Accueil > Société > Nationalisme / Identité / Religion > LA SCIENCE VOILÉE, LA SCIENCE CRUCIFIÉE

LA SCIENCE VOILÉE, LA SCIENCE CRUCIFIÉE

Publié le 15 février 2014

La science voilée dénonce les manœuvres anti-scientifiques des lobbys islamistes. Le titre est parlant. Il est, à notre sens incomplet. Aussi y ajoutons-nous un complément indispensable : « La science crucifiée ». Une bonne part de l’ouvrage – et c’est tout à fait légitime - est consacrée en effet au massacre par les intégristes chrétiens de cette même science. Si les uns voilent la science pour tenter de l’occulter, d’au-tres la crucifient avec le même rage destructrice. Il est bon de le rappeler. C’est d’ailleurs par des pages consacrées à la réaction chrétienne aux découvertes astronomiques majeures qui ont illuminé le XVIe siècle que s’ouvre l’ouvrage.

Quand Copernic (1473/1543) démontre une fois pour toutes que, contrairement aux croyances bibliques, c’est la terre qui tourne autour du soleil et non l’inverse, les réactions ne se font pas attendre. Il n’a pas encore publié son ouvrage majeur que les théologiens protestants fulminent leurs premières condamnations. Luther himself s’élève con-tre « ... le fou qui veut renverser tout l’art de l’astronomie ». Les catholiques, un instant distanciés dans ce concours d’intolérance et de stupidité (simple faute d’inattention de leur part   : ils n’ont pas pris la peine de lire les premiers travaux coperniciens) se rattrapent rapidement et passent aux actes. En l’an de grâce 1600, le copernicien Giordano Bruno, coupable tout simplement d’avoir eu raison, est brûlé vif, à Rome, sur la place publique, par la Sainte église catholique et romaine, en toute charité chrétienne. Il ne fut, hélas, ni le seul ni le dernier à subir cette monstrueuse torture.

Galilée, autre immense savant de la même époque, échappe au bûcher au prix d’un reniement de façade. C’est que l’Eglise catholique se cramponne à son prétendu savoir. Le 24 février 1616, le Saint-Office (l’instance de l’Eglise chargée de dire ce que les croyants sont obligés de croire) affirme sans rire  : « La première proposition, à savoir que le Soleil est le centre, et ne tourne pas autour de la terre est ridicule, absurde, fausse en théologie, et hérétique, parce qu’expressément contraire à l’Ecriture Sainte ». Galilée est condamné. L’Eglise ne reconnaîtra quelques erreurs à son encontre que... trois siècles et demi après sa mort. Prompte à condamner et à tuer, l’Eglise est toujours bien lente à reconnaître ses égarements (et souvent, seulement à moitié).

Professeur de physique à l’Université de Tunis, Faouzia Charfi consacre une bonne moitié de l’ouvrage aux rapports de la religion et de la physique. L’autre moitié est consacrée aux sciences du vivant et, en particulier, à l’évolution des espèces. Sur ce point remarquons que, si le progrès des sciences physiques a été et reste insupportables aux thuriféraires des diverses « saintes écritures » (car contraires à leur «  enseignement »), leurs retombées, au quotidien, démontrent leur véracité (et, par contrecoup, la stupidité des affirmations théologiques). Les protestants les plus obtus peuvent bien continuer à croire que la terre est plate (ils sont quelques milliers comme cela aux USA), les avions leur infligent un démenti à chaque vol. Les étudiants islamistes radicaux de Faouzia Charfi peuvent prétendre que la théorie de la relativité restreinte d’Einstein ou encore la mécanique quantique sont fausses car contraires aux « enseignements » de l’Islam, ils utilisent le GPS (qui repose sur ces théories scientifiques), comme de parfaits athées. Du coup, les intégristes de tout poil deviennent prudents dans leurs attaques contre les sciences physiques. Du moins, ils ne les attaquent pas de front préférant, comme nous en donnerons un exemple plus loin, les engluer dans le charabia d’une tentative de récupération biaisée.

Malheureusement pour elles, les sciences du vivant ne donnent pas lieu à des applications aussi pratiques que la physique. C’est donc contre elles que porte l’essentiel de la charge des intégristes. Charge d’autant plus aisée que ces sciences sont complexes, souvent très techniques, difficiles à appréhender sans une étude sérieuse. Ce à quoi on peut ajouter qu’elles sont encore incomplètes et certainement grossières ou erronées en certains endroits. Rien d’étonnant à cela : c’est le mouvement même de la science de s’auto-corriger, d’évoluer, de modifier ses théories en fonction des nouveaux acquis, bref, de progresser dans la connaissance du monde.

Que les sciences du vivant soient perfectibles est une chose  ; qu’on veuille les remplacer par des théories totalement fausses en est une autre. C’est pourtant ce que tentent de faire, plus ou moins habilement, les fanatiques des différentes confessions.

  L’ÉVOLUTION, BÊTE NOIRE DES INTÉGRISTES

Les moins fins n’hésitent pas à se lancer dans une opposition frontale. Ce sont les créationnistes. Pour eux, le monde a été créé tel quel, d’un bloc. C’est pourquoi, une des notions scientifiques qui les insupporte le plus est celle d’évolution [1]. C’est la bête noire de l’Institute for Creation Research (ICR), richissime institution US. Pour cet institut  : « La Bible est la transcription de la parole de Dieu (…) toutes les assertions qu’elle contient dans tous les textes originaux sont scientifiquement et historiquement exactes  ».Pour ces ultra-orthodoxes, le monde a été créé en 6 jours, et pas une minute de plus. Il n’a que 6 000 ans. Adam et Eve sont des personnages historiques, et tous les animaux actuels ainsi que les humains descendent des couples de rescapés recueillis par l’arche de Noé. A titre de plaisanterie, on comprend que les tenants de cette théorie soient intellectuellement un peu limités s’ils descendent effectivement d’un seul couple  : forcément, avec une telle consanguinité… sans compter l’inévitable inceste.

Côté musulmans, plusieurs courants sont sur la même ligne créationniste. Les asharites par exemple, pour lesquels « Pas une feuille, pas une graine ne tombe […] sans que Dieu ne le sache à l’avance […]  » ou la fondation turque Bilim ve Arastirma Vakfi (BAV) («  Fondation pour la recherche et la science  »). Pas plus que chez les intégristes chrétiens, les moyens financiers ne manquent à ce courant, ce qui lui permet de développer une forte activité (conférences, DVD, sites internet, ouvrages de propagande, tel l’Atlas de la création - 772 pages, 5 kg, envoyé gratuitement à de multiples collèges, lycées, bibliothèques de divers pays européens). Il est vrai que, de tout temps, les puissants n’ont pas hésité à «  arroser  » généreusement ceux qui endorment le peuple. Mais, malgré les millions de dollars (et de pétrodollars) dépensés pour soutenir le créationnisme, le caractère simplet de l’argument finit toujours par transparaître. Il se résume à une seule affirmation  : « la Bible (ou le Coran) dit que … Il ne peut donc en être autrement », le tout à l’appui de la lecture la plus littérale possible du texte. C’est l’argument dit «  d’autorité  ». Celui que le pape Paul V employa con-tre Galilée. C’est «  Le fameux "Aristoteles dixit" – Aristote l’a dit – qui interrompait les débats au Moyen-âge.  » [2] C’est typiquement le genre d’argument qui ne vaut rien dans quelque débat scientifique que ce soit.

Une opposition aussi butée à la science montre rapidement ses limites. C’est pourquoi des théologiens plus malins ont développé une attaque « de biais », qui s’apparente souvent à une tentative de récupération.

  TRAVAIL D’IMAGINATION

Pour les islamistes qui sont dans cette posture, le postulat est sensiblement le même que celui des créationnistes (le Coran contient toute la science) mais ils l’exploitent différemment. Pour eux, le sous-entendu est qu’il suffit de connaître le Coran et rien d’autre pour tout savoir. Inutile d’approfondir les sciences donc. La preuve qu’ils en donnent, c’est que chaque nouvelle découverte scientifique est «  annoncée  » dans le Coran. Si cette affirmation est aisée à avancer, ses démonstrations sont plus que tirées par les cheveux. En voici un exemple pris dans le domaine de l’astronomie. Les versets coraniques 15 :14-15 stipulent « Si nous ouvrons pour eux une porte du ciel et qu’ils continuent par elle à y monter, ils diraient : "Nos regards ne sont que troublés ou plutôt nous sommes des gens ensorcelés" ». Ces propos, qui ne sont pas beaucoup plus clair que les célèbres « prédictions de Nostradamus », se prêtent, comme ces dernières, aux interprétations les plus variées. Mais, pour des islamistes de choc, ces versets prouvent que tout est d’avance dans le Coran, puisqu’ils annoncent… la conquête spatiale. Ceci dit, avant qu’ils fassent décoller une navette spatiale en la construisant exclusivement selon les préceptes coraniques…
Pour en revenir à la biologie, quand un islamiste de la même espèce lit « le verset 2 de la première sourate révélée qui contient l’injonction inaugurale faite au prophète dans la grotte de Hirâ (96 :1-2) " Lis ! Au nom de ton Seigneur qui créa, Créa l’homme d’un accrochement*3" » il s’émerveille car il y décrypte un autre miracle coranique : « l’accrochement » ne pouvant être pour lui que « La fixation de l’œuf dans l’utérus… ».
S’ils font preuve d’une imagination abracadabrantesque quand il s’agit de soutenir leurs théories, les théologiens savent qu’ils doivent limiter l’imagination des croyants sous peine de dérives. Aussi ont-ils créé en 1983 la Commission internationale du miracle scientifique du Coran et de la Sunna, suite à une résolution du Conseil supérieur international des mosquées. Les commentaires « scientifiques » dit la Commission doivent être en accord « ... avec l’ensemble des versets coraniques, puis en accord avec la Sunna authentique, ensuite en accord avec les avis de nos pieux prédécesseurs ». Difficile d’imposer une démarche plus anti-scientifique !
Tout, donc, serait dans le Coran. Mais alors, comment se fait-il que jamais, au grand jamais, les exégètes de cet ouvrage ne puissent annoncer à l’avance quelque découverte que ce soit (ni celle de l’Amérique, ni celle du téléphone, pas même celle des mouchoirs jetables) et qu’ils en soient réduits à faire coller comme ils peuvent (et souvent de façon fort drôle) des morceaux de versets avec les avancées scientifiques au fur et à mesure  ?

LES STUPIDITES DU DESSEIN INTELLIGENT
Côté chrétiens, un mouvement de la même eau a fait surface à partir des années 1990. Il s’intitule en toute modestie « intelligent design », en français, le « dessein intelligent ». Le postulat est bien simplet lui aussi  : ce monde magnifique a été créé par un super-héro qui nous conduit inexorablement vers le mieux. C’est ce super-héro qui a un dessein et ce dessein ne peut-être qu’intelligent*4. Pour ces chrétiens, «  Les êtres vivants sont trop complexes pour être le fruit du hasard ». C’est ce qu’ils appellent la « complexité irréductible  » et c’est sur elle qu’ils fondent toute leur théorie. Leur exemple préféré est celui du flagelle de « la » bactérie. Pour eux, le flagelle, organe hyper-complexe n’a pu se créer au fil de l’évolution. Il a été en quelque sorte livré d’une pièce à la bactérie par le super-héro afin de lui permettre de se mouvoir. Bien aimable à lui.
Malheureusement pour eux, il n’y a pas « la » bactérie, mais « des » bactéries. Leurs flagelles, loin de comprendre systématiquement tous les perfectionnements du « dernier modèle » vont du plus simple au plus complexe. Des bactéries poussent même le mauvais goût jusqu’à ne pas en avoir du tout, et, parmi elles, certaines ont dans leur paroi les précurseur du dit flagelle. Bref, on peut reconstituer toute une chaîne allant de l’absence de flagelle au flagelle le plus perfectionné, en passant par quantité de formes intermédiaires. L’argument créationniste s’écroule sous le poids des connaissances, si bien que la fameuse « complexité » n’est «  irréductible » que pour ceux qui à force de ressasser la Bible, se privent de toute possibilité de compréhension !
Le postulat du supposé dessein intelligent n’a même pas le bénéfice de l’originalité  : c’est celui ; éculé, du «  Grand horloger » de Voltaire. A l’époque, le flagelle étant inconnu, on faisait avec ce qu’on connaissait. Une horloge étant alors le fin du fin de la technologie, c’est à un grand horloger qu’on assimilait le super-héro.
Il y a cependant une grande nouveauté dans l’approche des partisans de l’«  Intelligent dessein  » comme dans celle des suppôts du «  Miracle coranique  », c’est qu’ils ont troqué les somptueux habits de théologiens contre la blouse blanche des scientifiques. C’est comme cela qu’ils se présentent aux foules, exhibant autant qu’ils peuvent leurs titres universitaires et diplômes. C’est pourquoi il faut introduire ici une clarification de poids  : le fait d’avoir poursuivi des études, d’être diplômé de biologie ou de physique, ne fait pas de qui que ce soit un « scientifique ». Ce qui fait le scientifique, c’est non seulement ses connaissances mais surtout sa démarche, une démarche qui ne saurait être bordée par aucun carcan idéologique, qui ne peut s’inscrire que dans la plus grande liberté de penser. Faute de cela, on est au mieux un simple érudit ; or l’érudition n’a jamais protégé du crétinisme.

LE FRONT COMMUN CHRETIEN - ISLAMISTE
Les créationnistes, de leur côté, font front commun. Les leaders islamistes du BAV peuvent se vanter d’avoir obtenu la participation active des grands chefs de la très chrétienne ICR à leurs conférences ! Cela malgré des siècles de guerre, de haine et de détestation réciproque (qui continuent un peu partout dans le monde) ; cela alors que les uns sont convaincus que le livre saint des autres contient « de monumentales erreurs scientifiques ». Mais nos pieux croyants savent oublier les sujets qui fâchent (et qui sont pourtant à la base de leurs croyances réciproques) pour s’attaquer à l’ennemi tant haï  : la liberté de penser, la laïcité.
Leur objectif commun est de rayer la démarche scientifique de la planète, et surtout de contrôler les esprits. Leur principale stratégie est de chercher à prendre pied dans les programmes d’études, dans les manuels scolaires afin de s’imposer (au besoin par la force) comme unique «  vérité » dans l’enseignement.
QUAND LES PENSEURS
MUSULMANS ETAIENT EVOLUTIONISTES
Et pourtant, pourtant les sociétés musulmanes ont « produit pendant plusieurs siècles des œuvres philosophiques, scientifiques et artistiques.  » Manifestement, «  l’islam n’était pas un obstacle, une contrainte, pour tous ces penseurs ». Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, le plus insupportable aux orthodoxes, celui de l’évolution des espèces, doit-on remarquer que, dès le IXe siècle (à une époque où l’Occident était englué dans la sombre nuit intellectuelle du Moyen-âge) Al-Jahiz (776-869) commentait l’adaptation du vivant à l’environnement et même la lutte pour la survie. Cette conception a été reprise au Xe siècle par une confrérie musulmane, l’Association des Frères de la Pureté (Ikhwan al-Safa) qui, dans leur encyclopédie philosophique et religieuse («  Epitres des Frères de la Pureté  ») présentaient une chronologie de l’apparition des êtres vivants en concluant que « ... tous les animaux préexistent à l’homme  ». Plus encore, « Au XIe siècle, Ibn Miskawayh (930-1030) […] développe dans son ouvrage théologique Al-Fauz al-asghar une théorie plus précise encore sur l’évolution… [il] part de la vie végétale [… passe par la phase animale] arrive finalement à la frontière de l’humanité chez le singe qui est juste un degré au-dessous de l’homme dans l’échelle de l’évolution.  ». Il n’est pas le seul. Ibn Khaldun, philosophe maghrébin du XIVe siècle, écrit dans l’ouvrage Al-Muqaddima « Le monde […] commence avec les minéraux et s’élève graduellement… jusqu’aux végétaux et aux animaux […] le processus graduel de la génération aboutit à l’homme… élevé jusqu’à ce niveau à partir du monde des singes […] ». Remarquable  !
Plusieurs siècles avant Darwin, des penseurs musulmans avaient donc observé l’évolution des espèces et avaient commencé à la décrire. Beaucoup d’autres savants musulmans se sont illustrés, à la même époque, dans toutes les branches de la science – des mathématiques à la médecine en passant par l’astronomie. Alors, pourquoi, pourquoi ces sociétés intellectuellement si riches ont-elles émasculé leur créativité et sont-elles devenues si rigides ? Et pourquoi, - puisqu’au fond il s’agit du même mécanisme de rétropédalage -, les sociétés occidentales, si évoluées, sécrètent-elles périodiquement tant d’obscurantisme ?
Laissons l’explication et le mot de la fin au cheikh afghan Jamal Eddine Al-Afghani (1839-1897), célèbre en Europe par sa controverse avec Ernest Renan et qui, sur ce point au moins, nous semble plein de raison : « Les religions, de quelque nom qu’on les désigne, se ressemblent toutes […]. Toutes les fois que la religion aura le dessus, elle éliminera la philosophie  ; et le contraire arrive quand c’est la philosophie qui règne en souveraine maîtresse. Tant que l’humanité existera, la lutte ne cessera pas entre le dogme et le libre examen, entre la religion et la philosophie, […] ». Ne baissons donc pas les bras.

_1.- _2.- A. Billecoq, « Descartes, la science et les faux savants », Cahiers rationalistes, n°625, 2013. _3.- Comme, dans le passage de l’arabe à une autre langue, chaque traducteur y va de sa petite variation, on peut lire des versions plus ou moins différentes des mêmes versets. Par exemple, dans d’autres traductions, il est question que l’homme soit né d’un caillot de sang. Toutes ces variations sont bien pratiques pour tirer le texte dans le sens voulu. _4.- Il faut tout l’optimisme commercial d’un évangéliste américain pour supposer qu’il ait été si intelligent que ça de créer une espèce - l’homme - qui saccage allégrement la planète et qui est même susceptible d’y détruire toute vie…
Toutes les citations contenues dans la présente note de lecture (à l’exception de celle de la note 2) sont reprises de «  La Science voilée  » de F.F. Charfi, Odile Jacob, 2013. Prix  : 22,90 euros.

Nota bene  le contenu scientifique et historique de cet ouvrage nous a semblé digne d’intérêt et justifier la publication de cette note de lecture et de nos commentaires. En aucun cas cette publication ne peut être considérée comme une validation des opinions ou positions que l’autrice peut développer sur d’autres points ou par ailleurs, comme chaque fois d’ailleurs que nous commentons l’ouvrage d’un auteur qui n’est pas anarchosyndicaliste.

Contact


Envoyer un message