition historique d’émigration vers les pays occidentaux (par exemple : des vestiges de relations coloniales), le rôle dans l’équilibre démographique de ces pays,... Mais surtout, l’immigration en général est sous-tendue par les inégalités de développement économique. Nous sommes évidemment partisans de l’abolition des frontières (en référence à la géographie libertaire de Reclus par exemple), mais défendre la liberté de circulation sans remettre explicitement en cause le capitalisme mondialisé revient à servir les intérêts des capitalistes eux-mêmes. En effet, cela leur permet d’exploiter de la main d’œuvre bon marché et ayant peu de moyens de faire valoir ses droits. De plus, peut-on encore parler de liberté de circulation quand le seul moyen d’échapper à la misère est l’émigration, quel que soit son prix ?
Nous constatons que l’immigration est principalement déterminée par les besoins des économies occidentales et le niveau de développement des pays les plus pauvres, et que c’est sur ce fait que se construisent les motivations des migrants, même s’il y a différentes motivations d’émigration (par exemple des motivations politiques ou culturelles - idéal du pays des Droits de l’homme,...). Mais la motivation d’ordre économique est primordiale et constamment exprimée par les migrants : « fuir la misère », « rechercher un avenir meilleur »,... Pour certains, cette motivation peut prendre la forme de divers objectifs, par exemple monter une entreprise dans une dynamique de profit, quelles qu’en soient les méthodes. Ainsi, des personnes opprimées peuvent aussi se retrouver en situation de devenir oppresseurs. Cependant, il nous apparaît nécessaire de défendre une égalité de droit pour tous (des papiers pour tous ou pour personne) ; mais il nous paraît aussi essentiel de défendre nos valeurs de liberté et d’égalité.
Du fait de la multiplicité des motivations des différents acteurs de ces luttes, la légitimité des revendications collectives peut être remise en cause ; en effet, quel est le poids des uns et des autres au sein des assemblées générales ? Jusqu’où peut se créer une unité de lutte ? Dans quelle mesure la barrière de la langue est-elle un obstacle, aussi bien pour la compréhension que pour l’élaboration des revendications ?

3.Nous ne le répéterons jamais assez, ces contradictions sont inhérentes à toute lutte menée dans le cadre du système étatico-capitaliste. Nous estimons cependant qu’elles doivent être menées, mais qu’il est fondamental de ne pas nier ces contradictions, et au contraire d’être lucide afin d’avancer dans la bonne direction. Ainsi, lutter aux cotés des personnes sans-papiers et sans logement ne peut avoir de sens qu’en reliant cette problématique au contexte socio-économique global et en liant de la même façon la situation des plus précaires parmi les précaires à celle du reste de la population exploitée, précaire également ; à défaut de quoi nous voyons une division dangereuse s’installer rapidement entre les catégories de la population. Une telle division fait le jeu des exploiteurs, qui jouent sur la concurrence entre travailleurs pour mieux les exploiter. Il convient ainsi de rappeler que les travailleurs en situation régulière ont tout intérêt à une égalité de situation avec leurs collègues sans-papiers, car une telle égalité est la condition d’un rapport de force plus favorable face aux exploiteurs de toute sorte. A l’inverse l’absence d’une réflexion de fond conduit à des approches corporatistes (ne défendre que son intérêt particulier ou à court terme). En effet dans un contexte de mise en concurrence des salariés, nous voyons en Europe l’utilisation de salariés migrants intra communautaires embauchés à des conditions inférieures à celles des autres salariés, soit qu’intérimaires ils sont embauchés sur la base du pays d’origine, soit qu’ils concèdent, pour êtres employables, des conditions salariales inférieures.

Un projet Européen entend d’ailleurs faire des flux de salariés intra communautaire - dans la logique du capitalisme - une arme massive de mise en concurrence (une nouvelle « armée de réserve »). Les salariés migrants seraient sous la condition salariale du pays d’origine et non pas du pays de l’activité. Le résultat risque d être une division entre salariés autochtones et salariés intra communautaire, salariés immigrés sous statut du pays d’accueil et salaries immigrés embauchés sous statut inférieur. Ce qui fait qu’avec ou sans papiers, la concurrence sera féroce si le corporatisme n’est pas jugulé. Une autre question ne peut être éludée. Quant le chômage est massif l’apport de force de travail externe a plusieurs incidences : le maintien dans le chômage de la population antérieure, une montée de la perte d’emploi chez les salariés à ancien statut ; remplacés par une main d’œuvre plus productive et moins coûteuse… Que dire aussi quand la demande de papiers pour tous englobe également ceux qui entendent, en bons capitalistes, faire du fric. Ce qui consiste à défendre ceux que nous combattons

C’est pourquoi, de fait, ceux qui s’inscrivent dans ces luttes de manière segmentée participent de l’échec de ces luttes, et renforcent l’adversaire.
Ce qui se passe en Bretagne, bien que la réalité soit plus complexe et contradictoire que les affirmations de certains journalistes, démontre que des salariés en passe de devenir chômeurs sont utilisés par des patrons et des nationalistes. Le FN, à ce petit jeu des illusions, risque pour un temps de se renforcer. Demander, comme le font certains la régularisation de tous les sans-papiers et l’accès libre de tous dans les pays d’Europe les plus développés, si elle permet à quelques organisations de se créer une petite base mobilisable, risque de provoquer une réaction massive et négative vis-à-vis de l’immigration, exacerbée par des « conflits culturels ».
La demande de régularisation et libre circulation, par certains cotés, rejoint l’option libérale de libre circulation des marchandises - car pour le capitalisme, le salarié est avant tout une marchandise (la force de travail). Il faut donc poser quelques questions pour voir la situation sous un angle différent, qui permette de dépasser les contradictions et clivages de slogans trop réducteurs ou illusoires voire dangereux. Car d’un côté, des patrons veulent des papiers pour une main d’œuvre bon marché, les riches pour des emplois de service bon marché. De l’autre, des salariés veulent conserver leurs emplois et leurs conditions salariales et sont hostiles aux régularisations. La position de ces salariés n’a rien à voir avec du racisme qui est une toute autre problématique. Il s’agit de protectionnisme, qui est selon nous une autre illusion. Curieusement d’ailleurs, ceux qui soutiennent la libre circulation de la main d œuvre immigrée sont les mêmes qui défendent le protectionnisme économique, voire ont si peu d’entrain pour défendre les chômeurs ou précaires…

Restent posées les questions : comment éviter la division, la mise en concurrence. Comment faire pour créer un front anticapitaliste massif. Si aucune réponse n’est apportée à ces questions, chaque mobilisation corporatiste ou spécifique alimentera la division.

Des adhérents de la
CNT-Caen le 18-11-12013

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