La grève chez Mécachrome, une expérience riche en enseignement
Publié le 2 juillet 2022
Au mois d’avril dernier, nous les travailleurs de Mécachrome avons été conviés à une réunion d’info à l’appel de la CGT Mécachrome – Launaguet, pour pouvoir parler de la situation au sujet des NAO (négociation annuelle obligatoire : c.-à-d. Les augmentations générales), vu que cela faisait déjà quelques années qu’aucun d’entre nous, n’avait été augmenté, et qu’il y avait une certaine ambiance électrique dans les ateliers dès que le sujet était abordé par quelqu’un.
Dans cette réunion d’info, les collègues ont raconté leurs ressentis et leurs aigreurs vis-à-vis de la direction, qui n’a pour nous que mépris et cynisme. De là, nous avons évoqué devant les syndicalistes qu’il nous faudrait un talon de 200 € minimum pour favoriser les plus petits salaires et une augmentation digne de ce nom, pour pouvoir suivre l’inflation.
Suite à ça, nous avons eu les jours suivant une autre réunion à l’appel de la CGT, pour pouvoir nous informer, de ce que la direction propose, c’est-à-dire une augmentation de 2%, et avoir notre avis, pour la négociation. Un délégué CGT nous a parlé d’une intersyndicale avec les autres syndicats du groupe Mécachrome, à savoir F.O, CFDT, CFTC... qui eux proposaient une augmentation qui n’était pas tellement plus intéressante que celle proposée par la direction. Nous avons signifié suite aux propositions aux syndicales toute notre défiance devant ce qu’il risquait de se passer, à savoir RIEN !
De cette réunion, il en est sorti que nous ne participerons pas à l’intersyndicale de F.O pour avoir des clopinettes, mais qu’en plus nous voulons une augmentation de 7%, avec bien entendu un talon minimum de 200 €. Nous avons aussi discuté des modalités plus ou moins alternatives de lutte, où certains des syndicalistes étaient frileux, car « il fallait rester dans la légalité » (NDR : voir texte légalité syndicale vs l’action directe dans ce même numéro), alors certain d’entre nous avons décidé de mettre la pression à la CGT pour qu’ils aillent enfin au combat.
Comme nous nous doutions que la direction ne voudrait rien savoir de nos revendications, et que nous partions au combat pour un bon bout de temps, les syndiqués ont proposé une grève de 3 heures pour chaque équipe, à savoir : matin, après-midi et journée, deux jours dans la semaine. Nous avons donc fait une banderole « neutre » sans le nom particulier d’un syndicat, et dès le premier débrayage, nous avons pu discuter entre nous, et peu à peu s’est installé l’idée d’un fonctionnement en AG décisionnaire et souveraine. Nous avons insisté sur le fait que les syndicats (CGT et CGC) devaient se plier comme tout le monde aux décisions prises par nous tous, dès le premier jour de grève. Nous avons ensuite commencé à réfléchir ensemble les jours suivants, comment tenir le plus longtemps possible, pour maintenir la pression face à la direction et ses acolytes. L’idée d’une caisse de grève a été évoquée et adoptée, en prenant l’exemple du boxeur gilet jaune Dettinger. L’idée est de limiter la casse au niveau de nos finances, car dans cette usine les travailleurs des ateliers ont des petits salaires, voire pour certain le SMIC.
De cette grève, nous avons beaucoup discuté entre nous, et débattu du comment on s’organise, et quelle stratégie adopter. Un appel à soutien a été lancé, le plus largement possible, vers tous les syndicats, organisations politiques, autonomes, divers médias, voire simples individu lambda de diverse sensibilité politique, que nous connaissons chacun de notre côté. Pour pouvoir maintenir notre pression envers la direction, jusqu’au 1er jour des négociations des NAO.
Le jour de la première négociation, la direction, nous a proposé un talon de 50 € et une augmentation de 2,5%.
Inutile de dire que l’assemblée a très mal pris ce crachat à la « gueule « puisque traitée comme du bétail !
En réponse, nous avons décidé à l’unanimité de passer de deux jours de débrayage de 3H à 4 Jours. Ce qui n’a pas été du goût des cadres dirigeants, qui ont tenté de nous intimider d’atelier en atelier, en nous culpabilisant et nous sommer de reprendre le boulot. Chose qu’ils n’auraient pas dû faire, puisqu’ils ont confirmé que nous touchions un point sensible.
Nous avons poursuivi notre action jusqu’à la seconde négociation, ou cette fois, ils nous ont proposé un talon de 65 Euros, et 3,5% d’augmentation, là non plus le compte n’y était pas, et depuis nous continuons à nous battre.
Toutes ces décisions ont été prises en AG décisionnaire et souveraine, avec la participation des travailleurs syndiqués ou non, sur une base de démocratie directe le plus égalitaire possible.
La critique que nous pourrions porter sur notre combat : de fait, aucun d’entre nous, n’avait de l’expérience pour des grèves de longue durée, et de nous auto-organiser en conséquence.
Par exemple, les collègues encartés à la CGT, malgré toute leur bonne volonté, ont forcément informé leur hiérarchie syndicale de l’UD, qui eux n’appréciaient pas forcément notre façon de procéder ; les promesses de dons financiers de leur part pour notre caisse de grève (2000 Euros), à ce moment où j’écris ces lignes sont toujours en attente, donneront ils ou non ? Nous n’en savons rien.
De même, nos difficultés à entrer en contact avec les travailleurs des autres sites de Mecachrome, qui se trouvent tous au nord du territoire de la région France, les Cégétistes doivent bien avoir des contacts, mais probablement seulement avec les syndicalistes de ces sites, quasiment aucun ouvrier lambda, et nous ignorons s’ils sont au courant de notre action et surtout si, il y a une possibilité d’élargissement de la lutte ou non. Nous sommes complètement isolés. Notre espoir est notamment de donner des idées aux autres usines De l’aéronautique de la région Toulousaine, qui sont quasiment dans la même situation que nous.
Ce qu’il faut souligner, c’est que le rôle du syndicalisme officiel n’est pas forcément indispensable, et qu’ils peuvent se retourner contre les travailleurs eux-mêmes, depuis le début nos craintes sont qu’ils se contentent du peu que nous avons « gagné » et qu’ils nous renvoient au boulot dès que possible. Il est donc nécessaire et vital dans une grève, sur son lieu de travail de privilégier l’action directe qui consiste à ne pas passer par les intermédiaires « syndicaleux-bureaucrates », et d’éviter de se faire avoir par les rouages de cette bureaucratie et du légalisme frileux, qui cautionnent de fait l’exploitation capitaliste du salarié. Il incombe aux travailleurs de s’organiser, et d’organiser leur lieu de travail pour pouvoir se libérer du salariat. La grève est, par exemple, un processus d’auto-éducation, où les prolétaires apprennent peu à peu, créent de la solidarité, de l’entraide, face à un patronat qui nous voient seulement comme des machines et pas que chez Mecachrome, mais partout ailleurs.
Nous avons commencé cette grève, sans trop savoir où nous allions. La plupart des collègues avaient tendance habituellement en s’en remettre aux syndicats officiels, en l’occurrence la CGT et la CGC, qui pour eux ne représentent qu’un bureau de service en cas de litige avec la direction, ou alors un guichet du C.E pour se procurer des billets pour un match ou une séance de cinéma. Ces collègues ont découvert et appris comment lutter et faire face à une direction sèche et bornée, qui ne veut rien entendre, si ce n’est en nous donnant quelques miettes dans l’espoir de nous calmer, avec accessoirement des tentatives de chantage lors des négociations NAO. Notre assemblée a été et est un outil d’apprentissage révolutionnaire, ou l’on découvre l’importance de la communication entre nous, les échanges de nos points de vue, entre les syndiqués et non syndiqués, avec une certaine égalité, ou nous avons exigés du syndicat hégémonique de l’usine Toulousaine, c’est-à-dire la CGT, à se plier comme nous tous, aux décisions de l’assemblée générale et souveraine, la constitution de notre caisse de grève, où les gestionnaires sont contrôlables et éjectables à tout instant. Certes, ce n’est pas encore suffisant pour une révolution sociale, mais cela permet de faire découvrir à tous, comment nous devrions et devons lutter.