Le cadavre était à la morgue mais personne ne s’en était aperçu
Publié le 2 mai 2010
Dans notre numéro 114, sous le titre "Inquiétante disparition", nous avions consacré un article à une affaire qui nous semblait plus que suspecte. Pourquoi ? Parce que, malgré le peu d’éléments disponibles à ce moment-là, tout militant quelque peu aguerri pouvait voir planer la main de la barbouzerie sur elle. Rappelons les faits. Le 18 avril 2009, un militant nationaliste basque historique, et comme tel parfaitement connu des services de police, prend le train en gare de Bayonne. Direction Toulouse. C’est vraiment pas très loin. Et pourtant, les personnes qui l’ont accompagné en gare de Bayonne sont les dernières à l’avoir vu vivant. Car, à partir de là, Jon ANZA puisque c’est ainsi qu’il s’appelle, disparaît.
Six jours après ses proches signalent sa « disparition » à la police et demandent au Procureur de la République l’ouverture d’une enquête. L’ETA, chose tout à fait inhabituelle, signale officiellement qu’il transportait des fonds pour elle.
"La police judiciaire mène son enquête"
Michèle Alliot-Marie ministre de l’intérieur (France) - avril 2009
On ne peut pas dire que l’enquête en question soit conduite dans la précipitation... la police ne trouve rien... et souffre de graves pertes de mémoire : elle ne se souvient que les gares sont truffées de caméras que quand le délai d’un mois est passé, c’est-à-dire une fois que les bandes vidéos sont effacées... le commissaire a de ces distractions... Et puis, plus rien ne se passe.
Dans la nuit du 29 au 30 avril 2009, les pompiers, appelés par on ne sait qui, récupèrent un homme agonisant dans une rue de Toulouse. Il est transféré à l’hôpital Purpan et y décède le 11 mai. Il n’a pas de papier sur lui, mais on trouve dans ses poches les billets de train aller-retour Bayonne-Toulouse (retour prévu le 20 avril) et un peu d’argent. Le corps, toujours non identifié après 11 jours d’hospitalisation est transféré à la morgue, sous X.
Dans la jolie histoire officielle servie par les médias, c’est au cours d’un papotage entre une employée de l’Institut médico-légal (la morgue) et un policier que l’un d’entre eux, tel le commissaire Bourrel des "Cinq dernières minutes", la célébrissime série télé de la jeunesse de M. Hortefeux, s’écrie « Bon sang ! Mais c’est... Bien sûr ! Monsieur X, c’est Jon Anza ! ». Est-on bête de ne pas y avoir pensé plus tôt ! Nous sommes à ce moment-là le 11 mars 2010, soit onze mois après la disparition ! Effectivement, ça été un petit peu long...
La justice organise alors une autopsie. Le médecin indépendant que la famille a choisi pour y assister n’est pas autorisé à pénétrer dans la morgue, le souci de transparence de la justice ne va pas jusque-là. Il faut donc se contenter des conclusions des responsables de l’Institut médico-légal (ceux-là même dont la sagacité, pendant 10 mois, n’a pas permis d’identifier le corps). Pour eux, Jon Anza n’aurait pas subi de « lésion traumatique » et serait mort d’une atteinte polyviscérale « neuro-cardio-pulmonaire ». Une telle accumulation de causes de mort (neurologique, cardiologique, pulmonaire, pour peu, les experts ajoutaient l’acné juvénile...) laisse la désagréable impression qu’il s’agit surtout de dédouaner ceux qui ont « retenu » Jon Anza du 18 au 29 avril. Certes, Jon Anza souffrait de graves pathologies, il pouvait donc mourir d’une atteinte « neuro-cardio-pulmonaire » surtout si on le torturait un tout petit peu, même sans laisser de traces (privation de nourriture, d’eau, de médicaments, de sommeil,...). L’autopsie, on s’en serait douté, n’apporte donc aucun élément nouveau.
"La police espagnole n’a rien à voir avec cette affaire"
Alfredo Perez Rubal-Caba, ministre de l’intérieur (Espagne) - avril 2009
Résumons : un nationaliste basque, répertorié comme « terroriste » (il a fait 21 ans de prison), disparaît en France, entre Bayonne et Toulouse le 18 avril 2009. Sa disparition est signalée par la mouvance nationaliste (ce qui est exceptionnel). La police dispose de photos tout à fait récentes, de ses empreintes digitales et de son ADN ; elle connaît la grave maladie dont il souffre. Onze jours plus tard, les pompiers récupèrent à Toulouse un agonisant dont l’âge, la maladie, tous les aspects physiques et la photo correspondent à celui du disparu. Qui plus est, il a sur lui les billets de train Bayonne - Toulouse, ce qui constitue plus qu’un indice. Décédé le 11 mai, le corps est transféré à l’Institut médico-légal (c’est-à-dire à un organisme qui collabore en permanence avec la police). Il n’est toujours pas identifié. Il faudra pas loin d’un an pour qu’il le soit.
A l’heure actuelle, il y a donc un « trou » de onze jours (du 18 au 29 avril 2009) dans la chronologie. Pendant ces onze jours, cet homme gravement malade et ayant les plus graves difficultés à se déplacer seul, n’a été vu nulle part. Tout indique qu’il a été séquestré. Les pratiques passées (pas depuis si longtemps) des groupes para-policiers espagnols sont un argument de poids dans ce sens. Et ce n’est pas le temps mis à retrouver un corps que l’institution médico-légale avait sous la main depuis pratiquement le début de l’affaire qui va faciliter l’enquête. S’il y en a une.