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Si la grève est aujourd’hui un « droit constitutionne

Publié le 31 janvier 2022

Si la grève est aujourd’hui un « droit constitutionnel », il fut un temps pas si lointain où faire grève était illégal. Mais cela n’empêchait pas les travailleurs d’arrêter spontanément le travail pour faire pression sur le patron afin d’obtenir la satisfaction de leurs revendications. Il subsiste dans le Code du travail une trace de ces moments historique du syndicalisme des origines : en France, dans le privé, il n’y a pas besoin de syndicat pour déclencher une grève. Même si les syndicats – les institutionnels comme les alternatifs – veulent nous faire croire qu’il est légalement impossible de faire grève sans eux, ce n’est pas encore le cas. Pour faire grève dans le privé, il suffit d’être deux, et d’avoir des revendications en lien avec le travail. Même pas la peine de donner un préavis au patron. Certes une gréve, surtout dans une PME, ça ne change pas la face du monde. Mais il n’y a pas de petite lutte : dans cette période de résignation individualiste, maintenir la flamme de la révolte libertaire c’est encore et toujours faire acte révolutionnaire.

S : salut, peux-tu te présenter brièvement et expliquer le contexte dans ta boite.

X : salut. Je suis ouvrier spécialisé dans le secteur de l’industrie mécanique depuis de nombreuses années. Je bosse dans une boîte sous-traitante d’un grand groupe international. Nous sommes une vingtaine dans l’atelier, 300 dans la boite dont une bonne moitié en prod et le reste dans les bureaux.

AS : est ce qu’il y a des syndicats dans ta boite.

X : les travailleurs sont globalement peu syndiqués. Il y a bien un syndicat CGT, mais qui ne regroupe pas beaucoup de gens. Il est animé par des militants gauchistes et PCF « années 50 », qui passent pour des prises de têtes auprès des collègues parce qu’ils se comportent parfois comme des « curés rouges ». On discute rarement politique avec les autres collègues soit que ce ne soit pas populaire soit que chacun préfère garder son opinion pour lui.

AS : Est-ce que tu peux nous expliquer ce qui s’est passé ?
X : au tout début de la crise COVID, nous avons été laissés à nous même, sans protection, sans masques, rien de rien. Il ne fallait pas que la production s’arrête. Puis, pendant le confinement, toujours au nom de la sacro-sainte production, alors que toute l’économie était à l’arrêt, nous il fallait que nous continuions de travailler, dans des conditions sanitaires plus que limites. Durant ce temps, beaucoup de boites de sous-traitance ont dû mettre la clé sous la porte ou ont dégraissé, laissant des gens sur le carreau.
À l’automne dernier, avec les signes de la « reprise économique » comme ils disent (reprise des bénéfices pour eux en fait), la direction a décidé de nous imposer de faire des heures sup, sans nous consulter. Il faut savoir qu’on commence la journée de travail très tôt le matin, à 6 h, pour finir habituellement à 13 h, en journée continue. La boîte voulait qu’on fasse 2 heures de plus l’après-midi.
Certes ils promettaient de payer plus, mais l’argent ne rachète pas le temps perdu qu’on ne passe pas avec nos familles, nos amis. Pour moi c’est niet !

AS : Comment avez-vous réagi ?

X : On a été informé par un affichage sur le panneau de l’atelier, ils ne sont même pas venus pour nous en parler. Alors on en a discuté entre nous, notamment dans les vestiaires. La plupart, nous avons trouvé que le patron abusait et qu’il était hors de question de faire ces heures sup. Et si le patron veut produire plus, il n’a qu’à employer parmi les ouvriers qui ont été licenciés dans les autres boîtes du secteur. Après en avoir discuté entre nous, on a décidé qu’on ne ferait pas ses heures sups. À la fin de la journée normale de travail, on pose les outils et on débraye, on fait la grève des heures sups.

AS : Le mouvement a été suivi ?

X : En fait, le jour dit, certains d’entre nous, ont déposé les outils à l’heure normale et sommes partis comme une journée normale, sans prévenir. Beaucoup de collègues avaient envie de faire grève, mais entre l’envie et le faire pour de vrai, ce n’est pas forcément évident pour tout le monde, la peur et la résignation y fait beaucoup.

As : Comment le patron a réagi ?
X : Il y a eu une tentative de pression de la hiérarchie. On a été convoqués individuellement par le dir-prod, mais chacun a tenu sur la décision collective et dit qu’on ne changerait pas d’avis.

AS : quelle a été la réaction des syndicats ?

X : Après qu’on a été convoqués, les syndicats ont dit qu’ils prenaient les choses en main pour négocier avec le patron. Moi, ça ne me plaisait pas, car on ne sait jamais ce qu’ils font, on n’a aucun contrôle. Alors un matin, j’ai demandé à ce qu’on se réunisse tous, déjà pour m’assurer qu’ils ne nous faisaient pas faire une bêtise. Je leur ai demandé leur avis sur la légalité de notre mouvement. (j’avais des doutes. Ce n’est pas que ça me faisait peur, mais juste que j’aime bien connaître les risques que je prends). Pour eux il n’y avait aucun
problème. J’ai ensuite exigé que s’il devait y avoir des négociations, alors ce sont TOUS les grévistes sans exception, qui doive participer aux négociations avec la direction. Les syndicalistes n’ont rien dit, mais n’ont rien fait non plus…

AR : Qu’est-ce t’a apporté le fait d’être en relation avec la CNT-AIT ?

X : Jai parlé de notre mouvement avec les compagnons anarchosyndicalistes. Nous avons abordé le sujet sous ses aspects stratégiques et juridiques. On a analysé le rapport de force au sein de la boîte. Des compagnons qui s’y connaissent en droit du travail m’ont expliqué les risques juridiques réels, alors que les syndicats institutionnels qui ont pourtant des permanents payés pour cela nous avaient donné des informations erronées ! Cela n’a pas freiné ma volonté de m’engager dans la lutte, mais au moins je savais où je mettais les pieds. Et les compagnons de la CNT-AIT se sont mis à ma disposition et celle des autres grévistes par des actions de soutien s’il y avait besoin.

AR : Vous n’avez pas eu peur d’être licenciés ?

X : On fait des métiers techniques, relativement spécialisés, et donc les « bons ouvriers » sont recherchés. C’est sûr que ça nous donne un avantage dans le rapport de force avec le patron, qui n’a pas intérêt à nous licencier pour ne ras perdre en productivité. Mais ça ne les empêche pas tout de même, de placardiser les gens, de faire des pressions, voire de harceler, et de faire des listes noires, de griller des gens dans toutes les boites de la région. Et encore je ne dis pas la moitié des pratiques dégueulasse qu’ils ont en réserve. Mais l’important est de montrer aux collègues qu’il ne faut pas avoir peur. De dire aux chefs les choses en face, et à l’occasion leur mettre le nez dans le caca. Quand j’interviens dans ces réunions de travail et que j’interpelle les chefs, en fait je m’adresse avant tout à mes collègues.

AR : Quel a été le résultat de votre mouvement ?

X : ç’a été une petite victoire, car ils sont revenus très vite sur l’idée d’heures sup imposées. Comme ils n’avaient pas anticipé notre volonté de résistance, en fait ils n’avaient pas fait les choses dans les règles, donc s’ils s’étaient obstinés ils auraient été fragiles d’un point de vue légal. Ils ont voulu nous imposer ces heures à la gueule, en pensant que nous allions accepter docilement. Et ben non, pour une fois, on s’est rebellés... Il faut savoir que les heures sup imposées, est quelque chose de récurrent à mon boulot, et qu’il faudrait presque être constamment à la disposition de l’entreprise. Finalement ils ont changé l’organisation en équipe en 2X8. Je ne sais pas si nous avons gagné aux changes, mais ça nous paraît plus supportable comme solution. Et nous avons regagné un peu de dignité, même si bien sûr ça ne change pas grand-chose fondamentalement.

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