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La planète où tout a un prix ... sauf la vie humaine, en constante dévaluation

Publié le 30 janvier 2010

Élémentaire, mon cher Watson me direz-vous, voilà belle lurette que nous savions déjà, non seulement que tout était à vendre et à acheter en ce monde marchand où nous voilà contraints de vivre, mais encore que la vie humaine (surtout celle des pauvres) y était fort mal cotée, voire totalement dévaluée. Pour autant, ami lecteur, même si la dénonciation de l’état de putréfaction avancée de notre société ne constitue pas, loin s’en faut, un scoop en soi, on peut parfois être surpris par les révélations « croustillantes » que nous réserve ce qu’il est convenu d’appeler l’actualité. Noyés sous une avalanche d’informations de peu d’intérêt, ces faits tragico-anecdotiques méritent que l’on s’y attarde : ils dévoilent souvent la distance phénoménale qui sépare les discours médiatiques et moralisateurs de nos dirigeants, de leurs basses pratiques réelles.

Ainsi, la presse britannique (un numéro du Times du mois d’octobre) nous apprend que, selon des sources fiables, les 10 soldats français tués en Afghanistan en juin 2008 dans une embuscade (dont on a beaucoup parlé) seraient morts parce que leurs chefs n’auraient pas jugé bon (souci d’économie ou pur désir de gloire ?) de payer la somme nécessaire au seigneur de guerre local pour avoir le droit de sortir un peu de leurs bases-forteresses.


LA COMBINAZIONE

Les Italiens, qui avaient en charge ce secteur avant leur remplacement par les Français, auraient, quant à eux, versé des contributions au chef taliban, ce qui leur permettait de vaquer à leurs occupations dans une relative quiétude. La « consigne-combine » a-t-elle été transmise aux nouveaux arrivants ? Les Français ont ils voulu s’y soustraire ? Bien sûr les gouvernements et états-majors italiens et français ont démenti ces informations « sans fondement » lancées par la perfide presse britannique.

Ces assertions ont toutefois de fortes chances d’être vraies et contribuent à éclairer d’une lumière assez crue la piètre situation politico-militaire de nos « croisés occidentaux ». L’aviation bombarde la population civile en perpétrant de véritables massacres, pendant que l’infanterie, pratiquement assiégée dans ses forteresses, ne peut effectuer de paisibles sorties que si elle s’est acquittée du droit de passage. Dans ces conditions, la « glorieuse mission civilisatrice » confiée à la croisade, on le pressent déjà fortement, ne pourra être remplie : les promesses de « démocratie », de « modernité » ou « d’éradication du terrorisme et du féodalisme » se dégonflent les unes après les autres comme autant de baudruches. Quand les soldats sont contraints de monnayer leur survie, c’est que la défaite n’est plus loin.

Mais, comme dans toutes les guerres, alors que l’issue ne fait plus de doute et que l’on sait pertinemment qui a perdu, on joue les prolongations. Tandis qu’on prépare en catimini des plans de désengagement, que l’on astique en douce les trompettes qui sonneront bientôt la retraite, la boucherie continue de plus belle. Les dirigeants occidentaux persistent à proclamer haut et fort que que cette guerre est nécessaire et justifiée, alors qu’ils savent fort bien que la partie est d’ores et déjà perdue. Pendant que discrètement au frais et à l’ombre, d’importantes négociations s’apprêtent après d’âpres pourparlers, à payer le prix de la paix en valeurs sûres, des gens « sans importance » meurent dans de grandes souffrances et en plein soleil : ils payent le prix de la guerre avec leur seule richesse, leur sang.

Ces négociations de « sortie de guerre », ces tractations en vue d’une paix possible peuvent parfois durer longtemps, d’autant plus longtemps que pour ceux qui ne sont pas sous les bombes rien ne presse et qu’il convient de songer déjà aux futurs conflits, aux prochains marchés, aux prochaines opportunités qu’il ne faudrait pas manquer. L’industrie d’armement a naturellement horreur du vide, ne supporte pas les pauses si préjudiciables aux énormes bénéfices qu’elle engrange. Pour elle, la paix, c’est mortel.

Le commerce n’est jamais équitable ni moral, mais c’est avec le trafic d’armes international (au niveau inter-étatique entre autres) que l’on atteint les sommets de l’ignominie et que bien souvent, au détour de péripéties scabreuses liées à ces deals d’un genre spécial, nos aimables dirigeants laissent tomber le masque et révèlent leur vrai visage : ceux de gangsters de la pire espèce.

L’ATTENTAT DE KARACHI

Nous avions entendu parler de l’affaire des ventes de frégates à Taïwan, de l’Angolagate (rappelons que la guerre civile en Angola a fait plus de deux millions de victimes et a rapporté des millions de dollars à d’honorables industriels et politiciens connus). Mais la presse française (Libération du 18 oct) s’est faite l’écho d’une enquête commencée il y a des années sur l’attentat de Karachi (Pakistan) qui avait coûté la vie à 11 techniciens et ingénieurs de la DCN (Direction de la construction navale) en mai 2002.

On apprend à la lecture de ces articles que le commerce des armes entre États obéit à des lois tacites qu’il est extrêmement hasardeux d’enfreindre : ainsi, le vendeur (en l’occurrence la France qui vendait trois sous-marins à la marine pakistanaise) se doit de payer une commission rondelette aux acheteurs (décideurs politiques et militaires pakistanais de haut rang) pour les remercier en quelque sorte d’avoir préféré la qualité « made in France » à la concurrence. Mais l’octroi de ces commissions versées aux acheteurs s’accompagne d’une clause de rétro-commission : l’acheteur à son tour doit reverser une partie de la somme touchée au vendeur. Chorégraphie commerciale des plus délicates quand les sommes en jeu atteignent cette importance et que les partenaires ne sont pas tous de bonne foi : en ce genre de négoce (comme ailleurs) les tentations sont fortes de duper l’autre partie. Dans l’affaire de Karachi, le faux-pas, l’entourloupe viendra du côté français. Le contrat de vente est signé en 1994, l’échéancier court jusqu’en 2008. Or, en 1995 la campagne électorale bat son plein et une lutte fratricide oppose chiraquiens et balladuriens (ces derniers manquent cruellement de fonds pour financer la campagne de ce « cher Édouard »).

COMMISSIONS ET RETROCOMMISSIONS

Au début du contrat, les commissions sont régulièrement versées aux généraux pakistanais, puis brutalement, la « french connection » s’arrête de fonctionner. Les versements sont bloqués. Sont-ils bloqués sur ordre du ministre farouchement balladurien à l’époque du budget (un certain Sarkozy) ? Ces fonds occultes servent-ils à financer la campagne d’Édouard Balladur ? En l’état actuel de l’enquête, on ne peut rien affirmer, mais, ce qui est sûr, c’est que les effluves des arrières-cuisines de la démocratie n’y gagnent pas en fraîcheur. Il est également certain que ceux qui ont pris cette décision savaient qu’elle était dangereuse ; mais la conquête du pouvoir justifie tout.

Lassées d’attendre les sommes promises qui n’arrivent pas, les généraux pakistanais décident de frapper les intérêts français, en l’occurrence un bus transportant des employés de la DCN. La police arrête rapidement deux soi-disant terroristes, qui avouent sous la torture être les auteurs de l’attentat. Après quelques années de prison, la justice pakistanaise démontre que ces hommes ne sont absolument pas coupables, les libère et commence à montrer du doigt les généraux et leurs services.

Les représailles pakistanaises auraient entraîné (toujours selon Libération) des contre-représailles françaises : des militaires pakistanais de haut rang, commanditaires de l’attentat, auraient été touchés par des tirs d’agents de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure).

Un refus de payer se traduit par un rappel à l’ordre sous forme de représailles sanglantes qui entraînent elles-même des contre-représailles. Rien ne permet de distinguer ce genre de règlement de comptes inter-étatiques de ceux des clans mafieux. La résolution est parfaitement identique : en cas de non paiement des dettes, il faut payer le prix du sang et le sang versé appelle la vengeance.

Il est vrai qu’en bien des pays on se demande où finit l’État et ou commence la mafia. Les États sont en fait des mafias qui ont réussi au-delà de toute espérance, et leurs chefs des criminels qui sont directement responsables des centaines de milliers de mort que coûtent leurs guerres destructrices mais si profitables pour leurs amis.

Les jeux sanglants du capitalisme international nous prouvent encore une fois qui si dans ce monde tout se vend et tout s’achète, l’article qui a le moins de valeur pour tous ceux qui commandent, légifèrent, exploitent, de quelque pays qu’ils soient, c’est bien la vie humaine.

Encore convient-il de nuancer cette affirmation : en ce monde, la mort des uns pèse beaucoup plus lourd que la mort des autres. Ainsi, le gouvernement américain (appuyé par ses alliés) n’a pas hésité, pour « venger » la disparition de 3 000 de ses concitoyens, à massacrer des centaines de milliers de personnes en Irak et en Afghanistan...

UN GENDARME = 20 ENFANTS

Et en dehors de tout contexte guerrier, dans notre douce France, pays de l’Égalité de tous devant la loi, la mort des flics continue à peser beaucoup plus lourd dans la balance de la justice que la mort des jeunes. Dans un village des Ardennes, le 1er janvier 2007, un jeune sous l’emprise de l’alcool avait écrasé un gendarme : il vient d’écoper de 30 ans de prison dont 20 incompressibles. En juillet 2007, des policiers avaient écrasé un enfant de Marseille qui traversait la rue sur un passage protégé. Verdict, 18 mois avec sursis [1].

Gargamel

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