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GJ et syndicat, la carpe et le lapin

Publié le 7 mars 2020

L’apparition du mouvement des gilets jaunes en novembre 2018 aura, c’est le moins qu’on puisse dire, sidéré tous les acteurs habituels des petits mondes médiatiques et politiques. Avec le recul, on peut dire que cette apparition d’un nouvel acteur dans le champ social a eu un effet comparable à celui d’un chien folâtrant dans un jeu de quilles. Que des gens, qui plus est appartenant aux couches les plus pauvres de la société et portant simplement comme emblème de leurs revendications un banal gilet jaune osent ainsi sans y être invité prendre la parole, crier et manifester leur soif de justice sociale apparut comme un crime de lèse démocratie représentative, un affront insupportable fait à tous les défenseurs de l’ordre établi.

C’est que dans notre société les rôles sont clairement répartis : l’État s’occupe des fonctions régaliennes (police, armée, services publics ), les patrons eux s’occupent de la gestion des entreprises, du fonctionnement de l’économie et les syndicats ayant le monopole de la défense des droits des travailleurs s’occupent du social, et font en sorte que les relations entre patrons et salariés se passent au mieux.

Dans un premier temps, donc les syndicats ont traité par le mépris ce mouvement qui en quelque sorte empiétait sur leur pré carré. Mais comme cette vague, défiant toutes les prévisions s’est installée dans la durée, les syndicats ont changé d’attitude et ainsi, dans les manifestations contre la réforme des retraites, on voit de plus en plus de gilets jaunes et dans les manifs de gilets jaunes, on voit beaucoup de syndicalistes affichant les couleurs de l’un ou l’autre des syndicats dits représentatifs. Cette situation est paradoxale, car gilets jaunes et syndicats, malgré les apparences ont des modes d’organisation et poursuivent des buts très différents, voire antagoniques.

Les salariés ont dès les débuts de la révolution industrielle ressentis les
besoins de se défendre contre la violence inouïe du système capitaliste. Très vite, ils se sont regroupés, organisés dans des associations de défense malgré les lois qui l’interdisaient (loi Le Chapellier). Tout au long du XIXe siècle, de nombreuses révoltes ouvrières ont été réprimées dans le sang par les forces armées de l’État français. C’est de ces luttes que sont issus les premiers syndicats. Mais, si ces premiers groupements se faisaient en bravant la loi, très vite l’État, confronté à des révoltes ouvrières très violentes et destructrices, a cherché à contrôler leur action, en les encadrant par une série de lois et de décrets (lois autorisant les syndicats puis lois précisant leurs buts, leurs moyens d’action, etc.).

Tant et si bien que les syndicats qui à l’origine se fixaient le double objectif à la fois de défendre les intérêts immédiats des travailleurs (l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie) et la transformation radicale du système économique (abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme) sont devenus des éléments indispensables au fonctionnement de ce système. Autrefois ennemis irréconciliables, ils sont devenus des partenaires qui se mettent autour d’une table avec les représentants des patrons et de l’État pour fixer tous les lois et règlements qui définissent les rapports entre travailleurs et patrons, les droits et devoirs de chacun dans l’entreprise. Il n’est donc pas question pour eux de contester la domination du capital sur le travail, les rapports de domination dans l’entreprise, et l’exploitation de l’homme par l’homme.

Pire même, en participant à la fixation des limites à l’exploitation que l’entreprise peut faire subir aux travailleurs, ils deviennent un des maillons de la chaîne qui permet la survie du système de domination. Ces fonctionnaires syndicaux qui
se prétendent représentants et défenseurs des intérêts des travailleurs contribuent par leurs pratiques à l’acceptation par les travailleurs de l’exploitation subie et dissimulent la fonction fondamentalement prédatrice du système. Le résultat de leurs actions est que les travailleurs en viennent en effet à oublier cette simple vérité qu’ils sont les seuls producteurs de richesses, que toutes les richesses produites sont uniquement le fruit de leur travail et ils finissent par accepter humblement d’être humiliés et dominés par une classe d’exploiteurs. Dans le monde du travail comme ailleurs, le système de la démocratie représentative qui consiste à élire des gens sans mandat impératif aboutit toujours au même résultat :
transformer l’électeur en assisté, en client.

Pourquoi se battre pour changer le monde ou même simplement obtenir une
amélioration de ses conditions de travail puisqu’il suffit de déposer un bulletin dans
une urne, pourquoi réfléchir ensemble, s’organiser ensemble, agir ensemble puisqu’une personne a été élue et peut prendre sur son temps de travail pour nous défendre, pourquoi prendre des risques puisque le délégué jouissant prétendument d’un statut protecteur peut porter notre demande ? Le système représentatif est ainsi le pire ennemi de l’action directe et il ne faut pas s’étonner si nombre de salariés considèrent les syndicats comme des fournisseurs de services et la
cotisation syndicale comme une sorte d’assurance. Et si les confédérations syndicales organisent parfois de grands mouvements de lutte, c’est pour se présenter en ennemis du système, pour entretenir la confusion, et satisfaire ainsi les envies authentiques de lutte de leurs bases.

Mais ces stratégies sont de moins en moins crédibles, et l’irruption des gilets jaunes sur la scène publique montre que de moins en moins de personnes sont dupes, que de moins en moins de gens acceptent de confier à d’autres le soin de défendre leurs intérêts. Action directe et démocratie directe sont devenues leurs mots d’ordre, la solidarité et l’entraide constituent leurs leitmotivs. Sur les ronds points, dans les manifs, ils redécouvrent les joies d’être et d’agir ensemble, ils redécouvrent le vieux mot d’ordre de l’internationale : « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».

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