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IVG : opération « récup » et rideau de fumé constitutionnel …

Publié le 27 avril

Dans les médias ou dans les quartiers généraux des partis politiques, tout le monde se félicite de l’inscription de l’avortement dans la Constitution : de nouveau la République éclaire le Monde et libère la Femme …

Par ce geste, l’État et ses serviteurs cherchent surtout à se donner le beau rôle et à faire oublier que pendant plus de cent ans, depuis la loi infamante de 1920 interdisant toute méthode de contraception, ils se sont surtout farouchement opposés à toute idée même de limitation des naissances, au nom de la Patrie et du Capitalisme qui avaient besoins de petits soldats et de petits travailleurs. Tous les partis sans exception – des partis progressistes ou libéraux aux partis conservateurs en passant par le Parti Communiste même1 – ont lutté activement CONTRE ceux qui diffusaient cette idée, à commencer par les anarchistes…

Cette reconnaissance Étatique de l’IVG ne doit pas endormir notre vigilance : comme le rappelait en 1937 Solidaridad Obrera, le journal anarchosyndicaliste de Barcelone, après que l’IVG ait été légalisée pendant la Révolution espagnole par un décret pris par le Conseiller de la santé — un anarchosyndicaliste - : « Rien ne s’obtient en publiant des lois et des décrets dans les journaux officiels si le peuple ne les fait pas siens »2.
Or précisément, le rideau de fumée de l’inscription dans la Constitution ne doit pas nous faire oublier qu’en décembre dernier, le même président de la République a promulgué un décret qui visait précisément à restreindre le droit de l’accès à l’IVG : ce décret autorisait les sages-femmes à pratiquer l’IVG instrumentale, mais imposait la présence de quatre médecins superviseurs : un médecin compétent en matière d’IVG instrumentale, un gynécologue-obstétricien, un anesthésiste-réanimateur et un radiologue interventionnel !!! En ces temps de pénurie de personnel (Le nombre de gynécologues a en effet chuté de 52,5% entre 2007 et 2020, soit 1022 médecins en moins en 13 ans), cela revenait à restreindre, de fait, la capacité de ces professionnelles de santé à pratiquer l’acte, et donc aux femmes d’y accéder. Cette entrave à l’accès à l’IVG, dans un contexte où la demande est en hausse puisqu’en 2022 près de 232.000 avortements ont été pratiqués contre 216.000 en 2021, est particulièrement criante dans les petits centres situés dans les déserts médicaux qui parviennent déjà difficilement à proposer suffisamment de rendez-vous d’IVG aux femmes qui souhaitent avorter.

Le prétexte du gouvernement pour mettre en place cette restriction était la possibilité de complications graves, certes réelles mais « qui restent rarissimes. Elles sont moins fréquentes que lors d’un accouchement » comme le rappelle Caroline Combot, présidente du principal syndicat des sages-femmes, l’ONSSF (Organisation nationale syndicale des sages-femmes).

Cette exagération de la part de l’État du risque n’est pas anodine et correspond à une stratégie établie de longue date qui vise à effrayer les femmes voulant recourir à l’IVG. Déjà dans les années 1900 (!!!) Paul Robin avait décrit cette stratégie de diabolisation de l’avortement : « Sans doute la presse serve et servile fait grand étalage des accidents d’avortement […]. C’est un mot d’ordre de police et de politique, une vieille habitude, jalousement entretenue, de maltraiter les « faiseuses d’anges », d’invectiver contre les « mères coupables ». Si elle signalait avec la même attention et la même ardeur les accouchements qui se terminent par la mort des parturientes, la presse s’encombrerait. Les accidents mortels qui peuvent survenir au cours de la grossesse, lors de l’accouchement et après, sont en effet fort nombreux, et les traités d’obstétrique consacre des chapitres à leur énumération, au moyen de les prévenir et d’en triompher. Le « bluff » anti-abortif n’a qu’un but : empêcher le peuple de profiter des progrès de la médecine et de la chirurgie, réserver aux riches la suppression des maternités indésirées. »3. On le voit, même une fois que l’IVG ait été reconnue par la loi, ce sont toujours les mêmes vieilles ficelles qui sont utilisées…

Car l’intérêt de l’État n’est pas celui de la population. On ne peut pas compter sur l’État pour nous protéger, et l’inscription de l’IVG dans la constitution n’est qu’une manœuvre pour que nous relâchions notre vigilance. L’appel récent de Macron au « réarmement démographique » est un appel à augmenter la natalité et donc des attaques sont à prévoir de la part de l’État contre l’accès à la contraception et singulièrement à l’IVG, alors que dans le même temps le même État promeut l’accès à la Gestation pour autrui (GPA) et autres technologies de marchandisation des corps. Nous ne pouvons pas compter non plus sur les partis politiques pour nous défendre, car tous sans exception – de l’extrême gauche à l’extrême droite – ils sont TOUS pour le maintien du monstre froid de l’État qui nous opprime et nous prépare à la guerre.

L’inscription dans le marbre de la Constitution de la « liberté de l’IVG » veut faire oublier que cette liberté – comme toutes les autres – a été arrachée par des années de luttes et d’affrontements sans compromis, ni avec l’État ni avec les partis politiques. Et pour que cette liberté ne reste pas une formule gravée dans le marbre froid, comme le triptyque « liberté égalité fraternité » du fronton de nos mairies, pour qu’elle ne soit pas seulement « la liberté des riches » et de celles et ceux qui auront les moyens de ce la payer, il nous revient de défendre l’exercice de cette liberté pour toutes et tout en nous organisant pour la faire respecter. Mais une organisation à la base, sans leader ni cheffesse, sans compromission avec le Pouvoir ni participation à aucune aux mascarades électorales et autres rideaux de fumée institutionnels.

Gabriel GIROUD, Paul Robin et l’avortement, L’En-Dehors, Mars 1937, numéro 304 ; en ligne : http://cnt-ait.info/2024/03/07/Paul-robin-et-lavortement