Accueil > Mémoire > De la Révolution espagnole (1936) > Un texte inédit d’Anselmo Lorenzo sur les manœuvres politiciennes contre (...)

Un texte inédit d’Anselmo Lorenzo sur les manœuvres politiciennes contre l’anarchisme espagnol

Publié le 1er juillet 2023

Le texte que nous donnons à lire ci-après intitulé « PROTESTATIONS D’ESPAGNE : RÉPONSE AU BUREAU SOCIALISTE INTERNATIONAL » est un texte inédit (ou du moins oublié) d’Anselmo Lorenzo. Il a été publié dans la Vie Ouvrière, le journal de la CGT française des origines, celle des Pelloutier et des Monatte, en 1910. Et pourtant il a encore des choses à nous dire qui font écho à la situation de l’anarchosyndicalisme en Espagne.

Anselmo Lorenzo lui-même est une figure oubliée de l’anarchosyndicalisme espagnol. Pourtant ; il en est l’une des figures titulaires. Il est de cette génération des pionniers, celle qui a connu la Première internationale, celle des débats entre Marx et Bakounine, une époque où faire du syndicalisme était illégal et ne consistait pas à se présenter aux élections de représentant des travailleurs, ces derniers préférant passer à l’action directe. Infatigable propagandiste de l’anarchisme, il fait le lien entre l’AIT (Association Internationale des Travailleurs) première époque et la CNT espagnole, participant à la naissance de la future section espagnole de l’AIT seconde époque.

Anselmo Lorenzo était considéré par les anarchistes de son époque comme un maestro, un ouvreur de chemin, de par sa droiture, son honnêteté et surtout son attachement indéfectible aux valeurs morales et éthiques de l’Anarchisme. Cette probité incorruptible a convaincu nombre de travailleuses et de travailleurs, en Espagne et au-delà dans tous les pays hispanophone, de la valeur de l’Anarchisme, la plus haute expression de l’Ordre comme disait son contemporain Reclus.

Mais Lorenzo était aussi et surtout un homme qui mettait ses convictions en actes. Pendant plus de 12 ans, il fut le compagnon de lutte inséparable de Francisco Ferrer, ce pédagogue libertaire qui créa l’Ecole Moderne pour essayer d’arracher les masses laborieuses des griffes de la réaction religieuse la plus venimeuse. En 1909, pour protester contre la mobilisation des réservistes (les jeunes ouvriers en fait, les fils de la bourgeoisie pouvant se faire exempter pour 1500 pesetas) envoyés se battre dans la guerre coloniale du Maroc, la Barcelone populaire, la Barcelone anarchiste – déjà - se soulève. Dans cette émeute grandiose, le peuple affirme sa force. Quelques couvents sont incendiés symboliquement, sans qu’aucun mal ne soit fait à leurs occupantes ou occupants. La répression bourgeoise et cléricale s’abat, impitoyable. C’est la Semaine Tragique. Le Pouvoir doit trouver des responsables et des coupables, et les châtier. Ce sera Ferrer, qui sera arrêté, condamné et fusillé.

Mais on ne se méfie jamais assez de ceux qui se disent vos « amis ». Que la bourgeoisie capitaliste cherche à supprimer les anarchistes après tout, rien que de très normal. Mais en 1910, le Parti Socialiste et leur bureau international donnent un coup de poignard dans le dos leur des anarchistes, profitant de leur affaiblissement suite à la répression. Il est vrai que l’Espagne a toujours été une « anomalie » politique : dès l’époque de la Première internationale, le mouvement ouvrier espagnol avait pris fait et cause pour Bakounine contre Marx. Les Marxiste sont toujours cherché à se débarrasser de ce caillou dans la chaussure qui venait contrarier leurs plans sur la comète révolutionnaire. Et malgré leurs appels lancinant à l’unité, ils cherchent toujours à éliminer les anarchistes, parfois de façon directe, parfois de façon plus subtile, en les absorbant. En décembre 1909, c’est la méthode brutale qu’ils choisissent : le Parti Socialiste Espagnol, dirigé par Pablo Iglesias, lance donc un appel au Bureau socialiste international, lequel s’empresse de le relayer auprès des autres partis socialistes européens, pour leur demander de les aider à relancer leur journal la Intenacional et ainsi « en aidant les « socialistes » de Catalogne, vous contribuerez à éteindre un des plus grands et plus anciens foyers de l’anarchie en Europe ».

Cette volonté des politiciens bourgeois de gauche d’éradiquer l’anarchisme de la carte de l’Espagne fit réagir Anselmo Lorenzo, et c’est ce texte que nous vous proposons de relire aujourd’hui. Nous invitons les militants sincères de l’anarchosyndicalisme intéressés par la question espagnole à le relire attentivement, non pas avec l’œil humide de la nostalagie, mais avec l’œil acéré de la critique.

Car il se trouve qu’aujourd’hui une nouvelle fois l’anarchosyndicalisme espagnol est en danger de se faire étouffer par des « amis qui lui veulent du bien ». A la mort de Franco puis avec la « transition à la démocratie », la bourgeoisie s’agaça de voir ressurgir une CNT qui n’acceptait pas le compromis social, qui refusait le Pacte de Montcloa, compromis historique de la gauche avec la Monarchie constitutionnelle, une CNT qui refusait la main tendue de l’institutionnalisation via les élections syndicales. Par tout un tas de manœuvres plus ou moins subtiles (l’affaire Scala, l’infiltration du faussaire Enric Marcos à la tête de la CNT, …) la bourgeoise réussit à diviser la CNT. Il faut dire quelle put compter sur l’attitude de certains faussaires et politiciens introduits dans la CNT (dont le fameux Enric Marcos), qui appelaiebnt à être raisonnable et à accepter de jouer le jeu institutionnel. Ils s’en allèrent même le dire au consul des USA à barcelone, comme en témoigne le Cable Diplomatique du XX XX 1977 revélé par Wikileaks quelques 20 ans après.

Malgré cette divisions qui visaient ni plus ni moins à éradiquer encore une fois le plus ancien foyer anarchiste d’Europe, il restait des irréductibles qui résistaient au chant des sirènes de l’intégration.
Mais depuis une dizaine d’année, une nouvelle vague d’attaque contre les principes anarchistes de la CNT se sont fait jours, au sein même de la vénérable maison. Au nom d’une soit-disante efficacité et d’un pragmatisme qui reste à démontrer, tout ce qui fait l’âme et le cœur de l’anarchosyndicalisme est promptement vidé de toute substance. L’action directe des travailleurs est remplacée par la médiation des avocats devant un tribunal. La CNT devient un « syndicat révolutionnaire », voire un « syndicat alternatif » ou « combatif ». Dans les documents de présentation de la CNT, jamais la finalité politique de la CNT – le Communisme Libertaire (pour paraphraser le titre d’un livre d’Isaac Puente) n’est évoquée. Ou alors simplement sur le mode de la nostalgie, d’un accessoire rangé au rayon poussiereux des reliques d’un passé lointain et révolu.

Guy Bebord dans la société du spectacle l’a très bien décrit : le faux est devenu un moment du vrai. Aujourd’hui, en Espagne comme dans de nombreux pays, l’anarchosyndicalisme est devenu un spectacle « syndical révolutionnaire », les drapeaux rouges et noirs sont devenus des images dont on a perdu le sens mais qui font de jolies couleurs sur les selfies et les réseaux sociaux, et le sigle CNT est devenu une marque déposée qu’il s’agit de monétiser. Ainsi, cette fraction qui a fait main basse sur la CNT a-t-elle attaquée devant un tribunal de l’Etat les irréductibles de la CNT-AIT pour usurpation de sigle, atteinte au droit de propriété intellectuelle ; et qu’elle réclame des indemnités au nom du droit à l’image !!! Cette CNT-CIT (du nom de son regroupement international, la Confédération International du Travail) réclame à la CNT-AIT 900 000 euros de dédomagements !!! Un quasi million !

Et puisque cette CIT n’a peur de rien, elle ose affubler son centre d’archives du nom d’Anselmo Lorenzo ! On reconnait un véritable loup à sa capacité d’endosser la peau des agneaux qu’il a au préalable englouti, pour mieux faire croire qu’il fait partie des leur.

La conclusion du texte d’Anselmo Lorenzo qui dénonce les manœuvres dissolvantes et empoisonnées des politiciens de son époque est intemporelle. Elle s’applique aussi à la situation actuelle et à nos politiciens contemporains.

« Cela n’empêche pas que l’intelligence et l’énergie de ceux qui restent, des invincibles, de ceux qui maintiennent le feu sacré de l’idée contre es persécutions et les déviations, nous donnent l’assurance que Barcelone, que la Catalogne, que l’Espagne ouvrière tout entière ne manquera pas à l’accomplissement de son devoir au grand jour des revendications prolétariennes. »

C’est parce que nous sommes fidèles à l’esprit d’Anselmo Lorezo, que nous appelons les anarchistes et les anarchosyndicalistes sincères, « ceux qui restent, les invincibles, ceux qui maintiennent le feu sacré contre les persécutions et les déviations », où qu’ils se trouvent, à exprimer auprès de la CIT et ses sections - tout comme le firent Monatte et d’autres à l’époque en protestant auprès du Bureau socialiste - leur répprobation la plus ferme des agissements de la section espagnole de la CIT contre la CNT-AIT espagnole,.

Vive l’anarchosyndicalisme,
Vive la CNT-AIT espagnole
Vive l’Association Internationale des Travailleurs
PROTESTATIONS D’ESPAGNE : REPONSE AU BUREAU SOCIALISTE INTERNATIONAL
La Vie ouvrière, numéro 12, 20 mars 1910

Récemment, un député socialiste belge, M. Léon Furnémont, a fait un voyage à Madrid pour s’aboucher avec des membres de l’organisation politique dirigée par Pablo Iglesias. Là, dans une conférence publique, il a fait des déclarations qu’a reproduite la presse espagnole, et que voici :
« Notre évangile, tel qu’il a été adopté dans tous les Congrès socialistes, se résume dans les trois propositions suivantes :
1° Le Pari socialiste est un parti de classe, c’est-à-dire le parti des travailleurs, tant manuels qu’intellectuels, de ceux qui ne possédant pas de moyens d’existence, se voient obligés de vendre au capital leur force productrice et vivent soumis à la tyrannie ;
2° La classe ouvrière doit s’organiser pour l’action politique : c’est-à-dire qu’à côté de son organisation syndicale et professionnelle, elle doit aussi faire de la politique pour obtenir la protection économique des lois : car si les lois ne sanctionnent pas les améliorations apportées à la condition du prolétariat, il ne sera pas facile à celui-ci d’acquérir la capacité de transformer le régime social ;
3° La classe ouvrière doit s’emparer des pouvoirs publics, pour effectuer la transformation de l’organisation actuelle, basée sur le monopole au profit de quelques-uns, en une organisation communiste ou collectiviste, dans laquelle tous les moyens de production appartiendront aux nations et à l’humanité entière, fondant ainsi toutes les classes en une seule, qui travaillera et qui jouira de la richesse.

Celui au accepte ces trois propositions est socialiste. Celui qui ne les accepte pas, quelle que soit la noblesse de son cœur, quelle que soit son intelligence et l’ardeur de son zèle démocratique, n’est pas socialiste. »
La conséquence d’un semblable programme, c’est que tout travailleur manuel ou intellectuel qui accepte ces trois propositions – qu’il soit Anglais, Français, Belge, Suisse, Allemand, russe, Italien, Espagnol, Portugais, etc. – n’est pas internationaliste : c’est un nationaliste, qui méconnaissant la capacité révolutionnaire du prolétariat, demande aux législateurs et aux gouvernants de son pays des lois protectrices grâce auxquelles les travailleurs deviendront capables de transformer le régime social.

Dans cet évangile qu’enseignent les apôtres du nouveau socialisme – diamétralement opposé à ce socialisme au nom duquel les socialistes de Paris et de Berlin s’appelaient frères et protestaient contre la guerre franco-prussienne ; à ce socialisme qui réunissait à Madrid en 1870 et en 1871, des ouvriers français et des ouvriers espagnols pour protester contre la fête patriotique du Deux-Mai , - ans cet évangile socialiste absolument contraire à celui de l’Association internationale des travailleurs, qui réunissait en une pensée et une action commune tous les travailleurs du monde sans distinction de couleur, de croyance ni de nationaliste, - on fractionne le prolétariat par nations au lieu de maintenir la solidarité internationale, et on fait croire aux travailleurs qu’en se consacrant à la politique nationale et en se confiant aux politiciens de profession on peut espérer voir s’accomplir la transformation du régime social, ce qui est la négation des deux grands principes de l’Internationale : « L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » ; « l’émancipation des travailleurs n’est pas un problème local ni national, mais un problème social qui embrase tous les pays civilisés, et dont la solution dépend de leur concours tant pratique que théorique ».

Furnémont me fait ici l’effet d’un de ces milords anglais qui imbus du préjugé que l’Espagne est un pays de manolas et de toreros, vont à Séville assister à une « réjouissance populaire » artificiellement préparée, qu’ils prennent pour une manifestation spontanée et authentique des mœurs du pays, et s’en retournent chez eux plus trompés que jamais, s’imaginant avoir vu la confirmation de leurs illusoires croyances.
Comme il l’a dit dans sa conférence, Furnémont croit que le prolétariat est incapable d’opérer la transformation du régime social, et que pour en acquérir la capacité, il a besoin de la protection des lois ; c’est comme si les agneaux pour se délivrer de la tyrannie des loups, leur demandaient leur protection. Il arrive à Madrid, il s’entretient avec Pablo Iglesias et son entourage, et se figure avoir pris contact avec l’ensemble du prolétariat espagnol :comme s’il n’y avait pas une Andalousie ouvrière d’antique tradition communiste, une région valencienne ouverte aux idées progressistes, une Catalogne syndicaliste révolutionnaire de date plus ancienne que l’Internationale elle-même, une côte cantabrique habitée par une race forte et prudente, pays où la Corogne et Gijon brillent comme deux phares de la pensée rédemptrice du prolétariat. Et avec cette visite à Madrid coïncide, peut-être comme résultat des renseignements obtenus ou suggérés, la publication dans le journal Le Peuple, de Bruxelles, du 8 février d’une circulaire véritablement incroyable, signée par les membres du Comité Exécutif du Bureau socialiste international, Vandervelde, Anseele, Furnémont et Huysmans, dans laquelle on demande aux comités centraux des Partis affiliés de verser de l’argent pour permettre de reprendre la publication à Barcelone d’un journal intitulé la Internacional.

Ce document débute ainsi :
« Depuis la fondation de l’Internationale en Espagne, il n’y a pas eu en Catalogne, et surtout à Barcelone, un mouvement socialiste sérieux. Les bakouninistes ont pris la tête du mouvement ouvrier dès les débuts, et ils se sont livrés à des attaques violentes contre les socialistes. Ils publièrent d’abord à Barcelone, un quotidien, el Productor, et une revue scientifique, la Revista Blanca. Ils éditèrent ensuite, d’une manière presque constante, un grand hebdomadaire à Barcelone, et plusieurs journaux dans les autres villes de Catalogne. Cette activité rendit fort pénible le travail des « socialistes », qui se contentèrent de publier, de temps en temps, des hebdomadaires, et tenaient des réunions publiques que les anarchistes troublaient méthodiquement et essayaient même parfois de dissoudre à coups de revolver.

« Cette situation anormale, dont la classe ouvrière a souffert énormément, avait sensiblement changé à la suite de divers échecs essuyés par les anarchistes, notamment après la grève de 1902. »
La circulaire ajoute qu’alors, comme les syndicats « avaient à peu près disparu de la Catalogne », on vit « les socialistes entrer dans la bataille pour reconstituer ces organismes sur une base plus sûre et plus forte ». Et amalgamant le vrai et le faux, le Bureau socialiste international continue en ces termes :
« Le premier effort dans ce sens a été fait en 1904, en contribuant à la constitution de la Fédération locale des syndicats ouvriers connue sous le nom de « Solidaridad Obrera ». Cette tentative a été très heureuse, car en 1907, cette fédération locale est devenue régionale. Un second effort beaucoup plus important a été tenté par les « socialistes » en constituant pour la première fois, la « Fédération socialiste catalane » et en fondant un organe important qui porterait le titre : la Internacional. »

Le Bureau socialiste international se charge lui-même de démontrer que les efforts de 1904 et 1907 n’ont pas réussi à constituer en Catalogne un mouvement « socialiste » sérieux. Il le prouve par le fait même de la demande qu’l adresse aux comités centraux des Partis affiliés de venir en aide à ces pauvres « socialistes » catalans, qui ne sont pas en état de reprendre par leurs propres forces la publication de leur organe.
« Il est absolument nécessaire – dit la circulaire – de faire revivre ce journal… Mais nos camarades ne sont pas à même de fournir les moyens nécessaires de publier la Internacional. Ils devraient plutôt être secourus eux-mêmes. En vue de cette situation particulière, ces camarades se sont adressés au Bureau socialiste international pour lui demander de leur venir en aide. Pour pouvoir refaire leur journal avec chance de succès, ils auraient besoin de huit à neuf mille francs. Cette somme, relativement considérable pour eux, ils ne peuvent la demander au Comité national du Parti espagnol… Comme vous le voyez, nos camarades espagnols sont à un tournant très difficile dans la vi de leur parti. »

Par contre, ces bakouninistes qui n’ont jamais rien su aire de sérieux, ces anarchistes dont les « échecs » sont censés avoir favorisé la croissance du parti « socialiste » se trouvent, de l’aveu du Bureau socialiste international, constituer une force redoutable ; si redoutable, que c’est contre elle qu’il fait appel à l’argent des pays voisins. Ecoutez plutôt :
« Les anciens bakouninistes sont là, prêts à recommencer la lutte et à s’emparer de nouveau du mouvement ouvrier et des syndicats fortement ébranlés en ce moment … En aidant les « socialistes » de Catalogne, vous contribuerez à éteindre un des plus grands et plus anciens foyers de l’anarchie en Europe. Vous aiderez par-là à constituer et à renforcer la puissance de ces « socialistes » en Espagne, et vous interviendrez enfin d’une façon efficace dans le pénible et courageux effort que tente en ce moment la classe ouvrière de toute l’Espagne ( !). »

Je ne discuterai pas d’avantage la circulaire si maladroitement lancée par le Bureau socialiste international. Cette circulaire, comme il est naturel, a soulevé l’indignation des syndicalistes catalans, don l’organe, la Solidaridad Obrera, l’a stigmatisée dans son numéro du 26 février comme un document qui « falsifie les faits d’une manière déplorable » et qui « contient des calomnies préjudiciables à l’harmonie qui doit régner dans le camp syndicaliste ». Quant au journal Tierra y Libertad, il a publié le 3 mars, une réponse que je veux donner ici en entier :
« Le groupe éditeur et rédacteur de Tierra y Libertad, de Barcelone, dénonce au monde travailleur le fait suivant :
« Le Bureau socialiste international, dans le journal belge le Peuple, organe quotidien de la démocratie socialiste, numéro du 8 février dernier, s’adresse aux comités centraux des Partis affiliés, en leur demandant huit à neuf mille francs pour la reconstitution du journal la Internacional.
« Dans cette circulaire, le Bureau socialiste international, mal informé, commet des inexactitudes qui peuvent être qualifiées de graves et même de calomnieuses.

« Pour éviter les mauvais effets de ce document, qui a les allures d’un décret gouvernemental, il convient que les travailleurs auxquels il est adressé sachent ce qui suit :

« 1° que la fraction appelée « socialiste », qui constitue en Espagne le groupement politique nommé Partido Obrero (Parti ouvrier) et le groupement ouvrier appelé Union General de Trabajadores (Union générale des travailleurs), n’a pas d’importance en Catalogne ;
2° Que la Revista Blanca n’a pas été publiée à Barcelone ;
3° que la grève générale de Barcelone de 1902, brillant mouvement de solidarité envers une corporation ouvrière en lutte avec le capital, mouvement qui a étonné le monde par sa nouveauté et sa grandeur, a été dénigré par le secrétaire du comité directeur du sus-mentionné Partido Obrero, qui donna des renseignements défavorables au Conseil des Trades Unions d’Angleterre, lequel avait vu avec une sympathie naturelle ce mouvement grandiose.
4° Que la Fédération locale de sociétés ouvrières constituant le corps désigné par le nom de « Solidaridad Obrera » a été le produit d’un mouvement spontané des travailleurs barcelonais, et non celui de l’insignifiant groupe « socialiste » barcelonais lequel a donné à peine, en de longues années, des signes extérieurs d’existence à Barcelone ;
5° Que la « Fédération socialiste catalane », dont l’existence est à peine remarquée, et [ce qui s’appelait son organe ] le journal la Internacional, d’une part, et de l’autre la fédération appelée « Solidaridad Obrera » et son organe intitulé Solidaridad Obrera, sont deux choses tout à fait distinctes, sans confusion possible ;
6° Que les anarchistes n’ont jamais troublé les réunions convoquées et tenues par les membres du groupe socialiste, et, à plus forte raison, n’y ont jamais tiré des coups de revolver ;
7° Que si c’est en aidant les « socialistes » de la Catalogne à éteindre un des plus ancien foyers de l’anarchie – comme dit le Bureau socialiste international dans un langage indigne et calomnieux – qu’on consolidera et renforcera la puissance du « socialisme » en Espagne, on n’a que faire de demander 9000 francs aux fédérations ouvrières internationales pour soutenir le journal la Internacional : il suffit de présenter la note au fond des reptiles.

« Le Bureau socialiste international, les sociétés et les travailleurs auxquels est adressé la malheureuse circulaire, et la généralité des travailleurs qui ne font pas du socialisme d’une manière aussi mesquine sont invités à prendre note de ces déclarations.

« Pour notre part, vivement impressionnés par les récentes déclarations des travailleurs de la République d’Argentine qui, renonçant à leurs divisions, se sont rapprochés en une consciente et puissante union qui doit être comme le syndicat liquidateur de la société bourgeoise en faillite ; admirant le grandiose mouvement émancipateur des travailleurs de Pennsylvanie ; et désireux de nous unir à tous les travailleurs de l’Europe et du monde dans l’idée et dans l’œuvre de l’émancipation et de la participation de tous au patrimoine universel, nous protestons contre les machinations de ces « socialistes » qui aspirent seulement à être des chefs et députés, au prix de la soumission de leurs affiliés, et qui transforment le socialisme, la glorieuse initiative de l’Association internationale des travailleurs, en un humble troupeau de cotisants et d’électeurs, ce en quoi se résume ce que ces gens-là appellent « les doctrines de leur parti »

On ne peut rien ajouter à une réplique aussi écrasante que méritée.

Puisse-t-elle être comprise par les organisations ouvrières auxquelles on demande de l’argent pour une propagande d’une efficacité douteuse et d’un caractère plus qu’équivoque.

Maintenant, comme contraste à l’impression reçue par Furnémont de sa visite de Madrid, il sera bon de mettre en regard l’impression qu’a rapporté Jouhaux de sa récente visite à Barcelone, où il avait été délégué par la Confédération Générale du Travail pour assister au grand meeting annoncé le 6 février et qui n’a pas pu avoir lieu. C’est dans la Voix du Peuple, de Paris, du 27 février, que Jouhaux a raconté c qu’il a vu et entendu :
« Je pus, dit-il, entrer en relation avec les valeureux militants barcelonais. L’impression faite sur moi par cette entrevue fut excellente. Si faible numériquement que soit à l’heure présente l’organisation ouvrière en Catalogne, elle n’en constitue pas moins une grande force agissante et combative.

« Contrairement à ce qui se passe malheureusement trop dans nos milieux syndicaux, les ouvriers catalans sont animés d’un esprit largement ouvert aux idées nobles et généreuses. Les syndicalistes sont là-bas des hommes hardis et courageux qu’aucune tentative, si audacieuse soit-elle, n’effraie. L’atmosphère qui plane dans les réunions syndicales est une atmosphère de fraternité et de sympathie réciproque. Les travailleurs vivent la vie de leurs organisations, vibrant à toutes ses manifestations. C’est là, à mon avis, que réside la force d’un mouvement.

Quand l’indifférence a disparu, quand les gens sont attachés par des liens d’affinité au sort de leur organisation, celle-ci est alors véritablement forte. C’est la situation existant à Barcelone. Avec de tels groupements, rien n’est impossible, tout peut être tenté. L’échec, loin d’annihiler les énergies les stimule pour de nouveaux combats. C’st ainsi que nos camarades de Solidaridad Obrera me déclaraient être prêts à recommencer la lutte s l gouvernement n’accordait pas l’amnistie. Je ne pouvais que ls encourager dans cette voie, tout en leur démontrant l’utilité d’une organisation méthodique.

« Le défaut en Catalogne c’est justement le manque d’organisation. Le tempérament chaud et exubérant des Catalans se plie difficilement à une discipline. Cependant, en nous basant sur les sentiments très élevés de ce peuple particulièrement studieux, l’on peut être assuré qu’il saura tirer l’enseignement qui se dégage des derniers évènements de Barcelone.

« Les principaux militants l’ont d’ailleurs compris, et c’est plein d’enthousiasme qu’à peine sortis de la période de répression féroce, ils se sont hardiment attelés à ce travail de réorganisation. D’ici peu, la Catalogne ouvrière aura une organisation puissante et redoutable. Animée par un esprit de combativité qui est sa caractéristique, conduite vers un idéal très élevé, l’avenir lui sera largement ouvert.

« Voilà l’impression que je rapporte de mon trop court séjour dans la belle cité artistique de Barcelone. »
En ce qui concerne le manque d’organisation que le camarade Jouhaux a observé chez les travailleurs barcelonais, je demande à présenter deux ou trois simples remarques. Que l’on tienne compte que nous venons de traverser ne période de dure et cruelle répression gouvernementale ; que nous nous trouvons dans une grande crise de chômage, où la faim pousse ls travailleurs à l’émigration ; que l’inexpérience des jeunes gens et des journaliers qui viennent des districts ruraux de la Catalogne, de l’Aragon et de Valencia se laisse facilement réduire par l’éloquent charlatanisme des républicains ; que les bourgeois ont recours au pacte de famine contre les ouvriers intelligents et actifs ; et on s’expliquera cette faiblesse numérique et ce défaut d’organisation.

Cela n’empêche pas que l’intelligence et l’énergie de ceux qui restent, des invincibles, de ceux qui maintiennent le feu sacré de l’idée contre es persécutions et les déviations, nous donnent l’assurance que Barcelone, que la Catalogne, que l’Espagne ouvrière tout entière ne manquera pas à l’accomplissement de son devoir au grand jour des revendications prolétariennes.
Barcelone l’a prouvé en février 1902 et en juillet 1909, comme l’ont prouvé aussimaintes villes et maintes régions de l’Espagne durant la période écoulée depuis le début du mouvement émancipateur du Prolétariat.
Anselmo Lorenzo

Note de la Rédaction [Pierre Monatte] : Pour « contribuer à éteindre un des plus grands et des plus anciens foyers de l’anarchie en Europe », la Commission Administrative Permanente du parti socialiste a voté dans sa s »ance du 21 février dernier, une somme de 500 francs ?
Constatons qu’aucune protestation n’a été faite contre ce vote, ni à la lecture de l’appel du Bureau international, ni depuis, par aucun membre de la Commission Administrative, où la tendance insurrectionnelle compte cependant deux représentants [dont Gustave Hervé].
Constatons avec plus de surprises encore que pour préparer le vote de ces 500 francs, un article paraphrasant la circulaire du Bureau International a paru dans l’Humanité du 1- février, sous la signature d’André Morizet.

Contact


Envoyer un message