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LOI TRAVAIL : CHACUN POUR SOI, LA DÉFAITE POUR TOUS !

Publié le 9 décembre 2016

Nos grands syndicats l’avaient promis, juré la main sur le cœur, la lutte contre la loi scandaleuse MEDEF-El Khomri devait reprendre à la rentrée, sous des formes diverses mais effectives. La rentrée est passée et, à part une misérable manif, on n’a rien vu du tout. Il fallait s’y attendre : l’objectif réel était de noyer le poisson, et, si possible, de faire même oublier qu’il y a eu une lutte… raison de plus pour revenir sur cette situation.

Alors que plus de 70 pour cent des citoyens, pour reprendre la terminologie du pouvoir, exprimaient leur opposition au contenu de la loi travail, celle-ci a néanmoins été imposée. Comment moins d’un tiers des personnes, qui se recrutent essentiellement d’ailleurs parmi celles qui ne subiront pas les conséquences de ces mesures, a-t-elle pu servir de base pour défaire l’immense majorité et imposer ses points de vue ? Quelles orientations stratégiques et tactiques ont-elles été développées par le pouvoir afin d’arriver à cette fin ?

Le premier acte a consisté à favoriser la fragmentation de l’opposition. Le mouvement de contestation contre la loi travail était d’autant plus intéressant qu’il était composé d’une part importante d’ouvriers. La crainte du pouvoir était de le voir rallier à lui d’autres composantes de la population comme les lycéens, les étudiants ou les fonctionnaires. Il a donc tout mis en œuvre pour isoler les ouvriers. Deux grandes méthodes : il a « arrosé » avec modération divers secteurs (mais c’était suffisant, surtout là où il disposait de la complicité des organisations dites représentatives) et il a détourné l’attention en favorisant la diffusion d’autres revendications, très éloignées des conditions de travail.

« L’arrosage » a concerné, en tout premier point les chauffeurs routiers. Une grève des transports, jointe aux multiples grèves et manifestations, était de nature à faire basculer irrémédiablement le processus dans le bon sens. Le gouvernement, dès qu’il a senti un frémissement chez les chauffeurs routiers les a sortis du champ de la loi MEDEF-El Khomri, arrêtant tout net leur contestation. C’est bien sûr pour les chauffeurs routiers une victoire à la Pyrrhus : ils ne perdent rien pour attendre et finiront pas être « alignés » (dans tous les sens du terme) sur les autres salariés.
Il en va de même avec les fonctionnaires. Policiers et gendarmes, bien sûr ont vu leur rémunération augmenter, mais les autres fonctionnaires, en particulier la masse des enseignants (dont la grève peut jeter dans la rue une partie de la jeunesse) ont obtenu aussi quelques maigres avantages, juste de quoi « justifier » l’absence d’engagement réel de leurs syndicats. Pourtant, les débats électoraux d’aujourd’hui le montrent, la fonction publique est une des cibles du pouvoir, et, tout comme les camionneurs, le gouvernement, tout comme le feront les suivants, « travaille » à laminer le statut de la fonction publique et, par pseudo-souci d’égalité, à le ramener à celui du privé. Comme pour la réforme des retraites les fonctionnaires comprendront peut-être un jour, mais un peu tard, qu’il eut été dans leurs intérêts de se battre auprès des salariés du privé…

Côté « diversion », il faut souligner le rôle des « Nuits debout ». Le fait que des individus se réunissent sur la place publique afin d’analyser et critiquer la société contemporaine est une très bonne chose en soi. Il y a en ça une part de démocratie au sens réel du terme. Mais cela devrait être un travail quotidien conduit en permanence, en dehors de toute crise sociale. Il y a un temps pour chaque chose, la réflexion, le débat et la maturation des idées d’une part, la lutte et le combat social d’une autre. Je me souviens avoir été surpris à l’époque de l’écho médiatique qu’avait rencontré « Nuit debout ». Les grands médias faisaient leur une sur ces quelques centaines de personnes réunies à Paris (et plus tard, sur les quelques dizaines qui se sont réunies dans les différentes villes de province) et reléguaient à la rubrique faits divers les centaines de milliers d’autres personnes qui manifestaient dans les rues. Notez ici que « Nuit debout » n’existait pas avant le mouvement de contestation et qu’il a pris fin avec celui-ci. Il a donc servi, bien malgré lui peut-être, à faire un contre-feu. Une guerre se gagne bataille après bataille. Le gouvernement avait ici engagé le conflit sur un terrain spécifique, celui de la pulvérisation de la réglementation du travail, et envoyé une partie de l’opposition sur un autre front (réforme de la constitution,…).

Une des grandes craintes, parfaitement fondée, du gouvernement était que les futurs salariés que sont majoritairement les étudiants, comprennent que leurs conditions de travail à venir étaient gravement en jeu. Il s’agissait donc pour le pouvoir de neutraliser ce groupe pouvant se révéler particulièrement remuant. Aussi les « syndicats » étudiants ont-ils été rapidement reçus et quelques mesurettes ridicules leur ont été accordées. Ce fut suffisant pour que ces « syndicats » (du même bord que le gouvernement) crient victoire et n’appellent pas à la mobilisation massive. Ensuite le gouvernement n’a eu qu’à attendre que le mouvement étudiant, déjà moins que moyennement mobilisé lors des premières manifestations, entre de lui-même dans un processus de décomposition. Cela a été très rapide : SUD, les gauchistes, les totoïdes et autres pseudo-anars, imprégnés de post-modernisme, ont perdu de vu l’essentiel (la lutte contre une loi qui va gravement affaiblir la condition de tous les travailleurs) pour avancer des revendications au particularisme poussé. On a même vu une « coordination » mettre au premier plan des revendications la discrimination contre les « trans ». Qu’il y ait des discriminations contre les « trans » à l’embauche ou après celle-ci, personne n’en doute. Mais mettre en première ligne cette revendication, c’était prendre le risque de démobiliser tous les autres étudiants (ce qui s’est produit) et ne pas comprendre que c’était fragiliser encore plus les « trans » : avec la terrible loi MEDEF-El Khomri, tous les salariés vont être encore plus maltraités, et il est évident que ceux qui présentent des particularités « socialement non admises » le seront encore plus que les autres et encore plus qu’ils ne le sont actuellement. Les deux tactiques (arrosage et décomposition) ayant parfaitement marché, la participation étudiante au mouvement s’est ainsi rapidement effilochée, et il n’y a pas eu de participation lycéenne (qui aurait pu être entraînée par un mouvement étudiant fort). Le mouvement anti-loi travail a ainsi manqué de la force de la jeunesse, ce qui a largement contribué à le faire échouer.

Un autre angle d’attaque du pouvoir reste la fameuse cinquième colonne désormais institutionnalisée : les syndicats. Dans ce mouvement, la base exprimait un fort mécontentement et a poussé les directions syndicales tant qu’elle a pu. Les tensions internes étaient très palpables : des cortèges d’un même syndicat ont parfois été siscionnés durant quelques manifestations, certains syndicalistes CFDT ont manifesté contre les positions de leurs chefs. Les chefs syndicaux se sont sentis contraints, pour éviter l’explosion de leurs organisations, à faire bonne figure en appelant à des journées de grèves, en surface tout du moins. Au vu du mécontentement ambiant, il aurait été possible d’aller beaucoup plus loin et de durcir le mouvement. Cela n’a pas été le cas. Nous avons pu constater que, dans les grandes entreprises, les panneaux d’affichage syndicaux restaient le plus souvent muets, à l’instar des délégués qui ne se bousculaient pas pour battre le rappel. Pourtant, un blocage entreprise par entreprise durant une même semaine par exemple aurait certainement pu permettre de déborder les forces coercitives d’État, cela sans même avoir besoin de tomber des chemises. Mais il n’en a rien été car le gouvernement a su récompenser ses alliés. Ainsi est-il prévu, dans la loi MEDEF-El Khomri qu’au vu des accords d’entreprise, les élus syndicaux bénéficieront d’heures de délégation supplémentaires et de formations complémentaires. Formations dispensées à leurs propres troupes par les syndicats grâce à des financements dodus qu’ils recevront de l’État, donc des impôts, donc de vous. Ces systèmes de « formation », qui, en général sont du bla-bla et ne forment qu’à la langue de bois, permettent de payer (en général très très correctement) une foule d’individus (formateurs, organisateurs des formations, directeurs…), véritables parasites du mouvement social.

Un autre facteur de non-mobilisation de la classe ouvrière, que tout le monde s’est empressé de passer sous silence, a été la religion. Il est patent que, depuis la révolte des banlieues, le pouvoir a soutenu une politique massive d’islamisation à la fois de la jeunesse mais aussi des adultes. L’objectif était double : neutraliser le fort potentiel de révolte de la jeunesse populaire de ces quartiers, couper l’ensemble de ces habitants du reste de la population en exacerbant les particularismes. Pour qui habite dans les quartiers d’immigration, « l’efficacité » de cette politique rétrograde phénomène saute aux yeux. Pour en revenir à notre sujet, il faut constater que, malgré un chômage massif, il y a dans les quartiers beaucoup de travailleurs, souvent dans le nettoyage industriel pour les femmes, dans le bâtiment pour les hommes les plus âgés, dans différents secteurs pour les autres (commerce, santé, éducation, informatique…). Or, si pendant toute la période de la lutte contre la loi MEDEF-El Khomri les mosquées n’ont pas désemplie, on a vu très peu de ces travailleurs, qui seront pourtant parmi les premiers touchés, dans les manifs ou dans les grèves. La religion est toujours une soumission à l’ordre établi.
Il faut également souligner la tactique de communication utilisée. Si les travailleurs étaient divisés pour les raisons exposées ci-dessus tout en affichant une « unité » de façade, le patronat, la droite et le pouvoir nous ont joué la comédie inverse : celle du désaccord de façade alors qu’ils étaient parfaitement d’accord sur le fond. Cette manœuvre, destinée à intoxiquer l’adversaire, à le déstabiliser, a joué aussi son rôle, certains travailleurs pensant que le texte ne « passerait pas » puisque les patrons étaient contre.

C’est que le Medef n’y est pas allé par quatre chemins, en criant sur tous les tons qu’il désapprouvait un texte qui lui était pourtant à cent pour cent favorable. Nous avons vu ce Medef tonitruer, menacer de rompre toute négociation si la loi n’allait pas beaucoup plus loin... Les LR lui donnaient la réplique : ce projet, qui reprenait ses propres propositions faites de longue date, ne les satisfaisait plus du tout. Ils ont multiplié les amendements pour aller encore plus loin, pour faire de la surenchère… Le FN quant à lui a ménagé la chèvre et le chou dans sa perspective électoraliste. La palme du meilleur acteur revient sans conteste au PS qui nous a fait une démonstration éclatante de son cynisme. Alors qu’il passait en force cette loi scélérate, il envoyé dans un même temps les jeunes socialistes dans les cortèges pour exiger son retrait, comme s’il s’agissait d’un malentendu provisoire qui se résoudrait de lui-même après que nous ayons rendu les armes...

Il en va de même pour l’ensemble de « l’aile de gauche » qui a crié au scandale lors de l’utilisation du 49-3, soulagée en réalité de ne pas avoir à admettre publiquement son serment d’allégeance prêté au capitalisme et dont les motions de défiance ont échoué à deux voix près, soit juste ce qu’il faut pour afficher un mécontentement de façade sans prendre le risque de renverser le texte. Un bien mauvais vaudeville dont les travailleurs n’ont pas fini de payer les frais.

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